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Une demi-heure plus tard, Li Pût apparaît, toute pimpante dans un pantalon jaune et un chemisier blanc. Elle ne semble pas ressentir les séquelles de notre tumultueuse partie de travou-davu-cavu. Probable que sa collection d’onguents comporte le remède guérissant les fâcheuses inflammations consécutives aux transports pimentés.

Elle met ses mains sur les accoudoirs du fauteuil. Je pars en avant et sa bouche écrase la mienne.

— Je te jure que ce sera dorénavant le bonheur, toi et moi, mon amour, me fait-elle gravement. Nous vivrons des frénésies qu’aucun autre couple ne connaîtra jamais. Pendant quelque temps, il va falloir te conditionner pour te permettre de rompre avec tes attaches anciennes ; mais ensuite, tu sauras ce qu’est l’apothéose. Laisse-toi aller, chéri. Koû d’Ban Bot s’occupe de ta fiancée. Il va la faire rentrer à Paris après l’avoir rassurée sur ton sort. Fais-lui confiance, c’est un magicien. Moi, je dois m’occuper d’un contrat en cours, ensuite nous partirons, et là où je t’emmènerai, tu connaîtras le bonheur absolu.

Sa langue s’installe entre mes claviers. Hélas, j’ai perdu mon sensoriel et cette savante titillation linguale me laisse indifférent. Je tente de récapituler ce qu’elle vient de m’annoncer, d’en tirer des conclusions, mais décidément, ma pensée fait du transat au soleil andalou et rien de constructif, voire seulement de cohérent ne se produit sous ma coiffe. Je subis dans une passivité absolue, sans regimber ni même analyser. Bon, c’est comme ça, et que veux-tu y faire ?

— Je sais que vous n’êtes pas en état de réfléchir, mon chéri, reprend Li Pût après avoir récupéré sa langue pour pouvoir m’entretenir, mais je tiens déjà à vous dire que vous et moi, c’est pour toujours, de toute façon, car maintenant que vous savez tant de choses à mon propos, il est impossible que vous retourniez à une vie normale. Mes maîtres ne le permettraient pas. J’appartiens au tong le plus puissant et le plus terrible du monde. Il ne vous tolérera en vie que si vous restez inoffensif. Vous devez être ma chose, mon caprice, et seulement cela. Du moins jusqu’à ce que je sois parvenue à vous « retourner » totalement, car c’est d’ores et déjà ce à quoi j’aspire. Il faut que vous deveniez des nôtres, pleinement, après avoir donné les preuves d’allégeance qui vous seront demandées le moment venu.

Elle me bisouille à nouveau.

— Quelle merveille ! dit-elle. Je ne m’attendais pas à faire une pareille découverte en venant ici !

Elle continue son gazouillis charmant. Moi, je reste écroulaga dans mon rocking-chair. Gâtouillard à bloc, l’Antonio. Pas plus nerveux qu’un yaourt taille fine.

Elle me raconte comme quoi elle doit « traiter » un personnage d’une extrême importance aujourd’hui. Affaire délicate car il s’agit d’un Arabe, et ces gens-là sont beaucoup plus difficiles à manœuvrer que les bourgeois occidentaux. Y a les coutumes, les traditions, certains tabous chiants dont elle devra s’accommoder, mais bast, elle en a vu d’autres !

Je continue de chiquer les plantes vertes, dans mon fauteuil. Je ne m’ennuie pas. Le temps est aboli, ce qui n’est pas un mal.

A un certain moment, le type blond, genre fiote de luxe, qui accompagnait Li Pût cette nuit au cabaret, vient lui rendre visite. Il est en tenue de tennisman. En m’apercevant, il sursaute, mais ma maîtresse lui raconte que je suis en demi-léthargie. Il demande pourquoi. Elle coupe court en répondant que ce sont « les ordres ». Alors il n’insiste pas. Tous deux montent au premier étage et du temps passe.

Puis il repart.

Koû d’Ban Boû radine.

Ça se met à pérorer chinois. Bien que j’ignore tous les dialectes du Céleste Empire, je devine qu’il est question et de moi et que Koû d’Ban Boû réprouve mon maintien en vie ; en tout cas qu’il est le porte-parole de quelqu’un qui s’y oppose. Alors Li Pût se mue en furie. Elle hurle, glapit, trépigne. Son compagnon conserve une impassibilité impressionnante.

La scène est interrompue par un coup de sonnette. Les deux antagonistes la ferment aussitôt. Koû d’Ban Boû va ouvrir. Il y a là deux hommes très grands, très bruns, aux airs pas gentils. Ils sont en costume de ville léger dans les teintes claires, chemise à col ouvert, souliers en serpent. L’un d’eux porte un talkie-walkie sur l’épaule.

Ils entrent avec des frites farouches de terroristes coltinant dix kilos d’explosif avec un détonateur réglé pour dans trois minutes. Les deux Chinois les saluent avec obséquiosité, mais ça laisse les arrivants indifférents.

L’homme au talkie me désigne et demande qui je suis en anglais. Li Pût répond que je suis hémiplégique. L’homme me dit de me soulever. Ne le puis. Koû d’Ban Boû ajoute que je n’ai plus tous mes esprits. L’autre Arabe se met à visiter la maison. Comme elle n’est pas grande, c’est vite fait.

Le gars au talkie-walkie dégage alors son antenne et branche l’appareil. Il cause dans la langue du prophète. Une voix lui répond. Contact terminé, le mec replie l’antenne. Les deux gus attendent.

