-Mon Dieu! je prends quelquefois un livre. D'ailleurs, c'est Jules qui choisit pour moi au cabinet du passage Choiseul.... Si je touchais du piano encore!
Octave, depuis longtemps, sentait le besoin de placer une phrase.
-Comment! madame, s'ecria-t-il, vous ne touchez pas du piano!
Il y eut une gene. Les parents pretexterent une suite de circonstances malheureuses, ne voulant pas avouer qu'ils avaient recule devant les frais. Du reste, madame Vuillaume affirmait que Marie chantait juste de naissance; quand cette derniere etait jeune, elle savait toutes sortes de romances tres jolies, il lui suffisait d'entendre les airs une seule fois pour les retenir; et la mere rappela cette chanson sur l'Espagne, l'histoire d'une captive regrettant son bien-aime, que l'enfant disait avec une expression a arracher des larmes aux coeurs les plus durs. Mais Marie restait desolee. Elle laissa echapper ce cri, en etendant la main vers la chambre voisine, ou sa petite dormait:
-Ah! je jure bien que Lilitte saura le piano, quand je devrais faire les plus grands sacrifices!
-Songe d'abord a l'elever comme nous t'avons elevee toi-meme, dit severement madame Vuillaume. Certes, je n'attaque pas la musique, elle developpe les sentiments. Mais, avant tout, veille sur ta fille, ecarte d'elle le mauvais air, tache qu'elle garde son ignorance....
Elle recommencait, elle appuya meme davantage sur la religion, reglant le nombre des confessions par mois, indiquant les messes ou il fallait aller absolument, le tout au point de vue des convenances. Alors, Octave, excede, parla d'un rendez-vous qui le forcait a sortir. Ses oreilles bourdonnaient d'ennui, il voyait bien que cette conversation continuerait de la sorte jusqu'au soir. Et il se sauva, il laissa les Vuillaume et les Pichon se raconter entre eux, autour des memes tasses de cafe lentement videes, ce qu'ils se repetaient chaque dimanche. Comme il saluait une derniere fois, Marie, tout d'un coup et sans raison, devint pourpre.
A partir de cette apres-midi, Octave, le dimanche, hata le pas devant la porte des Pichon, surtout lorsqu'il entendait les voix breves de monsieur et de madame Vuillaume. D'ailleurs, il etait tout a la conquete de Valerie. Malgre les regards de flamme dont il se croyait l'objet, elle gardait une reserve inexplicable; et il voyait la un jeu de coquette. Il la rencontra meme un jour, comme par hasard, au jardin des Tuileries, ou elle se mit a causer tranquillement d'un orage de la veille; ce qui acheva de le convaincre qu'elle etait diablement forte. Aussi ne quittait-il plus l'escalier, epiant le moment de s'introduire chez elle, decide a etre brutal.
Maintenant, chaque fois qu'il passait, Marie souriait en rougissant. Ils echangeaient des saluts de bon voisinage. Un matin, au dejeuner, comme il lui montait une lettre, dont M. Gourd l'avait charge, pour s'eviter les quatre etages, il la trouva dans un gros embarras: elle venait d'asseoir Lilitte en chemise sur la table ronde, et tachait de la rhabiller.
-Qu'y a-t-il donc? demanda le jeune homme.
-Mais c'est cette petite! repondit-elle. J'ai eu la mauvaise idee de la deshabiller, parce qu'elle se plaignait. Et je ne sais plus, je ne sais plus!
Il la regarda, etonne. Elle tournait et retournait une jupe, cherchait les agrafes. Puis, elle ajouta:
-Vous comprenez, c'est son pere qui m'aide a l'arranger, le matin, avant de partir.... Moi, je ne me retrouve jamais toute seule dans ses affaires. Ca m'ennuie, ca m'agace....
La petite, cependant, lasse d'etre en chemise, effrayee par la vue d'Octave, se debattait, se renversait sur la table.
-Prenez garde! cria-t-il, elle va tomber.
Ce fut une catastrophe. Marie avait l'air de ne point oser toucher aux membres nus de sa fille. Elle la regardait toujours, avec l'ebahissement d'une vierge, stupefaite d'avoir pu faire ca. Et, outre la peur de la casser, il entrait dans sa maladresse une vague repugnance de cette chair vivante. Pourtant, aidee par Octave qui la calmait, elle rhabilla Lilitte.
-Comment ferez-vous donc, quand vous en aurez une douzaine? disait-il en riant.
-Mais nous n'en aurons jamais plus! repondit-elle, effaree.
Alors, il plaisanta: elle avait tort de jurer, un enfant est si vite fait!
