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Et il parla de ses quarante-deux ans, du vide de l'existence, posa pour une melancolie qui jurait avec sa grosse sante. Dans la tete d'artiste qu'il s'etait faite, les cheveux en coup de vent, la barbe taillee a la Henri IV, on retrouvait le crane plat et la machoire carree d'un bourgeois d'esprit borne, aux appetits voraces. Plus jeune, il avait eu une gaiete fatigante.

Les yeux d'Octave s'etaient arretes sur un numero de la Gazette de France, qui trainait parmi des plans. Alors, Campardon, de plus en plus gene, sonna la femme de chambre pour savoir si madame etait libre enfin. Oui, le docteur partait, madame allait venir.

-Est-ce que madame Campardon est souffrante? demanda le jeune homme.

-Non, elle est comme d'habitude, dit l'architecte d'une voix ennuyee.

-Ah! et qu'a-t-elle donc?

Repris d'embarras, il ne repondit pas directement.

-Vous savez, les femmes, il y a toujours quelque chose qui se casse.... Elle est ainsi depuis treize ans, depuis ses couches.... Autrement, elle se porte comme un charme. Vous allez meme la trouver engraissee.

Octave n'insista pas. Justement, Lisa revenait, apportant une carte; et l'architecte s'excusa, se precipita vers le salon, en priant le jeune homme de causer avec sa femme, pour prendre patience. Celui-ci, par la porte vivement ouverte et refermee, avait apercu, au milieu de la grande piece blanc et or, la tache noire d'une soutane.

Au meme moment, madame Campardon entrait par l'antichambre. Il ne la reconnaissait pas. Autrefois, etant gamin, lorsqu'il l'avait connue a Plassans, chez son pere, M. Domergue, conducteur des ponts et chaussees, elle etait maigre et laide, chetive a vingt ans comme une fillette qui souffre de la crise de sa puberte; et il la retrouvait dodue, d'un teint clair et repose de nonne, avec des yeux tendres, des fossettes, un air de chatte gourmande. Si elle n'avait pu devenir jolie, elle s'etait murie vers les trente ans, prenant une saveur douce et une bonne odeur fraiche de fruit d'automne. Il remarqua seulement qu'elle marchait avec difficulte, la taille roulante, vetue d'un long peignoir de soie reseda; ce qui lui donnait une langueur.

-Mais vous etes un homme, maintenant! dit-elle gaiement, les mains tendues. Comme vous avez pousse, depuis notre dernier voyage!

Et elle le regardait, grand, brun, beau garcon, avec ses moustaches et sa barbe soignees. Quand il dit son age, vingt-deux ans, elle se recria: il en paraissait vingt-cinq au moins. Lui, que la presence d'une femme, meme de la derniere des servantes, emplissait d'un ravissement, riait d'un rire perle, en la caressant de ses yeux couleur de vieil or, d'une douceur de velours.

-Ah! oui, repetait-il mollement, j'ai pousse, j'ai pousse.... Vous rappelez-vous, quand votre cousine Gasparine m'achetait des billes?

Ensuite, il lui donna des nouvelles de ses parents. Monsieur et madame Domergue vivaient heureux, dans la maison ou ils s'etaient retires; ils se plaignaient seulement d'etre bien seuls, ils gardaient rancune a Campardon de leur avoir enleve ainsi leur petite Rose, pendant un sejour fait a Plassans, pour des travaux. Puis, le jeune homme tacha de ramener la conversation sur la cousine Gasparine, ayant une ancienne curiosite de galopin precoce a satisfaire, au sujet d'une aventure jadis inexpliquee: le coup de passion de l'architecte pour Gasparine, une grande belle fille pauvre, et son brusque mariage avec la maigre Rose qui avait trente mille francs de dot, et toute une scene de larmes, et une brouille, une fuite de l'abandonnee a Paris, aupres d'une tante couturiere. Mais madame Campardon, dont la chair paisible gardait une paleur rosee, parut ne pas comprendre. Il ne put en tirer aucun detail.

-Et vos parents? demanda-t-elle a son tour. Comment se portent monsieur et madame Mouret?

-Tres bien, je vous remercie, repondit-il. Ma mere ne sort plus de son jardin. Vous retrouveriez la maison de la rue de la Banne, telle que vous l'avez laissee.

