— C’est très suffisant comme cela, n’est-ce pas ?
Il approuva.
Elle l’invita, du geste, à prendre place dans l’unique fauteuil de la pièce, de style crapaud, lequel était recouvert du même tissu que celui qui garnissait les murs.
— After you ! protesta le gentleman.
— Oh ! non : vos genoux seront pour moi le plus merveilleux des sièges, gazouilla-t-elle.
Il la contempla avec émotion, lui sourit. Elle était d’une gigantesque beauté dans sa robe-fourreau de soie noire décolletée assez bas. Un cœur en diamants illuminait le creux de ses seins délicats. Son corps était une espèce de vibrato infini. Tout en lui exprimait la lascivité, la science amoureuse poussée au paroxysme. Mais on ne pouvait s’empêcher de revenir sans cesse au visage de Lili Pute : stupéfiant de grâce absolue. « La perfection ! » se répétait Lord Oldbarbon, fasciné par l’ovale parfait du visage, par ses pommettes hautes, par ce regard oblique, si intense et si mystérieux. La pupille semblait être rectangulaire et taillée dans le jais. Il admirait de même la couleur indéfinissable de sa peau satinée. Elle n’était pas jaune, mais bistre et rose, de ce rose fragile des pêches qui commencent tout juste à mûrir. Elle avait les cheveux coupés assez court, abondants et lustrés ; ils lançaient des reflets comme de la laque noire sous un projecteur. De laque, également, était sa bouche harmonieuse. Laque d’un rouge sombre tirant sur le bordeaux ; écrin précieux pour perles rares !
Lord Oldbarbon s’assit gauchement. Comme il était grand, ses genoux remontèrent au niveau de sa poitrine, à cause aussi du siège très bas.
— Vous êtes séduisant comme votre Angleterre, Honorable, déclara Lili Pute.
Elle eut un geste court et précis de la main droite pour remonter la tirette invisible de la fermeture Eclair, également invisible, qui fermait le bas de sa robe. Le fourreau s’ouvrit du bas. Une jambe de la Chinoise en jaillit. Lili Pute se plaça à califourchon sur les genoux de son hôte, face à lui. Des ondes bouleversantes inondèrent le vieux crabe. Malgré son flegme, tout s’accéléra en lui. Il eut l’impression d’être soudain revenu à son âge fort. Cela faisait une bonne dizaine d’années déjà que son sexe somnolait dans sa culotte, répondant en boudant aux stimulations qu’on lui prodiguait. Et là, à l’instant même : hop ! Debout les morts ! Garde à vous, fixe !
Oldbarbon retint un hennissement de joie sauvage. Il triquait impétueusement ! Seigneur, se pouvait-ce ! Ô merci de Tes grâces, Dieu tout-puissant !
Lili Pute plaça ses mains croisées sur la nuque du lord. Elle avait un parfum unique, capiteux, jamais flairé par des narines occidentales. Cela sentait l’aube ténue du printemps, l’orange au soleil, le bouton de rose après l’averse, la chevelure d’enfant, que sais-je !
Elle chuchota à l’oreille droite d’Oldbarbon (sa bonne justement, ô miracle !)
— Vous me troublez, mon merveilleux ami. Vous me troublez à un point que vous ne pouvez savoir… A moins que votre main ne vérifie la chose.
D’une pression sur l’épaule, elle lui dicta ce qu’il devait faire. Hébété de désir, Lord Oldbarbon hasarda sa main vers l’entrejambe de son invitée.
Nouvelle secousse dans son système nerveux : elle ne portait pas de slip. Le vieillard constata donc aussitôt que l’émoi dont elle se prévalait n’était pas feint. De même que les comédiennes pleurent à volonté, Lili Pute sécrétait quand elle le décidait. Cette performance lui avait été enseignée par le mandarin Kû Ra So, le fameux docteur ès sexualité qui avait achevé de la placer sur orbite.
Bouleversé par cette découverte, Lord Oldbarbon ne douta plus une seconde qu’il inspirât le désir à sa compagne d’un soir.
Réunissant ses forces encore vives, il parvint à se dresser en la prenant dans ses bras et s’en fut la déposer sur le lit.
— Chéri, ô mon bel amant ! râla Lili Pute, je vous en conjure, refrénez votre fougue. Avant tout, embrassez le siège de ce désir forcené que vous avez su faire naître !
