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Et tous deux causerent des femmes, sans s'occuper davantage de ce qu'elle jouait. Octave eprouva un embarras, en apercevant Valerie: comment agirait-il tout a l'heure? lui parlerait-il ou feindrait-il de ne pas la voir? Trublot montrait un grand dedain: pas une encore qui aurait fait son affaire; et, comme son compagnon protestait, cherchant des yeux, disant qu'il devait y en avoir, la-dedans, dont il se serait accommode, il declara doctement:

-Eh bien! faites votre choix, et vous verrez ensuite, au deballage.... Hein? pas celle qui a des plumes, la-bas; ni la blonde, a la robe mauve; ni cette vieille, bien qu'elle soit grasse au moins.... Je vous le dis, mon cher, c'est idiot, de chercher dans le monde. Des manieres, et pas de plaisir!

Octave souriait. Lui, avait sa position a faire; il ne pouvait ecouter seulement son gout, comme Trublot, dont le pere etait si riche. Une reverie l'envahissait devant ces rangees profondes de femmes, il se demandait laquelle il aurait prise pour sa fortune et sa joie, si les maitres de la maison lui avaient permis d'en emporter une. Brusquement, comme il les pesait du regard, les unes apres les autres, il s'etonna.

-Tiens! ma patronne! Elle vient donc ici?

-Vous l'ignoriez? dit Trublot. Malgre leur difference d'ages, madame Hedouin et madame Duveyrier sont deux amies de pension. Elles ne se quittaient pas, on les appelait les ours blancs, parce qu'elles etaient toujours a vingt degres au-dessous de zero.... Encore des femmes d'agrement! Si Duveyrier n'avait pas d'autre boule d'eau chaude a se mettre aux pieds, l'hiver!

Mais Octave, maintenant, etait serieux. Pour la premiere fois, il voyait madame Hedouin en toilette de soiree, les epaules et les bras nus, avec ses cheveux noirs nattes sur le front; et c'etait, sous l'ardente lumiere, comme la realisation de ses desirs: une femme superbe, a la sante vaillante, a la beaute calme, qui devait etre tout benefice pour un homme. Des plans compliques l'absorbaient deja, lorsqu'un vacarme le tira de sa reverie.

-Ouf! c'est fini! dit Trublot.

On complimentait Clotilde. Madame Josserand, qui s'etait precipitee, lui serrait les deux mains; tandis que les hommes, soulages, reprenaient leur conversation, et que les dames, d'une main plus vive, s'eventaient. Duveyrier osa se risquer alors a retourner dans le petit salon, ou Trublot et Octave le suivirent. Au milieu des jupes, le premier se pencha a l'oreille du second.

-Regardez a votre droite.... Voila le raccrochage qui commence.

C'etait madame Josserand qui lancait Berthe sur Auguste. Il avait eu l'imprudence de venir saluer ces dames. Ce soir-la, sa tete le laissait assez tranquille; il sentait un seul point nevralgique, dans l'oeil gauche; mais il redoutait la fin de la soiree, car on allait chanter, et rien ne lui etait plus mauvais.

-Berthe, dit la mere, indique donc a monsieur le remede que tu as copie pour lui, dans un livre.... Oh! c'est souverain contre les migraines!

Et, la partie etant engagee, elle les laissa debout, pres d'une fenetre.

-Diable! s'ils en sont a la pharmacie! murmura Trublot.

Dans le petit salon, M. Josserand, desireux de satisfaire sa femme, etait reste devant M. Vabre, tres embarrasse, car le vieillard dormait, et il n'osait le reveiller pour se montrer aimable. Mais, quand la musique cessa, M. Vabre ouvrit les paupieres. Petit et gros, completement chauve, avec deux touffes de cheveux blancs sur les oreilles, il avait une face rougeaude, a la bouche lippue, aux yeux ronds et a fleur de tete. M. Josserand s'etant informe poliment de sa sante, la conversation s'engagea. L'ancien notaire, dont les quatre ou cinq idees se deroulaient toujours dans le meme ordre, lacha d'abord une phrase sur Versailles, ou il avait exerce pendant quarante ans; ensuite, il parla de ses fils, regrettant encore que ni l'aine ni le cadet ne se fut montre assez capable pour reprendre son etude, ce qui l'avait decide a vendre et a venir habiter Paris; enfin, arriva l'histoire de sa maison, dont la construction restait le roman de son existence.

