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Le crapaud-buffle est penché sur mézigue. Posément, il renquille sa saccagne.

— C’est une blague ou une provocation ? je demande depuis le sol.

Personne ne moufte.

Toujours couché, les jambes encore levées parce que l’autre côté du hamac est restée accrochée, je m’adresse alors à Li Pût.

— Tu peux m’expliquer, darling ?

Elle hausse les épaules.

— Il y a un léger problème, répond ma tendre aimée.

— Risquer de me briser les cervicales est une manière de le résoudre ?

— Pour ces messieurs, oui, probablement.

Je tente d’allumer la mèche de ma comprenette. Mais je clapote un peu du bulbe depuis le début de ma période sabbatique.

— Je les gêne ? finis-je par demander.

— Tu les inquiètes.

— En quoi ?

— Parce que tu es un flic.

— Tu sais bien que je ne suis plus rien du tout ! Si. Ton amant. Et cela me suffit car cela constitue toute ma raison d’exister.

— Tu le prétends, je le pense, mais eux ne le croient pas. Ils ont besoin de moi pour une nouvelle mission particulièrement délicate et ils exigent que je me sépare de toi avant que je ne l’entreprenne.

— Tu es d’accord ?

— Tu sais bien que non.

A cet instant, le vieux barbu se met à en casser toute une bordée à ma déesse.

— Qu’est-ce qu’il dégoise, l’ancêtre ?

— Il m’interdit de te parler français, répond-elle en anglais, car aucun de ces messieurs ne comprend ce dialecte.

— Eh bien, continuons en anglais. Quelle est ta réaction ?

— Je refuse de te perdre et je ne travaillerai plus pour eux si on t’enlève à moi.

Je me remets debout en geignant, car j’ai le dos contusionné.

— La situation paraît bloquée, non ? fais-je au vieillard, lequel m’a l’air d’être le big boss.

Son regard, c’est deux petits traits à l’encre… de Chine dans son visage parcheminé. Il les tient braqués sur ma personne comme un double rayon laser.

— Vous avez tort de douter de moi, lui déclaré-je d’un ton pénétrant. J’ai tout abdiqué pour Li Pût. Elle règne sur ma vie. Ai-je tenté une seule fois de partir, voire seulement d’adresser un message à qui que ce soit ? J’ai abandonné ma mère que j’aimais, ma fiancée que j’aimais, mon métier que j’aimais, pour lui consacrer chaque seconde de mes jours, et mon seul idéal serait que cet état de choses dure autant que moi. Vous pouvez lui confier n’importe quelle mission, je dis bien : n’importe laquelle, je l’aiderai à l’accomplir.

Le vénérable me saisit le bras et m’entraîne à l’écart en direction de la forêt. Un minuscule singe au pelage clair pousse un cri en nous voyant venir et se met à jouer les Tarzan, de branche en branche, puis d’arbre en arbre. Ses voltiges déclenchent des cris d’oiseaux jacasseurs.

— Parlons net, murmure le vieux : Li Pût est folle de vous et vous êtes fou d’elle.

— Vous sentez que c’est vrai, j’espère ? dis-je au racorni.

— Je sais qu’il en est ainsi, admet-il ; mais je sais aussi que Li Pût vous fait prendre certaines dragées qui vous conditionnent.

— Elles me stimulent peut-être au plan des prouesses sexuelles, mais elles ne modifient pas mon sentiment, assuré-je avec feu. Le jour où je l’ai rencontrée, je suis tombé immédiatement sous son charme et dans ses bras sans avoir gobé quoi que ce soit.

— Vous êtes un épidermique qui ne peut résister aux fortes tentations de la chair, me déclare le vieux bonze ; mais les liens de chair sont faibles. Si vous cessiez de prendre les dragées de Li Pût, votre cœur cesserait, lui, de suivre votre sexe.

— Qu’en savez-vous ! bondis-je.