Un peu plus tard, je perçois un ronflement de moteur. Les Arbis se précipitent. Bien que la rue soit interdite à la circulation des véhicules à essence, une Rolls Camargue blanche, avec des enjoliveurs et une calandre en or, stoppe devant la porte d’entrée. Les deux gus vont délourder la portière arrière et un type sort de son carrosse. Il porte une gandoura blanche et des mules brodées d’or, ce qui fait qu’il a la tenue de sa Rolls. C’est un mec d’un demi-siècle, genre chauve grisonnant, avec une belle brioche sculptée au couscous, l’Arbi. Cela dit, une certaine majesté se dégage du bonhomme.

Le v’là qu’entre. Mes deux Chinois s’inclinent.

— Nos respects éperdus, prince, nasille Koû d’Ban Boû. C’est un indicible honneur que Votre Miroitante Altesse nous fait en condescendant à entrer, auréolée de sa gloire infinie, dans cet indigne logis.

— Repos ! lance le prince.

Et il tend la main à Li Pût qui y dépose la sienne. Son Altesse Rarissime adresse un sourire con-cul-pissant à la môme. Y a déjà du remue-ménage sous sa gandoura. Tu te crois dans la Marquise des Anges, quand les méchants sultans membrés féroce veulent baratter la chaglatte à la mère Mercier en douce de Robert qu’est en train de se filer du mercurochrome sur la balafre.

Mon pote Koû d’Ban Boû se grouille d’ouvrir la porte de la chambre et de convier Son Altesse Godantissime à découvrir le champ de manœuvres. « J’ai plus d’une corde à monarque », comme disait le bourreau qui pendit ce roi à la con dont le nom m’échappe. C’est ce que me signifie l’ensorceleuse Li Pût avant de suivre son pépère en chemise de nuit. L’œillée friponne qu’elle me dépêche est éloquente pis que du braille pour un sourd-muet.

Elle s’enferme dans la chambre des voluptés. Les deux gardes font le pied de grue et même de coquecigrue pendant que leur maître prend le sien. Koû d’Ban Boû leur propose du café, mais ils refusent.

Du temps s’écoule encore.

C’est imprécis pour moi, je te répète. Des images, des sons me traversent rétines et tympans, par saccades. Je continue de ne pouvoir lier la sauce.

Et puis soudain un grand cri. Un trille.

Li Pût, entièrement nue, surgit la mine hagarde.

— Il est mort ! crie-t-elle en anglais. Il ne bouge plus !

Les deux gardes foncent dans la turne.

Ils sont vraiment devenus les gardes du corps du prince.

Y a de l’effervescence (de térébenthine) dans la délicieuse maisonnette.

Une qu’est admirable dans le rôle de la Dame aux Camélias qui verrait canner le père Duval d’une crise d’apoplexie, c’est Li Pût ! Elle pleure de vraies larmes. Elle pousse des cris de terreur. Elle dit qu’il faut absolument appeler la police, un médecin, les pompes funèbres, le muezzin d’à côté, le gouverneur de Malaga et d’autres gens encore. Son factotum la calme en lui tapotant le dos. Il la conjure de se ressaisir, d’être courageuse… Il tient conseil avec les sbires du défunt. Est-ce une bonne chose que d’alerter les autorités ? Ce décès entre les bras d’une Chinoise ne risque-t-il point de mal la foutre dans le royaume du prince ? On a vu des révolutions éclater pour moins que ça. Annoncer au monde qu’il a défunté comme un cardinal dans la couche d’une dame de minuscule vertu, c’est pas bon pour la postérité. Il a pas de conseils à leur donner, Koû d’Ban Boû, mais ça serait son prince à lui comment qu’il le rabattrait au palais en quatrième vitesse et déclarerait bien haut que Sa Majesté a eu un malaise en descendant de Rolls Royce. S’ils attendent trop, elle va raidir, l’altesse, et après, pour ce qui est de la trimbaler, ils pourront toujours galoper, ces petits canaillous. Qu’alors bon, ils admettent. Le futé au talkie-walkie consulte le petit vizir (le grand est à la pêche). Le petit vizir, il règle sa montre sur celle de Koû d’Ban Boû. Oui, oui, ramenez le prince rapidos et tâchez que personne le voie clamsé.

Elle est bonnarde, la combine de Lili Pute. Ses clients clabotent de mort naturelle, ensuite la famille et les familiers écrasent le coup parce que les circonstances ne sont pas reluisantes.

La rouée continue son cinoche. Elle chique à la terreur noire. Elle veut prévenir la terre entière ! Qu’en fin de compte, le petit vizir, de nouveau alerté, s’engage à lui faire porter d’urgence une ceinture en or massif rehaussée d’émeraudes grosses comme des œufs de pigeonne. Celle-là même que portait la princesse Rézéda au mariage du Grand Glandu avec Lady Di.

Li Pût fait dire qu’elle est traumatisée abominablement par ce décès survenu au débotté. La ceinture dorée ne vaut pas une bonne renommée. Si la chose transpire, sa carrière est foutue. Elle exige dix millions de pesetas pour aller se refaire un moral ailleurs. Le petit vizir prend sur lui. Banco !

Ensuite, les deux gardes du corps emmènent celui-ci (de corps). Quand ce petit monde est parti, Lili demande à son péone de lui servir un Drambuie double sur de la glace pilée ; ajoutant qu’elle l’a bien mérité.

Puis elle m’embrasse longuement, passionnément.

— Tu seras ma seule faiblesse, me dit-elle.