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Francis Carsac

Pour patrie l’espace

SCIENCE-FICTION

Collection dirigée par Jacques Goimard

PRESSES POCKET

© Presses Pocket, 1979.

ISBN : 2-266-00691-6

PREMIÈRE PARTIE

I

LA GRANDE CHUTE

Tinkar tombait entre les étoiles. Partout, autour de lui, au-dessus de lui, sous lui, l’infini, leurs points lumineux brillaient, impassibles. Il tournoyait en tombant et voyait passer la Voie lactée, comme une zone de feu glacé. L’instant d’un éclair, il entrevoyait le nuage de gaz qui était tout ce qui restait de son astronef. Peu à peu, exécutant les manœuvres apprises à l’école des Cadets, il ralentit son tournoiement, jusqu’au moment où la bande lumineuse de la galaxie sembla seulement basculer, lentement, comme une toupie à bout de course. Alors, il put réfléchir à son sort.

Il était seul, épouvantablement seul, à des milliards de kilomètres de toute vie, humaine ou autre. Son âme était pleine de désespoir, non à cause de la certitude de sa mort, mais de celle d’avoir échoué dans sa mission. Jamais il ne délivrerait son message à l’amiral commandant la 7e flotte, sur Fomalhaut IV. Les insurgés triompheraient sans aucun doute, l’Empire était perdu.

L’Empire …

Il ne songeait pas à son sort prochain. Pas encore. La rage de la défaite était en lui, plus amère de ne point résulter d’un combat, mais d’un sabotage. Mourir, peu lui importait. Il avait sacrifié sa vie le jour où il avait prononcé le serment. Elle ne lui appartenait plus, il ne respirait que par la grâce de l’Empereur.

L’urgence de sa mission ne lui avait pas laissé le temps de vérifier les hyperspaciotrons. D’ailleurs, qui eût pensé à la possibilité d’un sabotage, quand l’astronef qu’on lui confiait venait de la flottille de la garde personnelle ? Il y avait donc au moins un traître, là aussi. La pourriture gagnait. Et nulle possibilité d’envoyer un message. Les communicateurs hyperspaciaux, que l’on essayait à peine, ne portaient qu’à quinze années-lumière et nécessitaient une telle dépense d’énergie qu’on n’aurait pu les monter que sur les plus gros croiseurs. La 7e flotte n’en disposait pas encore, de toute manière. Et nul, parmi les fainéants de « scientistes », enfermés dans les laboratoires de l’Empire, n’avait été capable d’augmenter leur portée et de diminuer leur poids. Ou n’avait voulu. Pompeux imbéciles, vivant aux crochets de l’État, bons à rien ! Incapables même de loyalisme. N’en avait-on pas exécuté sept pour trahison, la veille de son départ ?

Cette fois, la révolte avait été préparée, longuement mûrie. Rien de ces soulèvements incohérents qu’avaient écrasés les empereurs Ktius IV et Ktius V, et le plus grand de tous, Anthéor III. Secrètement, Tinkar méprisa l’empereur actuel, Ktius VII, homme faible, qui se fût laissé arracher des « réformes » si la Garde stellaire ne s’y était pas opposée.

Tinkar avait été réveillé par la secousse, avant même que le bruit ne lui parvint. Se ruant à la fenêtre de la caserne il avait vu avec ébahissement la haute colonne de fumée tourbillonnante qui marquait la place où existait, quelques instants plus tôt, l’arsenal de Kileor. Puis, lugubres, les sirènes avaient hurlé. Habillé en un clin d’œil, il s’était trouvé, comme il convenait, au pied de l’échelle de coupée de son astronef, moins de cinq minutes après l’alerte, le carnet à la main, prêt à noter le nom du dernier arrivé. Puis, deux mois de lutte contre un ennemi insaisissable, refusant le combat, frappant par derrière, et dont les rares astronefs, chose effrayante, distançaient dans l’espace les croiseurs les plus rapides de la Garde stellaire.

