Alors bon, très bien, la fameuse soirée arrive. Pourquoi y sommes-nous conviés ? Mystère et bouledogue (c.d.B.). L’affaire a été arrangée par les soins de Dieu-le-Père, c’est-à-dire, par mister Fou Tû Kong.
Un trèpe choisi et varié se pointe dans les salons d’apparat de l’ambassade. Les Jaunes sont en majorité (du jaune citron au jaune bronze), mais y a également pas mal de Blancs et en plus quelques Noirs pour faire sérieux.
Le couple ambassadal reçoit les invités, debout, à l’entrée. Lui, c’est un miroton d’une cinquantaine de balais, au regard clair, un peu coloré dans la région du tarin, avec des cheveux gris clairsemés. Elle, une vieille évaporée qu’on a introduite à la va-comme-je-te-comprime dans une robe-fourreau noire, mais rappelle-toi qu’elle doit être duraille à dégainer, la mère ! Elle est boulotte, le pot d’échappement au ras de la moquette, avec un bide plein le devant, et de gros nichemars mollassons qui se répandent sur son sternum comme un seau de tripes qu’on lui aurait vidé dans le soutien-gorge.
Elle est teinte en bleu, avec des traînées blondes. Sa quincaillerie rutile à son cou, à ses poignets, à ses doigts. Dans cet appareil, elle pourrait jamais traverser sa piscaille à la nage, moi je te le dis !
Je presse la paluche de tennisman du croquant et je cueille ensuite celle de son brancard en jouant des Mazda tant que ça peut. Je chique d’emblée au gars ébloui, frappé au cœur par la beauté campée devant lui. Le côté : « Ahrrr, mon Dieu ! Se peut-ce ? Si je m’attendais à ça ! »
Elle me capte cinq sur cinq, salope comme je la subodore. Son regard farineux me répond : « Bé, voui, mon bonhomme, j’ai le cul du siècle et je suis prête à te narguiller le brise-jet si tu me cherches ! »
J’en finis pas de garder sa menotte fripée dans ma dextre virile, ni de vriller mes châsses conquérantes dans le pot de gélatine à deux trous qui lui tient lieu de regard.
Au suivant !
On s’approche du buffet.
— Tu as déjà marqué un point ! me complimente Lili Pute.
— Il va falloir suivre ! modesté-je. Et pour toi ?
— Ça va, répond-elle laconiquement.
Tu parles que « ça va ! » Les julots de la boum n’ont d’yeux que pour elle. Faut dire qu’elle est pas triste à regarder, la chérie ! Plus fascinante qu’elle, tu te pètes l’aorte !
On écluse une coupe en guignant nos proies. Bientôt, les hôtes ont fini le jeu du serrement de paume. Ils sont alors abordés par des groupes d’invités qui viennent leur tartiner les gnagnateries d’usage. Rien de plus con qu’une réception, si ce n’est une autre réception plus importante. T’as une douzaine de mots à dispose qu’il faut absolument placer dans le laps de temps qui t’est imparti. Le premier d’entre eux étant l’adjectif « merveilleux » : soirée merveilleuse, toilette merveilleuse, ambiance merveilleuse, buffet merveilleux ; et comme quoi c’est merveilleux l’à quel point tout est merveilleusement merveilleux ! Bande de cons ! Ecrémés du bulbe ! Fornicateurs de trous d’évier ! Mais tu sais qu’il faudrait pouvoir me haïr tout ça, mon pote ? Me l’empiler dans des fosses d’aisance en laissant une couche de merde au-dessus, pas qu’ils prennent l’air ! Ils sont dépravants, ces faisandés. Ils puent la venaison attardée ! Le chrysanthème flétri, le slip trop longtemps porté ! Heureusement que le temps les tue ! Mais ils repoussent ! C’est ça, l’horreur : ils repoussent, y compris du goulot !
Certains tentent de nous aborder. Une nana comme Li Pût lâchée dans une compagnie, et c’est l’émoi des maris. On snobe tous ces pèlerins de la voirie humaine ; on leur regarde au travers ; on leur passe outre. Jusqu’au moment, qu’enfin, on voit une éclaircie du côté de chez les Swan (c’est leur blaze, aux bassadeur et drice). Alors on se sépare momentanément, Lili et moi. Que le meilleur gagne !