-Non! non! repeta-t-elle avec entetement. Vous avez entendu maman, l'autre jour. Elle l'a bien defendu a Jules.... Vous ne la connaissez pas: ce seraient des querelles interminables, s'il en venait un deuxieme.
Octave s'amusait de sa tranquillite a discuter cette question. Il la poussa, sans parvenir a l'embarrasser. Elle, du reste, faisait ce que son mari voulait. Sans doute, elle aimait les enfants; s'il avait pu en desirer d'autres, elle n'aurait pas dit non. Et, sous cette complaisance, qui se subordonnait aux ordres de sa mere, percait une indifference de femme dont la maternite ne s'etait pas eveillee. Lilitte l'occupait comme son menage, qu'elle tenait par devoir. Quand elle avait lave la vaisselle et promene la petite, elle continuait son ancienne vie de jeune fille, d'un vide somnolent, bercee dans l'attente vague d'une joie qui ne venait point. Octave ayant dit qu'elle devait s'ennuyer, toujours seule, elle parut surprise: non, elle ne s'ennuyait jamais, les journees coulaient tout de meme, sans qu'elle sut, en se couchant, a quelle besogne elle les avait passees. Puis, le dimanche, elle sortait parfois avec son mari; ses parents venaient, ou encore elle lisait. Si la lecture ne lui avait pas donne mal a la tete, elle aurait lu du matin au soir, maintenant qu'il lui etait permis de tout lire.
-Ce qui est contrariant, reprit-elle, c'est qu'ils n'ont rien, au cabinet du passage Choiseul.... Ainsi, j'ai voulu avoir Andre, pour le relire, tant ca m'a fait pleurer autrefois. Eh bien! justement, on leur a vole le volume.... Avec ca, mon pere me refuse le sien, parce que Lilitte dechirerait les images.
-Mais, dit Octave, mon ami Campardon a tout George Sand.... Je vais lui demander Andre pour vous.
Elle rougit, ses yeux brillerent. Vraiment, il etait trop aimable! Et, quand il la laissa, elle resta devant Lilitte, les bras ballants, la tete sans une idee, dans l'attitude qu'elle gardait pendant des apres-midi entieres. Elle detestait la couture, elle faisait du crochet, toujours le meme bout, qui trainait sur les meubles.
Le lendemain, un dimanche, Octave lui apporta le livre. Pichon avait du sortir, pour deposer une carte de visite chez un de ses superieurs. Et, comme le jeune homme la trouvait habillee, au retour d'une course faite dans le voisinage, il lui demanda par curiosite si elle revenait de la messe, la croyant devote. Elle repondit que non. Avant de la marier, sa mere l'y conduisait tres regulierement. Pendant les six premiers mois de son menage, l'habitude etant prise, elle y etait retournee, avec la continuelle crainte d'arriver en retard. Puis, elle ne savait pourquoi, apres quelques messes manquees, elle n'y avait pas remis les pieds. Son mari detestait les pretres, et sa mere, maintenant, ne lui en ouvrait meme plus la bouche. Cependant, elle restait remuee par la question d'Octave, comme s'il venait d'eveiller en elle des choses ensevelies sous les paresses de son existence.
-Il faudra que j'aille a Saint-Roch, un de ces matins, dit-elle. Une occupation qui vous manque, ca fait tout de suite un vide.
Et, sur ce pale visage de fille tardive, nee de parents trop vieux, parut le regret maladif d'une autre existence, revee jadis, au pays des chimeres. Elle ne pouvait rien cacher, tout lui montait a la face, sous sa peau d'une finesse et d'une transparence de chlorose. Puis, elle s'attendrit, elle prit les mains d'Octave, d'un geste familier.
-Ah! que je vous remercie de m'avoir apporte ce livre!... Venez demain, apres dejeuner. Je vous le rendrai et je vous dirai l'effet que ca m'aura produit.... N'est-ce pas? ce sera amusant.
En la quittant, Octave pensa qu'elle etait drole tout de meme. Elle finissait par l'interesser, il voulait parler a Pichon, pour le degourdir et la lui faire secouer un peu; car, a coup sur, cette petite femme n'avait besoin que d'etre secouee. Justement, le lendemain, il rencontra l'employe qui partait; et il l'accompagna, quitte a arriver lui-meme au Bonheur des Dames, un quart d'heure en retard. Mais Pichon lui sembla moins eveille encore que sa femme, plein de manies commencantes, tout entier au souci de ne pas crotter ses souliers, par les temps de pluie. Il marchait sur la pointe des pieds, en parlant de son sous-chef, continuellement. Octave qui, dans cette affaire, etait anime d'intentions fraternelles, finit par le lacher, rue Saint-Honore, apres lui avoir conseille de mener souvent Marie au theatre.