Li Pût qui en connaît long sur la tringle comme la voie ferrée du Transsibérien, a drivé l’affaire de main de maîtresse. Elle a su gommer l’aspect honteux, voire simplement gênant de nos relations pour les transformer en « liens d’amitié ». On brosse en copains, si tu vois ? On se fait des dîners fins chez les uns ou les autres, et après les liqueurs, valsez bénouzes et culottes affriolantes ! Tout le monde sur le pont pour l’exercice d’évacuation du navire !
Le régal des lanciers ! A toi à moi la paille de fer !
Ce soir, ça s’est passé chez nous. Les ambassadeurs ont vécu des instants formides. On leur a sorti le grand jeu, les meilleures figures du ballet : « le chien des baskets de ville » ; « les grands cimeterres sous la hune » ; « le sous-pied de Salins » ; « les morceaux choisis de Casanova » ; « la baise de Castro » et « la couche du moche ». C’était si tant tellement à ce point féerique et endiablé qu’ils ont applaudi, après le baisser de rideau.
Et c’est alors que tout se joue concernant la mission.
Li Pût caresse Mr. and Mrs. Swan de ses doigts chargés d’électricité pas du tout statique, espère !
— A demain, n’est-ce pas, mes chers amours ?
L’Excellence remet son slip de bataille.
— Hélas, ce sera impossible, fait-il.
— Oh ! mon Dieu ! déplore Lili Pute, instantanément désolée.
— Et ce le sera durant trois jours, soupire Dorothy. (Je t’avais pas dit : la mère Swan s’appelle Dorothy ? Son vieux fromage, lui, c’est Hasse. Paraît qu’au boulot il est dur dur. Pour un oui, ou un non, Hasse Swan fait barrage.)
Ma Merveilleuse se tord les mains.
— Trois jours sans vous ! Oh ! non, je ne peux pas…
— Ma chérie, déclare l’ambassadeur, vous savez bien que c’est demain que commence la Conférence internationale de Singapour, à laquelle participeront notre Président, le Premier ministre japonais et le chef du gouvernement de Chine Populaire.
— En effet, j’ai vaguement entendu parler de la chose, convient ma Bellissima.
— Vaguement ! plaisante Swan, mais il n’est question que de cela sur la planète !
Elle lui lichouille prestement la lèvre, façon caméléon.
— Vous savez bien que je ne l’habite qu’accessoirement, votre damnée planète, Bel Amour.
— Et c’est ce qui ajoute à votre charme, adorable nymphe, bavasse le vieux kroum. Toujours est-il que demain, à midi, je dois accueillir mister Président à l’aéroport et que nous l’hébergerons (de F.O.) à l’ambassade pendant son séjour à Singapour.
— Oh ! j’aimerais le voir ! gazouille mon canari d’amour. Ne puis-je me mettre dans un petit coin pour le voir de près ?
Donc, j’attire ton attention, Gaston : c’est ici que se décide le sort du monde pour les jours à venir. Ou bien le père Swan fera droit à la requête de Li Pût, ou bien pas ; auquel dernier cas, on se sera farci ces sinistres parties de jambons pour la peau !
— Hélas, ce n’est guère possible, ma jolie. Depuis plusieurs jours, nous avons les services de sécurité sur le paletot ; les gars qui en font partie ne sont pas des enfants de chœur. Ils épluchent tout et spécialement la liste des personnes devant approcher le Président. Chacune d’elles fait l’objet d’une enquête serrée et les invités seront filtrés. D’ailleurs on a équipé la porte d’entrée d’un système de détection plus sophistiqué que ceux en vigueur dans les aéroports.
Li Pût se ferme. Elle a le don de se rouler comme un pébroque anglais lorsqu’elle est mécontente. Son regard mince se modifie et les paupières ne laissent plus filtrer que les deux pupilles.
