Выбрать главу

Fou Tû Kong prend dans sa manche très ample un étui de carton qui pourrait receler un thermomètre.

— Il y a là-dedans un autre drapeau tout pareil au premier.

Il me le tend.

— Votre rôle consistera à procéder à la substitution avant de passer à table, mon estimable ami. La chose est délicate, certes, car vous devrez agir à l’insu de tous ; mais je suis convaincu que Li Pût saura vous assister, soit en vous masquant, le temps de l’échange, soit en mobilisant l’attention au moment où vous agirez, ce qui ne lui est pas difficile étant donné son grand éclat. Vous devez réussir ! C’est impératif. Ensuite vous aurez toute possibilité pour remettre le fume-cigarette à Li Pût. Maintenant, nous nous sommes tout dit.

Là-dessus, il s’en refile une bonne giclée dans le gobe-mouches.

Le rouquin lui présente son bras pour l’aider à s’arracher du fauteuil. Mais le vieux, par coquetterie, le dédaigne et se lève.

Il s’incline devant ma Merveilleuse et lui dit en chinois :

— Il est des missions qu’on n’a pas le droit de rater et qui, lorsqu’on les réussit, vous ouvrent les portes du Troisième Niveau.

Pardon ? Qu’est-ce que tu dis ? Que je ne comprends pas le chinois ? Ben oui, et alors ? Ah ! je n’ai donc pas pu comprendre cette phrase ? Très juste.

Je reprends.

Il s’incline devant ma Merveilleuse et lui dit en anglais :

— Il est des missions, etc.

Ça te va comme ça, tête de nœud ?

Tu vois, ce qui nous tue, nous autres Français, c’est notre cartésianisme.

Heureusement que c’est ce qui nous sauve.

LA GRANDE SOIRÉE DE SA VIE

(suite)

Le « M. l’attaché culturel » X… (je me verrais encore mieux en « attaché d’embrassades ») est nickel, briqué, en ordre, quand il sort de sa résidence avec, au bras, la plus follement belle femme qui fut en ce monde depuis que notre mère Eve retourna chez ses parents après cette pomme de discorde avec Négrita, le premier rhum.

On a fait les choses en grand puisqu’une fuligineuse Rolls Royce nous attend. Je dirais bien une « magnifique » Rolls, mais ça ne serait pas assez superlatif. Alors, j’emploie fuligineux, parce qu’elle est noire et que fuligineux fait penser à vertigineux et aussi à folie ; et qu’enfin, merde ! je suis libre d’écrire ce qui me plaît, ne vivant ni chez Pine-hochet, ni en oignon soviétique. O.K. ?

Donc, une fuligineuse Royce nous attend, pilotée par un chauffeur en grande tenue, pas trop débridé, mais jaune quand même, tendance pamplemousse, si tu vois ?

Une vitre de séparation, à l’ancienne, nous isole du driveur. Lorsque j’ai rejoint Li Pût sur le cuir odorant, couleur champagne, du carrosse, je commence à comprendre ce que ressent ce grand glandeur de duc des Tambours quand il accompagne l’Elysée-bête à ses sauteries, en se retenant de rigoler, le pauvre biquet, lorsqu’elle affuble un bonnet à poils.

Y a même plus que commak qu’il la voit encore à poil, tu penses, archigrands-mères comme ils sont devenus, les deux. Depuis le temps qu’elle a été appelée araignée, c’est normal qu’elle ait des poils. La mygale et la fourmi !

Notre Royce rollse à tout-va par les artères grouillantes de Singapour. La nuit n’est pas encore tombée, mais comme déjà toutes les loupiottes de la ville sont allumées, on a l’impression que si.

Li Pût me tient la main, puis me la lâche pour me caresser la cuisse. Effet magique : mon bénouze protubère.

— Si tu continues tes basses œuvres, plaisanté-je, je ne vais pas être présentable en arrivant chez les Ricains ; ou alors il faudra que je fasse comme Bayard qui avait fait souder un tronçon de cheneau devant la braguette de son armure !