-J'ai englouti la trois cent mille francs, monsieur. Une speculation superbe, disait mon architecte. Aujourd'hui, j'ai bien de la peine a retrouver mon argent; d'autant plus que tous mes enfants sont venus se loger chez moi, avec l'idee de ne pas me payer, et que je ne toucherais jamais un terme, si je ne me presentais moi-meme, le quinze.... Heureusement, le travail me console.

-Vous travaillez toujours beaucoup? demanda M. Josserand.

-Toujours, toujours, monsieur! repondit le vieillard avec une energie desesperee. Le travail, c'est ma vie.

Et il expliqua son grand ouvrage. Depuis dix ans, il depouillait chaque annee le catalogue officiel du Salon de peinture, portant sur des fiches, a chaque nom de peintre, les tableaux exposes. Il en parlait d'un air de lassitude et d'angoisse; l'annee lui suffisait a peine, c'etait une besogne si ardue souvent, qu'il y succombait: ainsi, par exemple, lorsqu'une femme artiste se mariait et qu'elle exposait ensuite sous le nom de son mari, comment pouvait-il s'y reconnaitre?

-Jamais mon travail ne sera complet, c'est ce qui me tue, murmura-t-il.

-Vous vous interessez aux arts? reprit M. Josserand, pour le flatter.

M. Vabre le regarda, plein de surprise.

-Mais non, je n'ai pas besoin de voir les tableaux. Il s'agit d'un travail de statistique.... Tenez! il vaut mieux que je me couche, j'aurai la tete plus libre demain. Bonsoir, monsieur.

Il s'appuya sur une canne, qu'il gardait meme dans l'appartement, et se retira d'une marche penible, les reins deja gagnes par la paralysie. M. Josserand restait perplexe: il n'avait pas tres bien compris, il craignait de ne pas avoir parle des fiches avec assez d'enthousiasme.

Mais un leger brouhaha qui vint du grand salon, ramena Trublot et Octave pres de la porte. Ils virent entrer une dame d'environ cinquante ans, tres forte et encore belle, suivie par un jeune homme correct, l'air serieux.

-Comment! ils arrivent ensemble! murmura Trublot. Eh bien! ne vous genez plus!

C'etaient madame Dambreville et Leon Josserand. Elle devait le marier; puis, elle l'avait garde pour son usage, en attendant; et ils etaient en pleine lune de miel, ils s'affichaient dans les salons bourgeois. Des chuchotements coururent parmi les meres ayant des filles a caser. Mais madame Duveyrier s'avancait au-devant de madame Dambreville, qui lui fournissait des jeunes gens pour ses choeurs. Tout de suite, madame Josserand la lui enleva et la combla d'amities, reflechissant qu'elle pouvait avoir besoin d'elle. Leon echangea un mot froid avec sa mere; pourtant, depuis sa liaison, celle-ci commencait a croire qu'il ferait tout de meme quelque chose.

-Berthe ne vous voit pas, dit-elle a madame Dambreville. Excusez-la, elle est en train d'indiquer un remede a monsieur Auguste.

-Mais ils sont tres bien ensemble, il faut les laisser, repondit la dame, qui comprenait, sur un coup d'oeil.

Toutes deux, maternellement, regarderent Berthe. Elle avait fini par pousser Auguste dans l'embrasure de la fenetre, ou elle l'enfermait de ses jolis gestes. Il s'animait, il risquait la migraine.

Cependant, un groupe d'hommes graves causaient politique, dans le petit salon. La veille, a propos des affaires de Rome, il y avait eu une seance orageuse au Senat, ou l'on discutait l'adresse; et le docteur Juillerat, d'opinion athee et revolutionnaire, soutenait qu'il fallait donner Rome au roi d'Italie; tandis que l'abbe Mauduit, une des tetes du parti ultramontain, prevoyait les plus sombres catastrophes, si la France ne versait pas jusqu'a la derniere goutte de son sang, pour le pouvoir temporel des papes.

-Peut-etre trouverait-on encore un modus vivendi acceptable de part et d'autre, fit remarquer Leon Josserand, qui arrivait.

Il etait alors secretaire d'un avocat celebre, depute de la gauche. Pendant deux annees, n'ayant a esperer aucune aide de ses parents, dont la mediocrite d'ailleurs l'enrageait, il avait promene sur les trottoirs du quartier latin une demagogie feroce. Mais, depuis son entree chez les Dambreville, ou il apaisait ses premieres faims, il se calmait, il tournait au republicain doctrinaire.

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