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-Vous avez fini? demanda Octave, etonne du silence de la jeune femme.

Elle semblait ivre, le visage gonfle, comme au sortir d'un sommeil trop lourd.

-Oui, oui, dit-elle avec effort. Oh! j'ai passe une journee, la tete dans les mains, enfoncee la-dedans.... Quand ca vous prend, on ne sait plus ou l'on est.... J'ai tres mal au cou.

Et, courbaturee, elle ne parla pas davantage du livre, si pleine de son emotion, des reveries confuses de sa lecture, qu'elle suffoquait. Ses oreilles bourdonnaient, aux appels lointains du cor, dont sonnait le chasseur de ses romances, dans le bleu des amours ideales. Puis, sans transition, elle dit qu'elle etait allee le matin a Saint-Roch entendre la messe de neuf heures. Elle avait beaucoup pleure, la religion remplacait tout.

-Ah! je vais mieux, reprit-elle en poussant un profond soupir et en s'arretant devant Octave.

Il y eut un silence. Elle lui souriait de ses yeux candides. Jamais il ne l'avait trouvee si inutile, avec ses cheveux rares et ses traits noyes. Mais, comme elle continuait a le contempler, elle devint tres pale, elle chancela; et il dut avancer les mains pour la soutenir.

-Mon Dieu! mon Dieu! begaya-t-elle dans un sanglot.

Il la gardait, embarrasse.

-Vous devriez prendre un peu de tilleul.... C'est d'avoir trop lu.

-Oui, ca m'a tourne sur le coeur, quand je me suis vue seule, en fermant le livre.... Que vous etes bon, monsieur Mouret! Sans vous, je me faisais du mal.

Cependant, il cherchait du regard une chaise, ou il put l'asseoir.

-Voulez-vous que j'allume du feu?

-Merci, ca vous salirait.... J'ai bien remarque que vous portiez toujours des gants.

Et, reprise de suffocation a cette idee, tout d'un coup defaillante, elle donna dans le vide un baiser maladroit, comme au hasard de son reve, et qui effleura l'oreille du jeune homme.

Octave recut ce baiser avec stupeur. Les levres de la jeune femme etaient glacees. Puis, lorsqu'elle eut roule contre sa poitrine, dans un abandon de tout le corps, il s'alluma d'un brusque desir, il voulut l'emporter au fond de la chambre. Mais cette approche si rude eveilla Marie de l'inconscience de sa chute; l'instinct de la femme violentee se revoltait, elle se debattit, elle appela sa mere, oubliant son mari, qui allait rentrer, et sa fille, qui dormait pres d'elle.

-Pas ca, oh! non, oh! non.... C'est defendu.

Lui, ardemment, repetait:

-On ne le saura pas, je ne le dirai a personne.

-Non, monsieur Octave.... Vous allez gater le bonheur que j'ai de vous avoir rencontre.... Ca ne nous avancera a rien, je vous assure, et j'avais reve des choses....

Alors, il ne parla plus, ayant une revanche a prendre, se disant tout bas, crument: "Toi, tu vas y passer!". Comme elle refusait de le suivre dans la chambre, il la renversa brutalement au bord de la table; et elle se soumit, il la posseda, entre l'assiette oubliee et le roman, qu'une secousse fit tomber par terre. La porte n'avait pas meme ete fermee, la solennite de l'escalier montait au milieu du silence. Sur l'oreiller du berceau, Lilitte dormait paisiblement.

Lorsque Marie et Octave se furent releves, dans le desordre des jupes, ils ne trouverent rien a se dire. Elle, machinalement, alla regarder sa fille, ota l'assiette, puis la reposa. Lui, restait muet, pris du meme malaise, tant l'aventure etait inattendue; et il se rappelait que, fraternellement, il avait projete de pendre la jeune femme au cou de son mari. Il finit par murmurer, sentant le besoin de rompre ce silence intolerable:

-Vous n'aviez donc pas ferme la porte?

Elle jeta un coup d'oeil sur le palier, elle balbutia:

-C'est vrai, elle etait ouverte.

Sa marche semblait genee, et il y avait un degout sur son visage. Le jeune homme songeait maintenant que ce n'etait pas drole, avec une femme sans defense, au fond de cette solitude et de cette betise. Elle n'avait pas meme eu de plaisir.