Cette protestation (qui n’en est pas une, vraiment) lui met les doigts en verve, comme écrit la pointe de Duras. Ça tressaille dur, région kangourou. Il devient vachement marsupial, l’Antoine. En attendant de goder ! Et soudain, malgré le confort de notre palace roulant, nous sommes projetés en avant, Lili Pute et mézigue. Un monstre coup de frein, puis un choc.

Notre chauffeur s’écrie :

— Scrisssna diva ang kulé !

Ce qui, traduit de son dialecte j’nou, signifie : « Il ne sait pas conduire, cet abruti ! » ou un truc approximant.

Explication : une vieille camionnette exténuée vient de piler sec devant nous et notre carrosse l’a percutée.

Las, son plateau était chargé de seaux de peintures, lesquels ont chu sur le capot de la Rolls ; l’un d’eux s’est ouvert et notre pare-brise est aveuglé par une large flaque brunâtre. Furax, le chauffeur débanquette pour aller aboyer dehors.

— Quel crétin ! s’écrie Li Pût, nous allons être en retard, il nous faut prendre un taxi.

— O.K. ! Je vais essayer d’en trouver un !

Je sors à mon tour pour héler un bahut. Mais à peine suis-je dans la rue qu’un type portant une espèce de passe-montagne tibétain et des lunettes de soudeur à l’arc se précipite à ma rencontre en brandissant une boutanche de spray.

Je ne pige qu’il s’agit de spray que lorsque je vois fuser du bec sommant le tube métallique un jet vaporeux. L’effet est immédiat, un monstre vertigo m’empare. Tout devient flou, c’est le fog londonien plein pot ! Mes yeux me brûlent. Je chiale, je tousse, je m’évertue, je chancelle, je titube (digestif).

Et puis des mains me happent, m’entraînent. On me bouscule, je tombe sur des sacs. Je veux me remettre droit, mais je suis à bord d’un véhicule qui décarre et son démarrage me fait m’affaler (non, je préfère écrire : me fait affaler, vive l’intransitif ! demandez l’intran !).

La giclée de gaz m’a chancetiqué, sans pourtant me faire perdre connaissance. Je me dis : « On t’enlève, Sana ! » Alors je me demande qui se peut-ce ? Et la réponse me vient : Cette vieille guenillerie déshydratée de Fou Tû Kong, à n’en pas douter. Il n’a pas confiance en moi. Il a fait semblant, à cause de Li Pût, pour ne pas la braquer, mais il préfère me retirer du jeu au dernier moment pour la laisser jouer la partie toute seule. Ne va-t-il pas me gommer, du temps qu’il y est ? Je tente de rouvrir mes vasistas, mais ça me cuit trop. La lumière est un fer rouge. Je m’agenouille tant mal que bien sur les sacs vides qui dégagent une forte odeur chimique. La tire dans laquelle je me trouve doit être vétuste car elle accuse et amplifie le moindre cahot. De plus elle ferraille comme une batterie de casseroles attachées aux queues d’une meute.

Et brusquement, dominant le vacarme, un bruit de détonation moelleuse, ample, fort, gras, superbe. Un pet, puisqu’il faut l’appeler par son nom.

— Béru ? je murmure.

— Yes, sir, répond la voix familière.

J’attends un moment. Ma rassurance quant à mon sort cède le pas à la colère :

— Qu’est-ce qui t’a pris, bougre d’abruti ! Arrête immédiatement.

Je tâtonne pour stopper tout, prêt à faire du pas beau si besoin est.

— Eh, calmos, l’artiss ! beugle le Mastodonte. Si faut qu’j’vais t’faire t’nir tranquille, j’ai du répondeur, espère ! M’rest’z’encore su’ la tomate l’praliné Suchard qu’tu m’as accroché aux badigoinces, l’aut’ jour, chez ta Tonkinoise d’mes deux !

Mais son beau discours, mon cœur est las de l’entendre. Mes forces revenant, à défaut de ma vue, je commence à bordéliser dans sa tire.