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-Et ca fait des mariages! dit-elle tout haut, en revenant a madame Dambreville, parlant seule pour se soulager, sans meme s'adresser a ses filles, qui avaient enfile la rue Saint-Honore. Ils sont jolis, ses mariages! Un tas de pimbeches qui lui arrivent on ne sait d'ou! Ah! si l'on n'y etait pas force!... C'est comme son dernier succes, cette nouvelle mariee qu'elle a sortie, afin de nous montrer que ca ne ratait pas toujours: un bel exemple! une malheureuse enfant qu'il a fallu remettre au couvent pendant six mois, apres une faute, pour la reblanchir!

Les jeunes filles traversaient la place du Palais-Royal, lorsqu'une averse tomba. Ce fut une deroute. Elles s'arreterent, glissant, pataugeant, regardant de nouveau les voitures qui roulaient a vide.

-Marchez! cria la mere, impitoyable. C'est trop pres maintenant, ca ne vaut pas quarante sous.... Et votre frere Leon qui a refuse de s'en aller avec nous, de crainte qu'on ne le laissat payer! Tant mieux s'il fait ses affaires chez cette dame! mais nous pouvons dire que ce n'est guere propre. Une femme qui a depasse la cinquantaine et qui ne recoit que des jeunes gens! Une ancienne pas grand'chose qu'un personnage a fait epouser a cet imbecile de Dambreville, en le nommant chef de bureau!

Hortense et Berthe trottaient sous la pluie, l'une devant l'autre, sans avoir l'air d'entendre. Quand leur mere se soulageait ainsi, lachant tout, oubliant le rigorisme de belle education ou elle les tenait, il etait convenu qu'elles devenaient sourdes. Pourtant, Berthe se revolta, en entrant dans la rue de l'Echelle, sombre et deserte.

-Allons, bon! dit-elle, voila mon talon qui part.... Je ne peux plus aller, moi!

Madame Josserand devint terrible.

-Voulez-vous bien marcher!... Est-ce que je me plains? Est-ce que c'est ma place, d'etre dans la rue a cette heure, par un temps pareil?... Encore si vous aviez un pere comme les autres! Mais non, monsieur reste chez lui a se goberger. C'est toujours mon tour de vous conduire dans le monde, jamais il n'accepterait la corvee. Eh bien! je vous declare que j'en ai par-dessus la tete. Votre pere vous sortira, s'il veut; moi, du diable si je vous promene desormais dans des maisons ou l'on me vexe!... Un homme qui m'a trompee sur ses capacites et dont je suis encore a tirer un agrement! Ah! Seigneur Dieu! en voila un que je n'epouserais pas, si c'etait a refaire!

Les jeunes filles ne protestaient plus. Elles connaissaient ce chapitre intarissable des espoirs brises de leur mere. La dentelle collee au visage, les souliers trempes, elles suivirent rapidement la rue Sainte-Anne. Mais, rue de Choiseul, a la porte de sa maison, une derniere humiliation attendait madame Josserand: la voiture des Duveyrier qui rentraient, l'eclaboussa.

Dans l'escalier, la mere et les demoiselles, ereintees, enragees, avaient retrouve leur grace, lorsqu'elles avaient du passer devant Octave. Seulement, leur porte refermee, elles s'etaient jetees a travers l'appartement obscur, se cognant aux meubles, se precipitant dans la salle a manger, ou M. Josserand ecrivait, a la lueur pauvre d'une petite lampe.

-Manque! cria madame Josserand, en se laissant aller sur une chaise.

Et, d'un geste brutal, elle arracha la dentelle qui lui enveloppait la tete, elle rejeta sur le dossier sa fourrure, et apparut en robe feu garnie de satin noir, enorme, decolletee tres bas, avec des epaules encore belles, pareilles a des cuisses luisantes de cavale. Sa face carree, aux joues tombantes, au nez trop fort, exprimait une fureur tragique de reine qui se contient pour ne pas tomber a des mots de poissarde.

-Ah! dit simplement M. Josserand, ahuri par cette entree violente.