— En ce cas, n’en parlons plus, fait-elle, mais vous devenez terriblement fonctionnaire, mon cher, une fois que vous avez remis votre pantalon. Je vous préfère comme ceci…
Elle ouvre un tiroir, en sort un paquet de photographies qu’elle répand sur la table comme on étale un jeu de cartes. Ces belles images nous représentent en train de bien faire, les quatre. C’est son grand gadget, la photo, Lili Pute. Il est pareil à la choucroute : il tient au ventre et se réchauffe indéfiniment.
La mère Swan égosille de pâmage en voyant ces poses suggestives.
— Comme c’est very excitinge, elle glapit, déjà prête à remettre le couvert, cette vorace.
Son bonhomme, par contre, pousse une toute sale frime. Il louche sur les photos et demande, paumé :
— Mais, comment se fait-il ? Pourquoi ?
— C’était trop bon, dear Hasse, répond Li Pût. Quand nous sommes seuls, Antoine et moi, grâce à ces clichés coquins, nous revivons les inoubliables instants passés en votre compagnie, n’est-ce pas, chéri ?
— Oui, renchéris-je, c’est notre pense-bébête.
Outre qu’elle est intraduisible en anglais, ma boutade passe par-dessus la peau de dauphin de sa panique sans l’atteindre.
Il flaire brusquement le tout grand coup fourré de sa carrière, l’Excellence. La méchante colique qui va peut-être lui choir dessus.
Et sa rombière innocente de supplier :
— Oh ! Li Pût d’amour, vous voulez bien m’en donner quelques-unes ?
— Prenez-les toutes, j’ai les négatifs ! assure la perfide, ce qui flanque une nouvelle décharge de haute tension dans le rectum de l’ambassadeur.
— Qui a pris ces photos ? demande-t-il.
— Un appareil incorporé au montant de mon lit, mon aimé !
— C’est de la folie, assure-t-il. Si elles tombaient entre des mains inamicales…
— Quelle idée ! s’écrie Lili Pute, parfaite d’innocence.
Sa surprise est si authentique qu’on voudrait la faire encadrer et la suspendre avec les ex-votos de Lourdes.
Elle ajoute :
— Vous n’imaginez pas que je pourrais les montrer à qui que ce soit, Hasse ? Ce serait de la folie douce ! Nous serions tous quatre perdus de réputation et votre brillante carrière volerait en éclats !
Du grand art, je te dis ! Elle est plus fascinante encore dans ce numéro de chantage inavoué que dans sa démonstration de brossage.
Elle le prend par le cou et coule sa main insinuante sous sa chemise pour lui masser la poitrine.
— Dites, bel amour, vous n’êtes pas inquiet, au moins ? Vous voulez que je vous donne les négatifs ? Oui, n’est-ce pas ? Vous voici tracassé. Si j’avais su, je ne vous aurais pas montré ces photos.
Elle lui caresse maintenant l’entrejambe de sa main restée libre.
— Hasse chéri, je vous les donnerai, c’est juré.
— Quand ? balbutie ce vieux connard.
Elle fait sa chatte :
— Invitez-moi à la réception du Président et je vous porterai les pellicules !
Il y a un temps mort ; vraiment mort pour Swan que je sens au bord de l’agonie.
— Et si je ne parviens pas à vous inviter ? questionne-t-il après avoir rassemblé tout l’oxygène encore disponible dans ses foutus poumons.
Elle s’écarte de lui, boudeuse.
— En ce cas, vous seriez un grand méchant, Hasse.
C’est tout. Pas une broque de mieux.
Les époux ricains nous quittent. La vioque est ravie d’emporter les photos graveleuses. Son vieux titube d’angoisse.
Lorsqu’ils sont partis, Li Pût se jette dans un fauteuil en éclatant d’un rire de ruisselet sur des cailloux roses.
— Tu as vu la tête qu’il faisait, pouffe ma Sublime. On aurait dit un homme venant d’apprendre qu’il a le cancer !
— Ces photos sont pires que les pires métastases, dis-je. Il va passer la nuit à les regarder ; mais au lieu de l’exciter, elles le feront débander.