-Tiens! le livre qui est tombe par terre! reprit-elle en le ramassant.

Mais un coin de la reliure s'etait casse. Cela les rapprocha, ce fut un soulagement. La parole leur revenait. Marie se montrait desolee.

-Ce n'est pas ma faute.... Vous voyez, je l'avais enveloppe de papier, de peur de le salir.... Nous l'avons pousse, sans le faire expres.

-Il etait donc la? dit Octave. Je ne l'ai pas remarque.... Oh! pour moi, je m'en fiche! Mais Campardon tient tant a ses livres!

Tous deux se le passaient, tachaient de redresser le coin. Leurs doigts se melaient, sans un frisson. En reflechissant aux suites, ils restaient vraiment consternes du malheur arrive a ce beau volume de George Sand.

-Ca devait mal finir, conclut Marie, les larmes aux yeux.

Octave fut oblige de la consoler. Il inventerait une histoire, Campardon ne le mangerait pas. Et leur embarras recommenca, au moment de la separation. Ils auraient voulu se dire au moins une phrase aimable; mais le tutoiement s'etranglait dans leur gorge. Heureusement, un pas se fit entendre, c'etait le mari qui montait. Octave, silencieux, la reprit et la baisa a son tour sur la bouche. Elle se soumit de nouveau, complaisante, les levres glacees comme auparavant. Lorsqu'il fut rentre sans bruit dans sa chambre, il se dit, en otant son paletot, que celle-la non plus n'avait pas l'air d'aimer ca. Alors, que demandait-elle? et pourquoi tombait-elle aux bras du monde? Decidement, les femmes etaient bien droles.

Le lendemain, chez les Campardon, apres le dejeuner, Octave expliquait une fois de plus qu'il venait de cogner maladroitement le volume, lorsque Marie entra. Elle conduisait Lilitte aux Tuileries, elle demanda si l'on voulait lui confier Angele. Et, sans trouble, elle sourit a Octave, elle regarda de son air innocent le livre reste sur une chaise.

-Comment donc! c'est moi qui vous remercie, dit madame Campardon. Angele, va mettre un chapeau.... Avec vous, je n'ai pas peur.

Marie, tres modeste, dans une simple robe de laine sombre, causa de son mari qui, la veille, etait rentre enrhume, et du prix de la viande, qu'on ne pourrait plus aborder bientot. Puis, quand elle eut emmene Angele, tous se pencherent aux fenetres, pour les voir partir. Sur le trottoir, Marie poussait doucement, de ses mains gantees, la voiture de Lilitte; pendant que, se sachant regardee, Angele marchait pres d'elle, les yeux a terre.

-Est-elle assez comme il faut! s'ecria madame Campardon. Et si douce! et si honnete!

Alors, l'architecte frappa sur l'epaule d'Octave, en disant:

-L'education dans la famille, mon cher, il n'y a que ca!

V

Ce soir-la, il y avait reception et concert chez les Duveyrier. Vers dix heures, Octave qu'ils invitaient pour la premiere fois, achevait de s'habiller dans sa chambre. Il etait grave, il eprouvait contre lui-meme une sourde irritation. Pourquoi avait-il rate Valerie, une femme si bien apparentee? Et Berthe Josserand, n'aurait-il pas du reflechir, avant de la refuser? Au moment ou il mettait sa cravate blanche, la pensee de Marie Pichon venait de lui etre insupportable: cinq mois de Paris, et rien que cette pauvre aventure! Cela lui etait penible comme une honte, car il sentait profondement le vide et l'inutilite d'une telle liaison. Aussi se jurait-il, en prenant ses gants, de ne plus perdre son temps de la sorte. Il etait decide a agir, puisqu'il penetrait enfin dans le monde, ou les occasions, certes, ne manquaient pas.

Mais, au bout du couloir, Marie le guettait. Pichon n'etant pas la, il fut oblige d'entrer un instant.

-Comme vous voila beau! murmura-t-elle.

On ne les avait jamais invites chez les Duveyrier, ce qui l'emplissait de respect pour le salon du premier etage. D'ailleurs, elle ne jalousait personne, elle ne s'en trouvait ni la volonte ni la force.

-Je vous attendrai, reprit-elle en tendant le front. Ne remontez pas trop tard, vous me direz si vous vous etes amuse.