Il battait des paupieres, pris d'inquietude. Sa femme l'aneantissait, quand elle etalait cette gorge de geante, dont il croyait sentir l'ecroulement sur sa nuque. Vetu d'une vieille redingote usee qu'il achevait chez lui, le visage comme trempe et efface dans trente-cinq annees de bureau, il la regarda un instant de ses gros yeux bleus, aux regards eteints. Puis, apres avoir rejete derriere ses oreilles les boucles de ses cheveux grisonnants, tres gene, ne trouvant pas un mot, il essaya de se remettre au travail.

-Mais vous ne comprenez donc pas! reprit madame Josserand d'une voix aigue, je vous dis que voila encore un mariage a la riviere, et c'est le quatrieme!

-Oui, oui, je sais, le quatrieme, murmura-t-il. C'est ennuyeux, bien ennuyeux....

Et, pour echapper a la nudite terrifiante de sa femme, il se tourna vers ses filles, avec un bon sourire. Elles se debarrassaient egalement de leurs dentelles et de leurs sorties de bal, l'ainee en bleu, la cadette en rose; et leurs toilettes, de coupe trop libre, de garnitures trop riches, etaient comme une provocation. Hortense, le teint jaune, le visage gate par le nez de sa mere, qui lui donnait un air d'obstination dedaigneuse, venait d'avoir vingt-trois ans et en paraissait vingt-huit, tandis que Berthe, de deux ans plus jeune, gardait toute une grace d'enfance, ayant bien les memes traits, mais plus fins, eclatants de blancheur, et menacee seulement du masque epais de la famille vers la cinquantaine.

-Quand vous nous regarderez toutes les trois! cria madame Josserand. Et, pour l'amour de Dieu! lachez vos ecritures, qui me portent sur les nerfs!

-Mais, ma bonne, dit-il paisiblement, je fais des bandes.

-Ah! oui, vos bandes a trois francs le mille!... Si c'est avec ces trois francs-la que vous esperez marier vos filles!

Sous la maigre lueur de la petite lampe, la table etait en effet semee de larges feuilles de papier gris; des bandes imprimees dont M. Josserand remplissait les blancs, pour un grand editeur, qui avait plusieurs publications periodiques. Comme ses appointements de caissier ne suffisaient point, il passait des nuits entieres a ce travail ingrat, se cachant, pris de honte a l'idee qu'on pouvait decouvrir leur gene.

-Trois francs, c'est trois francs, repondit-il de sa voix lente et fatiguee. Ces trois francs-la vous permettent d'ajouter des rubans a vos robes et d'offrir des gateaux a vos gens du mardi.

Il regretta tout de suite sa phrase, car il sentit qu'elle frappait madame Josserand en plein coeur, dans la plaie sensible de son orgueil. Un flot de sang empourpra ses epaules, elle parut sur le point d'eclater en paroles vengeresses; puis, par un effort de dignite, elle begaya seulement:

-Ah! mon Dieu!... ah! mon Dieu!

Et elle regarda ses filles, elle ecrasa magistralement son mari sous un haussement de ses terribles epaules, comme pour dire: "Hein? vous l'entendez? quel cretin!" Les filles hocherent la tete. Alors, se voyant battu, laissant a regret sa plume, le pere ouvrit le journal le Temps, qu'il apportait chaque soir de son bureau.

-Saturnin dort? demanda sechement madame Josserand, parlant de son fils cadet.

-Il y a longtemps, repondit-il. J'ai egalement renvoye Adele.... Et Leon, vous l'avez vu, chez les Dambreville?

-Parbleu! il y couche! lacha-t-elle dans un cri de rancune, qu'elle ne put retenir.

Le pere, surpris, eut la naivete d'ajouter:

-Ah! tu crois?

Hortense et Berthe etaient devenues sourdes. Elles eurent pourtant un faible sourire, en affectant de s'occuper de leurs chaussures, qui etaient dans un pitoyable etat. Pour faire diversion, madame Josserand chercha une autre querelle a M. Josserand: elle le priait de remporter son journal chaque matin, de ne pas le laisser trainer tout un jour dans l'appartement, comme la veille par exemple; justement un numero ou il y avait un proces abominable, que ses filles auraient pu lire. Elle reconnaissait bien la son peu de moralite.