Je suis vautré dans un hamac, à l’ombre d’un obervillier pleureur. La lumière, sous cet arbre, est d’un vert d’aquarium. Je me sens léger, aérien, protégé de tout. Le menton sur mon avant-bras, je contemple l’admirable maison. Son toit de tuiles vertes se confond avec la sylve environnante. Une musique asiatique s’en échappe, ses notes sèches et longuement vibrantes vous pincent l’âme. Une paix miraculeuse s’étend sur ce coin du monde. Quel rare bonheur que de pouvoir vivre là ! Je baigne dans une immense félicité.
Je vois sortir ma chère Li Pût sur la véranda. Elle porte une sorte de kimono noir et blanc. Elle me cherche des yeux et m’aperçoit dans le hamac, à dix mètres d’elle. Aérienne, elle saute les trois marches et accourt en foulant le rude gazon japonais. Nous avons fait l’amour une bonne partie de la nuit, et ç’a été su-bli-me. Dès que nos corps sont en présence, un courant électrique nous parcourt, nous unit. Irrésistiblement, nous nous jetons l’un sur l’autre pour des étreintes éperdues, éternellement renouvelées.
Elle est là. Je perçois ses ondes, sa chaleur, son parfum. Son regard étonnant se pose sur moi et j’y lis l’amour, bien qu’il reste infiniment mystérieux. Puis, elle chuchote :
— Ne bouge pas ; laisse-moi faire !
Reporte-toi quelques lignes plus avant, tu reliras que je suis à plat ventre dans le hamac. Li Pût s’assied en tailleur sous le filet tendu par mon volume et coule ses doigts fuselés, diaboliquement experts, entre les mailles au niveau de mon bas-ventre, votre majesté. Je porte un short rose-pédale et un polo bleu-fiote. Habilement, la vibrante fait coulisser la fermeture Eclair (cher Eclair, que de reconnaissance nous te devons pour cette fabuleuse invention qui t’honore comme la Comédie humaine a honoré de Balzac). Ce simple mouvement, et on se paie un garde-à-vous, fixe, dans l’entrepont.
L’exquise, toujours inventive à l’extrême, s’obstine à dégager le señor Bandalez de sa fragile demeure. Tout effort portant ses fruits (fût-ce une banane), le corps à délits (issu de la Terre du même nom) vient saluer. Li voudrait le faire passer entre les mailles du filet. Mais Achtung ! celles-ci ne mesurent que 4 centimètres de diamètre. Qu’à cela ne tienne : Li Pût se dresse et coupe un fil avec ses incisives étincelantes. Pour lors, le passage est doublé et mon protubéreur à haute fréquence peut s’engager par la brèche. Le spectacle doit être sympa, vu en plan général.
Li Pût retrouve sa posture dite « en tailleur ». Elle tend son cou en tige d’arum et me chope, avec la bouche, le petit soldat suisse par le casque. Et alors, tu sais quoi ? Elle se met à me balancer, doucement en branlant le chef ! On te l’a déjà fait, ça, Nicolas ? Non, hein ? Moi, j’en n’avais jamais entendu causer. Faut dire que le hamac n’est pas très répandu dans nos régions (appelées tempérées parce que les intempéries y sont fréquentes). « Poussez, poussez, l’escarpolette ! ». Le bon Messager était de bon conseil. La sensation est intense, suave.
Depuis des semaines, on ne fait que ça, Lili Pute et moi. On rivalise de trouvailles. C’est à qui surprendra l’autre par ses inventeries coquines. On se libère à tout bout de champ. Le personnel a pris l’habitude. Il se compose d’un couple de Malais à frimes mongoloïdes. Râ Cho et Mus Klé feignent de ne pas voir, ou de trouver nos ébats normaux ; mais ça doit drôlement leur porter aux sens.
