Выбрать главу

Mais Octave ne comprenait pas le commerce de la sorte, dans ces trous du vieux Paris, ou jadis une piece d'etoffe suffisait d'enseigne. Il jura que, pour rien au monde, il ne consentirait a vivre au fond d'un pareil caveau. On devait y empoigner de jolies douleurs!

Tout en causant, ils avaient monte l'escalier. On les attendait. Madame Campardon s'etait mise en robe de soie grise, coiffee coquettement, tres soignee dans toute sa personne. Campardon la baisa sur le cou, avec une emotion de bon mari.

-Bonsoir, mon chat.... bonsoir, ma cocotte....

Et l'on passa dans la salle a manger. Le diner fut charmant. Madame Campardon causa d'abord des Deleuze et des Hedouin: une famille respectee de tout le quartier, et dont les membres etaient bien connus, un cousin papetier rue Gaillon, un oncle marchand de parapluies passage Choiseul, des neveux et des nieces etablis un peu partout aux alentours. Puis, la conversation tourna, on s'occupa d'Angele, raide sur sa chaise, mangeant avec des gestes casses. Sa mere l'elevait a la maison, c'etait plus sur; et, ne voulant pas en dire davantage, elle clignait les yeux, pour faire entendre que les demoiselles apprennent de vilaines choses dans les pensionnats. Sournoisement, la jeune fille venait de poser son assiette en equilibre sur son couteau. Lisa, qui servait, ayant failli la casser, s'ecria:

-C'est votre faute, mademoiselle!

Un fou rire, violemment contenu, passa sur le visage d'Angele. Madame Campardon s'etait contentee de hocher la tete; et, quand Lisa fut sortie pour aller chercher le dessert, elle fit d'elle un grand eloge: tres intelligente, tres active, une fille de Paris sachant toujours se retourner. On aurait pu se passer de Victoire, la cuisiniere, qui n'etait plus tres propre, a cause de son grand age; mais elle avait vu naitre monsieur chez son pere, c'etait une ruine de famille qu'ils respectaient. Puis, comme la femme de chambre rentrait avec des pommes cuites:

-Conduite irreprochable, continua madame Campardon a l'oreille d'Octave. Je n'ai encore rien decouvert.... Un seul jour de sortie par mois pour aller embrasser sa vieille tante, qui demeure tres loin.

Octave regardait Lisa. A la voir, nerveuse, la poitrine plate, les paupieres meurtries, cette pensee lui vint qu'elle devait faire une sacree noce, chez sa vieille tante. Du reste, il approuvait fortement la mere, qui continuait a lui soumettre ses idees sur l'education: une jeune fille est une responsabilite si lourde, il fallait ecarter d'elle jusqu'aux souffles de la rue. Et, pendant ce temps, Angele, chaque fois que Lisa se penchait pres de sa chaise pour changer une assiette, lui pincait les cuisses, dans une rage d'intimite, sans que ni l'une ni l'autre, tres serieuses, eussent seulement un battement de paupieres.

-On doit etre vertueux pour soi, dit l'architecte doctement, comme conclusion a des pensees qu'il n'exprimait pas. Moi, je me fiche de l'opinion, je suis un artiste!

Apres le diner, on resta jusqu'a minuit au salon. C'etait une debauche, pour feter l'arrivee d'Octave. Madame Campardon paraissait tres lasse; peu a peu, elle s'abandonnait, renversee sur un canape.

-Tu souffres, mon chat? lui demanda son mari.

-Non, repondit-elle a demi-voix. C'est toujours la meme chose.

Elle le regarda, puis doucement:

-Tu l'as vue chez les Hedouin?

-Oui.... Elle m'a demande de tes nouvelles.

Des larmes montaient aux yeux de Rose.

-Elle se porte bien, elle!

-Voyons, voyons, dit l'architecte en lui mettant de petits baisers sur les cheveux, oubliant qu'ils n'etaient pas seuls. Tu vas encore te faire du mal.... Ne sais-tu pas que je t'aime tout de meme, ma pauvre cocotte!

Octave, qui, discretement, etait alle a la fenetre, comme pour regarder dans la rue, revint etudier le visage de madame Campardon, la curiosite remise en eveil, se demandant si elle savait. Mais elle avait repris sa face aimable et dolente, elle se pelotonnait au fond du canape, en femme qui se fait son plaisir, forcement resignee a sa part de caresses.