Le dabe fut sensible à la belle tournure de la phrase et donc à la requête qu’elle exprimait. D’ailleurs, depuis lurette, cézigue-pâteux commençait ses équipées sexuelles par une minouche propitiatoire. Il se dit que différer l’assouvissement c’est accroître le plaisir. Il s’agenouilla donc devant sa conquête et enfouit sa tronche de ptérodactyle entre les cuisses d’icelle. Son ivresse atteignait des sommets. Il se mit à table et, muettement, entonna le God save the Queen. Lili Pute replia ses jambes pour lui faciliter l’accès et lui permettre de prendre ses aises. Avec son talon gauche, elle comptait chaque côte de son partenaire. Elle atteignit la bonne et y appliqua son talon. Lentement, elle dégagea son bras droit et plaça sa main en forme de butoir. Voilà : elle était prête, une fois de plus.
Entre ses cuisses en feu, ce porc d’Honorable avait l’air de chercher des truffes. Lili emplit ses poumons d’air, s’arqua comme sous l’effet de la jouissance et libéra son énergie. C’est-à-dire que, simultanément, elle serra à outrance ses cuisses sur les oreilles du vieux, décocha un terrible coup de talon sur sa côte préalablement « sélectionnée » et balança sa main en piston au plexus du bonhomme. Deux éléments déterminants marquèrent cette triple action : la violence et le synchronisme.
Lord Oldbarbon eut un soubresaut que Lili Pute contrôla avec ses cuisses en étau. Un tremblement intense le transforma pendant un bref instant en marteau-piqueur. Après quoi il resta inerte.
Lili Pute se dégagea prestement. La tronche du lord tomba sur le couvre-lit. La jeune fille se leva, ramassa son sac à main et en sortit une adorable culotte noire bordée d’une fine dentelle mauve. Elle la passa et rajusta sa robe-fourreau.
Par acquit de conscience, elle alla palper le pouls de son hôte. Nobody !
Lili Pute quitta la pièce et descendit au rez-de-chaussée afin d’alerter Burnett, le maître d’hôtel, un mec avec un gros nez jaune qui ressemblait à un toucan.
— Je crains que Lord Oldbarbon ne soit défunté d’une crise cardiaque, lui dit-elle. Vous devriez appeler son médecin, et peut-être aussi demander aux pompiers de venir avec leur appareil de réanimation.
SON CHARME
Juste en face du fameux restaurant La Fonda, dans la vieille ville de Marbella, sur la placette où s’élèvent une petite église et deux ou trois palmiers qui bravent les gaz d’échappement des bagnoles, tu trouves un cabaret plein de charme, dont j’ai oublié le nom, et peut-être qu’il n’en a pas, ce qui expliquerait cette carence de ma mémoire. A partir de minuit, s’y produit un groupe andalou animé par une dame un peu forte mais pleine d’entrain. Ils sont cinq ou six, hommes et femmes, assis en rang d’oignons, le dos à la fenêtre, revêtus de costumes folkloriques. T’as deux guitaristes au regard farouche et appliqué. Ceux qui ne jouent pas frappent dans leurs mains, ce qui donne ces claquements secs que tu les croirais produits avec du bois. Ils chantent ou dansent à tour de rôle et les autres accompagnent des pattounes et des pinceaux. Le plancher vibre d’autant plus fort qu’il n’est pas de la première jeunesse. Le public s’essaie au flamenco, histoire de se mettre à l’unisson ; mais comme il est composé à quatre-vingts pour cent d’étrangers, le résultat n’est pas fameux.
Au fur et mesure que l’heure tourne, l’ambiance se chauffe. T’as toujours une chouette danseuse dans une robe à volants qui se transforme en abat-jour par instants. Sa jupaille se trousse, t’aperçois ses cuisses un éclair ! Jamais plus. T’as beau attendre et mater, t’as jamais droit au slip. Les cuisseaux et point final ! La mère y va de la castañuela à fond la caisse, olé ! Les gaziers cigognent du brodequin. Ils ont des pompes à talon, les mecs, pour que ça sonne mieux. Un glandu trémole de la glotte. On dirait qu’il s’est coincé Coquette dans le tiroir du bas de sa cravate. Il clame à plein bada comme quoi : « Hou lala yayaille, ça fé bobo à la bitouné é é ta… » Qu’en réponse de quoi, la virevolteuse trépigne à outrance, balançant ses bras d’avant en arrière sans cesser de castagnetter.