Dis, ils sont pas de bois ! Je te cite un second exemple : hier, au dîner, Li s’est penchée en avant pour saisir le plat de mangues rafraîchies. Ça m’a fulguré dans le grimpant. Faut dire qu’elle portait une jupette du genre tenniswoman, avec rien dessous. Ne faisant ni une ni deux, je me suis jeté sur elle pour l’embroquer à la clébard. Ce fut du grand art ! Elle se tenait accoudée à la table servie. La vaisselle tremblait. Râ Cho, la servante, se trouvait là, elle faisait flamber des bananes. Les flammes mettaient sur notre fornication des lueurs d’enfer. Li Pût couinait de plaisir. Je voyais la main de Râ Cho qui tremblait pendant qu’elle versait des rasades de curaçao sur le mini-brasier. Tout en bavouillant, je me disais que j’ai décidément perdu toute pudeur. Mais cet affranchissement me ravit. Y a rien de plus super que de s’assouvir librement, à l’instant où le désir vous prend.
Et là, dans mon hamac, je passe des minutes ineffables. Paul et Virginie ! C’est le rêve de tout couple, non ? La liberté dans la nature ! L’euphorie des sens.
Ces Chinois sont des mecs à part, bien plus évolués que toutes les autres peuplades de notre foutue planète ! Des Martiens, dans leur genre. Ils possèdent des connaissances bien en avance sur ce que les Occidentaux, ces sales cons, nomment « le progrès » avec emphase. Toujours à se gargariser avec leur soi-disant intelligence, alors qu’ils sont tous des sacs de merde, comme dit mon copain Sciclou. Par exemple, Li Pût me fait gober des dragées qui ont le goût de gingembre et qui te régénèrent les burnes au fur et à mesure qu’on te les vide. Moi, je trouve que c’est une invention bien plus utile que celle de la bombe H et même que l’Airbus. Tu peux prendre l’Airbus à tire-larigot, c’est pas ça qui te remplira les bourses ; et si tu prends une bombe « H », alors là, t’as plus de couilles du tout ! Grâce à ses pilules miracle, Li Pût, il a toujours l’éclat du neuf, mon dodelineur d’investigations. Je mets sabre au clair dix fois par jour.
Quand je me rase, mais c’est pas tous les jours, je me trouve amaigri, avec des yeux immenses comme continuellement étonnés ; mais ça vient aussi du climat. La chaleur, ça te mène, comme on dit chez nous dans notre campagne natale. Sinon, c’est la fiesta perpétuelle du radada.
Pile au moment où elle vient de me décoder Prosper, une énorme voiture américaine verte, chromée de partout et décapotable, surgit de la forêt.
Elle se range sur le parking et trois hommes en descendent, parmi lesquels je reconnais Koû d’Ban Boû. Tous trois sont habillés de blanc et appartiennent à la race jaune. A les voir, commako, ils font « secte ».
Li Pût se lève et va à eux.
Par discrétion, je reste dans mon filet, très occupé du reste à remettre un peu d’ordre dans ma mise.
Le groupe discute un bon moment sur la pelouse. Koû d’Ban Boû, lui, ne moufte pas, ce sont les deux autres qui en cassent. Ils jactent vite vite. Quand ils s’interrompent, Li Pût prend le relais et se met à en balancer un max. Ça pourrait durer ainsi jusqu’à la Saint-Trou-de-Balle, à l’occasion de laquelle je ne manquerai pas de t’envoyer des fleurs.
Néanmoins, ils finissent par sortir les aérofreins et, d’un commun accord, viennent vers moi. Les deux compagnons de Koû d’Ban Boû sont des personnages fort différents l’un de l’autre. Le plus âgé est tout déshydraté, tout parcheminé, avec des cheveux blancs et une barbe en pointe encore plus immaculée que ses tifs. L’autre est un véritable homme-crapaud : la hideur en personne. Courtaud, trapu, épais, chauve, plissé, avec le regard presque clos mais cependant très proéminent. Ses membres sont arqués, son cou est aussi large que sa tête et quand il respire ça remue en lui depuis le haut de ses cuisses jusqu’à son front.
Le groupe stoppe au ras du hamac. Le crapaud porte la main à sa ceinture et en tire un couteau. D’un coup de pouce sur un bitougnot, il en fait gicler la lame.
Non mais, il va me planter, ce nœud !
Son ya s’avance au-dessus de ma tête. Crac ! Il a sectionné la corde du hamac et je chois dans l’herbe, la tête la première, ce qui m’étourdit passablement.