Enfin, Octave leur souhaita une bonne nuit. Son bougeoir a la main, il etait encore sur le palier, lorsqu'il entendit un bruit de robes de soie frolant les marches. Par politesse, il s'effaca. C'etaient evidemment les dames du quatrieme, madame Josserand et ses deux filles, qui revenaient de soiree. Quand elles passerent, la mere, une femme corpulente et superbe, le devisagea; tandis que l'ainee des demoiselles s'ecartait d'un air reche, et que la cadette, etourdiment, le regardait avec un rire, dans la vive clarte de la bougie. Elle etait charmante, celle-la, la mine chiffonnee, le teint clair, les cheveux chatains, dores de reflets blonds; et elle avait une grace hardie, la libre allure d'une jeune mariee, rentrant d'un bal dans une toilette compliquee de noeuds et de dentelles, comme les filles a marier n'en portent pas. Les traines disparurent le long de la rampe, une porte se referma. Octave restait tout amuse de la gaiete de ses yeux.

Lentement, il monta a son tour. Un seul bec de gaz brulait, l'escalier s'endormait dans une chaleur lourde. Il lui sembla plus recueilli, avec ses portes chastes, ses portes de riche acajou, fermees sur des alcoves honnetes. Pas un soupir ne passait, c'etait un silence de gens bien eleves qui retiennent leur souffle. Cependant, un leger bruit se fit entendre, il se pencha et apercut M. Gourd, en pantoufles et en calotte, eteignant le dernier bec de gaz. Alors, tout s'abima, la maison tomba a la solennite des tenebres, comme aneantie dans la distinction et la decence de son sommeil.

Octave, pourtant, eut beaucoup de peine a s'endormir. Il se retournait fievreusement, la cervelle occupee des figures nouvelles qu'il avait vues. Pourquoi diable les Campardon se montraient-ils si aimables? Est-ce qu'ils revaient, plus tard, de lui donner leur fille? Peut-etre aussi le mari le prenait-il en pension pour occuper et egayer sa femme? Et cette pauvre dame, quelle drole de maladie pouvait-elle avoir? Puis, ses idees se brouillerent davantage, il vit passer des ombres: la petite madame Pichon, sa voisine, avec ses regards vides et clairs; la belle madame Hedouin, correcte et serieuse dans sa robe noire; et les yeux ardents de madame Valerie; et le rire gai de mademoiselle Josserand. Comme il en poussait en quelques heures, sur le pave de Paris! Toujours il avait reve cela, des dames qui le prendraient par la main et qui l'aideraient dans ses affaires. Mais celles-la revenaient, se melaient avec une obstination fatigante. Il ne savait laquelle choisir, il s'efforcait de garder sa voix tendre, ses gestes calins. Et, brusquement, accable, exaspere, il ceda a son fond de brutalite, au dedain feroce qu'il avait de la femme, sous son air d'adoration amoureuse.

-Vont-elles me laisser dormir a la fin! dit-il a voix haute, en se remettant violemment sur le dos. La premiere qui voudra, je m'en fiche! et toutes a la fois, si ca leur plait!... Dormons, il fera jour demain.

II

Lorsque madame Josserand, precedee de ses demoiselles, quitta la soiree de madame Dambreville, qui habitait un quatrieme, rue de Rivoli, au coin de la rue de l'Oratoire, elle referma rudement la porte de la rue, dans l'eclat brusque d'une colere qu'elle contenait depuis deux heures. Berthe, sa fille cadette, venait encore de manquer un mariage.

-Eh bien! que faites-vous la? dit-elle avec emportement aux jeunes filles, arretees sous les arcades et regardant passer des fiacres. Marchez donc!... Si vous croyez que nous allons prendre une voiture! Pour depenser encore deux francs, n'est-ce pas?

Et, comme Hortense, l'ainee, murmurait:

-Ca va etre gentil, avec cette boue. Mes souliers n'en sortiront pas.

-Marchez! reprit la mere, tout a fait furieuse. Quand vous n'aurez plus de souliers, vous resterez couchees, voila tout. Ca avance a grand'chose, qu'on vous sorte!

Berthe et Hortense, baissant la tete, tournerent dans la rue de l'Oratoire. Elles relevaient le plus haut possible leurs longues jupes sur leurs crinolines, les epaules serrees et grelottantes sous de minces sorties de bal. Madame Josserand venait derriere, drapee dans une vieille fourrure, des ventres de petits-gris rapes comme des peaux de chat. Toutes trois, sans chapeau, avaient les cheveux enveloppes d'une dentelle, coiffure qui faisait retourner les derniers passants, surpris de les voir filer le long des maisons, une par une, le dos arrondi, les yeux sur les flaques. Et l'exasperation de la mere montait encore, au souvenir de tant de retours semblables, depuis trois hivers, dans l'empetrement des toilettes, dans la crotte noire des rues et les ricanements des polissons attardes. Non, decidement, elle en avait assez, de trimballer ses demoiselles aux quatre bouts de Paris, sans oser se permettre le luxe d'un fiacre, de peur d'avoir le lendemain a retrancher un plat du diner!