Madame Campardon, qui semblait ne pouvoir rester longtemps debout sans fatigue, s'etait assise sur une haute chaise a dessiner, les jambes allongees dans son peignoir; et lui, approchant un siege bas, levait la tete pour lui parler, de son air d'adoration habituel. Avec ses larges epaules, il etait femme, il avait un sens des femmes qui, tout de suite, le mettait dans leur coeur. Aussi, au bout de dix minutes, tous deux causaient-ils deja comme de vieilles amies.

-Me voila donc votre pensionnaire? disait-il en passant sur sa barbe une main belle, aux ongles correctement tailles. Nous ferons bon menage, vous verrez.... Que vous avez ete charmante, de vous souvenir du gamin de Plassans et de vous occuper de tout, au premier mot!

Mais elle se defendait.

-Non, ne me remerciez pas. Je suis bien trop paresseuse, je ne bouge plus. C'est Achille qui a tout arrange.... Et, d'ailleurs, ne suffisait-il pas que ma mere nous confiat votre desir de prendre pension dans une famille, pour que nous songions a vous ouvrir notre maison? Vous ne tomberez pas chez des etrangers, et cela nous fera de la compagnie.

Alors, il conta ses affaires. Apres avoir enfin obtenu le diplome de bachelier, pour contenter sa famille, il venait de passer trois ans a Marseille, dans une grande maison d'indiennes imprimees, dont la fabrique se trouvait aux environs de Plassans. Le commerce le passionnait, le commerce du luxe de la femme, ou il entre une seduction, une possession lente par des paroles dorees et des regards adulateurs. Et il raconta, avec des rires de victoire, comment il avait gagne les cinq mille francs, sans lesquels, d'une prudence de juif sous les dehors d'un etourdi aimable, il ne se serait jamais risque a Paris.

-Imaginez-vous, ils avaient une indienne pompadour, un ancien dessin, une merveille.... Personne ne mordait; c'etait dans les caves depuis deux ans.... Alors, comme j'allais faire le Var et les Basses-Alpes, j'eus l'idee d'acheter tout le solde et de le placer pour mon compte. Oh! un succes, un succes fou! Les femmes s'arrachaient les coupons; il n'y en a pas une, aujourd'hui, qui n'ait la-bas de mon indienne sur le corps.... Il faut dire que je les roulais si gentiment! Elles etaient toutes a moi, j'aurais fait d'elles ce que j'aurais voulu.

Et il riait, pendant que madame Campardon, seduite, troublee par la pensee de cette indienne pompadour, le questionnait. Des petits bouquets sur fond ecru, n'est-ce pas? Elle en avait cherche partout pour un peignoir d'ete.

-J'ai voyage deux ans, c'est assez, reprit-il. D'ailleurs, il faut bien conquerir Paris.... Je vais immediatement chercher quelque chose.

-Comment! s'ecria-t-elle, Achille ne vous a pas raconte? Mais il a pour vous une situation, et a deux pas d'ici!

Il remerciait, s'etonnant comme en pays de Cocagne, demandant par plaisanterie s'il n'allait pas trouver, le soir, une femme et cent mille francs de rente dans sa chambre, lorsqu'une enfant de quatorze ans, longue et laide, avec des cheveux d'un blond fade, poussa la porte et jeta un leger cri d'effarouchement.

-Entre et n'aie pas peur, dit madame Campardon. C'est monsieur Octave Mouret, dont tu nous as entendu parler.

Puis, se tournant vers celui-ci:

-Ma fille Angele.... Nous ne l'avions pas emmenee lors de notre dernier voyage. Elle etait si delicate! Mais la voila qui se remplit un peu.

Angele, avec la gene maussade des filles dans l'age ingrat, etait venue se placer derriere sa mere. Elle coulait des regards sur le jeune homme souriant. Presque aussitot, Campardon reparut, l'air anime; et il ne put se tenir, il conta l'heureuse chance a sa femme, en quelques phrases coupees: l'abbe Mauduit, vicaire a Saint-Roch, pour des travaux; une simple reparation, mais qui pouvait le mener loin. Puis, contrarie d'avoir cause devant Octave, fremissant encore, il tapa dans ses mains, en disant:

-Allons, allons, que faisons-nous?

-Mais vous sortiez, dit Octave. Je ne veux pas vous deranger.

-Achille, murmura madame Campardon, cette place, chez les Hedouin....

-Tiens! c'est vrai, s'ecria l'architecte. Mon cher, une place de premier commis, dans une maison de nouveautes. J'y connais quelqu'un, qui a parle pour vous.... On vous attend. Il n'est pas quatre heures, voulez-vous que je vous presente?