Tinkar avait combattu sur Mars, sur Vénus, sur la Terre, et participé à un raid sur Abel, la troisième planète de Proxima Centauri. Pour le moment, la révolte ne semblait pas s’étendre plus loin dans l’Empire.

Sur Terre, tout ce qui avait été autrefois l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord était déjà aux mains des insurgés. En Asie, de larges zones leur appartenaient. Une moitié de Mars, les deux pôles de Vénus, tous les satellites habitables de Jupiter et de Saturne. Lentement, inexorablement, les forces de la Garde battaient en retraite ; Impéria, la capitale, était maintenant menacée. Enfin, à contrecœur, l’Empereur avait dû se résoudre à faire appel à la Grande Flotte extérieure, dont l’escadre la plus rapprochée se trouvait près de Fomalhaut. Un, deux, trois, dix messagers étaient partis. Aucun n’avait sans doute réussi. C’est alors que le grand amiral avait fait appel à Tinkar.

Il avait gagné cinq ans de suite la grande course stellaire, de la Terre à Rigel III et retour, la première fois, chose inouïe, comme cadet. Si quelqu’un passait, ce serait lui. On lui avait remis le message scellé, et le scout le plus rapide de la flotte. Et il était parti, un matin, dans la fumée d’un violent bombardement chimique.

À peine au-dessus de l’atmosphère, il entra dans l’hyper-espace. Il était seul à bord du petit navire, mais cela ne le troublait pas. La vie d’un garde stellaire était de toute façon ascétique, presque monacale. Nul ne sembla le poursuivre. Le troisième jour, il fut cependant réveillé par la sonnerie d’alerte. L’écran de l’hyperradar était vide, mais un coup d’œil au tableau de bord le fit pâlir : le second hyperspaciotron était hors de phase. Il fallait émerger d’urgence dans l’espace normal et le réaccorder. Il s’en sentait parfaitement capable : l’entraînement des officiers de la Garde comprenait la théorie très poussée de l’hyper-espace et la pratique des hytrons, comme disaient les cadets. Mais un malheur ne vient jamais seul, et comme, avarie réparée, il se disposait à repartir, écrans baissés, comme le veut le règlement, un astéroïde minuscule faucha son antenne. Il eût pu attendre l’arrivée sur Fomalhaut IV, mais, outre que cela l’eût empêché d’envoyer les signaux de reconnaissance, « un bon officier ne ramène pas son astronef avec une avarie qu’il aurait pu réparer lui-même ». Il mit donc son scaphandre, et sortit sur la coque.

Après … Il y avait eu une première explosion, chimique probablement, assez faible. Il s’était cependant retrouvé dans l’espace, loin de l’astronef. Peu lui eût importé : son pistolet réacteur lui eût facilement permis de revenir. Mais il avait tout de suite compris : procédé standard de destruction après abandon. Une petite bombe placée entre les trois hytrons, support central détruit ou faussé, convergence des axes hyper-spatiaux. Et alors, l’enfer !

Il avait environ dix minutes pour s’éloigner, à plein jet du pistolet réacteur. Cela fut juste suffisant. Son jet, mal réglé, l’avait entraîné, tourbillonnant, jusqu’au moment où la lumière de l’explosion le rejoignit. Trois tonnes de matière essayant d’occuper la même place au même instant ! Déluge de radiations ultra-dures, contre lequel, espérait-il, la distance aussi bien que son scaphandre l’avaient protégé. Cela n’avait d’ailleurs aucune importance, il était condamné à mort.

Et maintenant, il tombait entre les étoiles. Il savait qu’il tombait, mais rien ne lui permettait de mesurer sa vitesse. Le nuage de gaz, encore faiblement lumineux, qui occupait l’emplacement de son astronef, ne pouvait lui être d’aucun secours, puisqu’il s’étendait lui-même à une vitesse inconnue.

Il tombait. Peut-être tomberait-il ainsi à jamais, momie ratatinée dans son scaphandre. Plus probablement, attiré par une étoile proche, il finirait volatilisé. De toute façon, il serait mort depuis longtemps, mort sans avoir pu délivrer son message.