— C’est moi qui lui procure les dragées en question, rétorque l’homme bardé de blanc. Je connais toutes les propriétés des produits qu’elles contiennent. Vous êtes un amant fou d’amour et docile, uniquement à cause de l’effet qu’ont ces dragées sur votre psychisme. Présentement, vous vous trouvez dans un état quasiment d’hypnose. Vous tueriez votre propre mère si Li Pût vous le demandait. Mais si vous interrompiez les prises, vous redeviendriez comme avant.

— Vous faites erreur, je n’ai pas besoin de vos saloperies de drogues pour rester éperdument lié à Li Pût.

Mon vis-à-vis secoue la tête, sceptique.

— Li Pût a fait un caprice à votre propos. Jusqu’à votre rencontre, elle s’est toujours montrée une collaboratrice soumise avec laquelle tout était aisé. Et puis elle s’est entichée de vous. Sa volonté de vous garder auprès d’elle était si vive que, craignant de la perdre, j’ai aidé à la réalisation de son désir en vous assujettissant totalement grâce à l’intervention de certains remèdes très anciens de notre pays. Je pensais qu’elle allait se lasser de vous, c’est pourquoi je lui ai conseillé de prendre des vacances dans sa propriété malaise. Lorsque les femmes sont en état de crise amoureuse, au lieu de contrarier leur passion, il convient au contraire de la faciliter. Seulement, vous continuez de l’ensorceler, mon cher. Je vous dis bravo, mais cela me gêne car j’ai terriblement besoin d’elle et ne peux plus attendre la fin de ses turpitudes sexuelles dont on m’a rapporté toute l’extravagance.

« N’étant pas sûr de vous, vous êtes donc de trop. Je vous avais promis de jouer franc-jeu, voilà qui est fait. »

On continue de marcher à la lisière de la forêt qui sent le poivre. D’admirables oiseaux s’envolent à notre approche. Une vie formidable grouille sous les immenses frondaisons. Et voilà soudain qu’un coup de tristesse m’accable. Se peut-il que cet enchantement cesse déjà ? On va me chasser du paradis terrestre ?

— Puisque votre produit miracle vous assure, selon vous, ma complète docilité, continuez de me l’administrer, suggéré-je.

Barbempointe décolle ses lèvres extra-minces pour un sourire de commisération.

— Pensez-vous que je vais prendre un tel risque, mon cher monsieur ? Il suffirait que vous vous absteniez d’avaler mes dragées deux jours de suite pour redevenir normal !

— Mais je suis normal ! hurlé-je. Et l’idée me vient, superbe.

— Testez-moi !

— Ah ! oui ? Et comment ?

— Qu’on cesse de m’administrer ces dragées ! On verra bien si mon comportement change. Si je vous donne la preuve qu’elles ne le modifient en rien, vous me ferez peut-être confiance, non ?

Le fossile se met à gratouiller sa barbe soyeuse.

— Il faut y réfléchir, murmure-t-il.

SA PISTE

— Traduis-z’y ! ordonne Béru à sa nièce bien-aimée. C’est pas que je cause mal l’anglais, mais ces gaziers ont un accent que, merde, faut s’l’respirer !

Docile, Marie-Marie demande au patron du bar s’il ne connaîtrait pas ? une superbe Chinoise, dans le secteur, qui pratique le délicat métier de prostituée.

L’homme a la peau du visage tellement tendue que, lorsqu’il ferme un œil, il ouvre le trou du cul. Un rictus naturel tord sa bouche, lui donnant un aspect mauvais qui ne doit pas correspondre à son tempérament, mais qui crée un malaise (un malaise malais).

Il fume une longue cigarette qui dégage une curieuse odeur en se consumant. La fumée rectiligne barre son visage. Marie-Marie songe que ce serait un bel effet cinématographique, cette gueule coupée par cette volute, avec, en arrière-plan, un aquarium dans lequel se poursuivent des poissons jaunes qui lui ressemblent tellement qu’il doit en être le père.

Il murmure, après réflexion :

— Vous prenez la rue Skon Naî Impuhr, c’est la troisième à gauche en sortant. Vous verrez, à peu près dans son milieu, une maison rouge, très étroite. C’est là.