Je la coince tandis qu’elle jacte avec un Japonais qui lui jappe au nez car il est sourd et, si t’as remarqué, les sourds gueulent toujours en parlant, même quand ils sont japonais.
Habilement, je m’interpose entre la drice et le Jap. Il continue de jacter à mon dos, puis celui-ci ne lui répondant pas, finit par la boucler.
Tu me materais à pied d’œuvre, j’ suis convainqueur que t’abasourdirais de mon brio. Pas par four roads, l’Antoine. Au lieu de lui susurrer comme quoi son champagne, son salon, son cul, ses bougies pour planter dedans et ses petits fours sont « merrrrrrrveilleux », je lui raconte suce-sein-tement ceci :
— Madame, votre salon donne sur une terrasse ; les portes-fenêtres sont grandes toutes vertes ; la nuit est tiède et embaume l’eucalyptus. Depuis bientôt une heure, je vous admire à la clarté des lustres, aurai-je le bonheur de vous admirer légalement à celle des étoiles qui, je le sais déjà, vont merveilleusement avec vos yeux ?
Textuel, posément, et ce sur un ton qui mouillerait ton Pampers de fond en comble.
Mistress Swan, tu peux croire qu’une jactance de ce calibre, ça fait depuis la guerre de Sécession qu’on ne la lui avait pas balancée, et même elle l’a jamais eue vraiment en version originale. Ses cils sont collés par du mascara crème telles des pattes de moustique par la glu du papier tue-mouches, vu la surcharge qu’elle s’est filée. Ça lui fait un z’œil comme le soleil dans un dessin d’enfant.
Elle me gloupe en plein. Elle énamoure. M’escorte jusqu’à la porte-fenêtre la plus proche.
La terrasse, très vaste, est délimitée en différentes zones par des plantes en bac. On y trouve un coin de repos, un coin de repas, une aire de jeu.
Mon hôtesse se dirige jusqu’à la balustrade où elle s’accoude, bien déguster l’heure enchanteresse. On voit la ville illuminée, et puis la mer criblée elle aussi de mille feux.
— Vous devez me trouver bien hardi ? je lui chuchote à l’oreille.
— J’aime les hommes hardis, elle répond à voix basse.
Clouc ! je lui file un petit coup de langue dans la portugaise. Surprise, elle en exclame. Mais les gerces, j’ai jamais compris pourquoi, les papouilles dans les manettes, ça les branche tout de suite.
— Et moi j’adore les femmes qui aiment les hommes hardis, ajouté-je.
Le duraille, c’est d’oublier sa tarderie à médème, le combien elle est blette résolument. Et doucettement viocarde dans son genre. Pot à tabac. Heureusement qu’avec les dragées godfort du barbichu j’épanouis du calbute à la moindre pensée volage !
Manière de me solliciter l’Agénor, je me raconte une très somptueuse production « X » où elle tient le rôle principal, la Daronne. Promue Marlène Dietrich de la miche experte pour la circonstance ! Grande star hollywoodienne des trente-six poses ! Mon photomaton le plus saisissant, ça la représente mariée à un saint-bernard.
— Jusqu’à présent, je ne croyais pas au coup de foudre, je lui vagualâme.
Elle non plus, pas beaucoup. Son terrain c’était plutôt le coup de verge, la mère Swan. La v’là qui part à la recherche du temps pas perdu ! Sa bouche de poisson-algue se tend, ronde comme un trou de balle. Mince ! L’embrasser ? Pouah ! La bouche, faut aimer. Tu te forces, tu gerbes ! Faire semblant, c’est le refile assuré. Je lui dévie en souplesse l’objectif. Comme elle a des tendances au nanisme, me suffit d’appuyer sur son épaule d’une main et, de lui fournir, de l’autre, mon zoom à réglage salivaire pour l’amener à genoux d’œuvre, Ninette.
— But I have my red mouth ! elle objecte.
J’y rétorque que ça ne fait rien et qu’elle se grouille avant la clôture de mes bourses en cours.
Elle n’hésite plus à m’interpréter les « Trompettes » d’Aïda pour cor des Alpes.
Dans les salons luminés, ça jacasse à tout-va ; brouhaha mondain. Tu connais ? Non, tu connais pas ? T’as de la veine, cherche pas à connaître, surtout, laisse baigner !