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Le visage jaune se ferma.

« Ah ! Je vois. Bon, tu es libre.

—  Nous sommes libres, Pei ! »

Oréna ouvrit la porte, s’effaça :

« Entre, Tinkar ! »

L’appartement était petit, mais meublé d’une manière qui parut au terrien, habitué aux cellules monastiques de la Garde, extrêmement luxueux. Seul un noble eût, sur Terre, possédé ces divans couverts d’étoffes précieuses, cette riche table en bois naturel lustré, ces livres aux reliures de vrai cuir. Quelques tableaux lumineux trouaient les murs comme des fenêtres. Ils représentaient surtout des paysages planétaires. Tinkar tomba en arrêt devant l’un d’eux, une immense plaine rousse déserte se perdant dans une brume violette, derrière laquelle on devinait des collines.

« Mars ?

—  Non. Une planète quelconque.

—  Vous avez peint ces toiles ?

—  Moi ? Non, bien sûr !

—  Vous les avez achetées ? L’Empereur donnerait des milliers de dillars pour les posséder !

—  Il y a peu de chances pour qu’il les voie jamais ! Elles sont l’œuvre de Pei, le jeune homme que nous avons rencontré au poste d’observation.

—  Ah ? Dites-moi, pourquoi avait-il l’air furieux contre moi quand nous sommes partis ? Parce que je suis un planétaire ? »

Elle sourit.

« Heu ! heu ! il y a de ça. Mais surtout parce que, ce soir, tu dîneras avec moi à sa place.

—  Pour cela ? Vous êtes un étrange peuple ! »

Cette fois, elle rit franchement.

« Tu trouves ? Je te laisse un moment pour préparer le repas. »

Resté seul, il examina les livres, en majorité livres d’histoire, certains en interspatial, d’autres en diverses langues qui lui étaient inconnues, sauf deux, très vieux, en anglais et en français. Il les ouvrit : A Brief History of the Conquest of Space, by A. C. Clarke, Londres 1986. Comment cela était-il possible ? On n’était qu’en l’an 1884 de l’Empire ! Ou alors ce livre avait plus de deux mille ans ! Il appartenait à la première civilisation, d’avant les grands cataclysmes ! L’autre, intitulé : Aperçus sur la colonisation de Mars, par Jean Vérancourt, portait comme origine : Paris, 1995. À peine moins ancien. Il les feuilleta, projetant de les emprunter si cela était possible, fasciné par la révélation que, bien avant l’Empire, des hommes s’étaient élancés dans le cosmos, même si cela n’avait été qu’à l’intérieur du système solaire.

« C’est prêt, noble garde ! » dit une voix rieuse derrière lui.

Il se retourna, laissa presque tomber son livre. Oréna avait quitté la simple tunique rouge qu’elle portait et était maintenant vêtue d’une robe longue et vaporeuse, d’une étoffe si fine et chatoyante qu’il n’en avait jamais vue de comparable, même à la cour impériale.

« Voici le menu, continua-t-elle, sans paraître s’apercevoir de son trouble. Consommé Betelgeuse, lamir de Sarnak rôti, salade de pousses de turmak d’Aldébaran IV, fruits hydroponiques, vin de Téléphor II. »

Il rit.

« Je ne suis pas plus avancé. J’ignore ce que peuvent être ces mets fabuleux !

—  Oh ! le lamir est un petit animal, le turmak un légume. Quant à Téléphor c’est une très vieille colonie humaine, d’avant même ton Empire, une des premières. J’espère que tu apprécieras son vin.

—  Je n’ai encore jamais bu de vin ! Nous buvions de l’eau, ou, en cas de coup dur, de l’alcool.

—  Eh bien, il est grand temps que tu t’y mettes. Viens. »

Le couvert, argent et cristal, étincelait sur la table. Il s’assit en face d’elle.

« Je vais vous poser une question peut-être stupide, certainement grossière, mais je dois la poser pour essayer de comprendre votre civilisation. Êtes-vous riche, Oréna ? Appartenez-vous à la classe supérieure ?

—  Combien de fois faudra-t-il te dire que nous n’avons pas de classes sociales ? Suis-je riche ? Ma foi, mes livres se vendent bien. Mais pourquoi cette question ?

—  Ces étoffes, ces ouvrages anciens, cet argent, ce cristal …

—  Pauvre barbare ! Ma robe, oui, est assez coûteuse. Le reste. Eh bien, le reste est tout à fait à ta portée, avec une simple carte A. Nous avons des fourchettes d’argent parce que c’est plus joli, des verres de cristal parce que ce n’est pas plus difficile à faire que le simple verre, et des étoffes très belles parce que les Vélinzi, qui les fabriquent, nous les vendent au poids du fer qui leur manque ! C’est là tout le secret du commerce, Tinkar : apporter à l’endroit où elle est rare une marchandise trouvée ailleurs à bas prix. Quant aux tableaux, je te le redis, c’est un cadeau de Pei.

—  Qui est-ce Pei ?

—  Technicien de communications, et peintre.

—  C’est un de vos amis ?

—  S’il ne l’était pas, il ne m’aurait pas donné cinq de ses toiles ! Il les vend habituellement 500 stellars pièce !

—  L’Empereur les payerait cent fois plus ! »

Un moment il rêva, se vit de retour sur Terre avec une dizaine de ces tableaux, dont la vente lui aurait permis de payer les épreuves d’initiation à la classe noble. Alors, finie pour lui la dure vie de soldat ! Ses futurs enfants n’auraient plus à craindre la dureté des lois et l’injustice des administrateurs. Peut-être pouvait-il retrouver sa famille … Il secoua la tête : reverrait-il jamais la Terre ?

« Tu ne bois pas, Tinkar ? N’aimes-tu pas le vin de Téléphor ?

—  Si. Tout est délicieux, Oréna, et tout me semble irréel. Je me suis réveillé ce matin, m’attendant à être traité comme un prisonnier par mes sauveteurs, pensant passer mes jours dans quelque morne cellule métallique, sans aucun espoir. Hier —  c’est seulement hier ! —  je tombais dans le vide, attendant la mort. Il y a quatre jours, je recevais de la main du ministre de la Guerre les ordres secrets pour la flotte ! Et ce soir, je dîne avec une très jolie femme, et je suis à la fois un homme riche, et un paria ! Je suis libre, mais perdu dans une civilisation étrangère qui, je ne sais pourquoi, me tolère et me nourrit, comme un parasite inoffensif ! Et la personne qui m’offre ce merveilleux repas est celle que j’ai entendue accabler de mépris les planétaires, et que j’ai à demi assommée d’un coup de poing ! Je ne comprends pas. Et je ne puis croire à ma sécurité, pas encore. Sur Terre, la police politique aime beaucoup un jeu cruel, qui consiste à affirmer à un détenu qu’il est libre, et, au moment où il passe la porte du camp, à l’exécuter d’un coup de fulgurateur dans le dos. Si bien qu’on a vu des prisonniers réellement libérés ne pas oser franchir cette porte, et rester là des jours entiers, jusqu’à ce que la faim et le désespoir les poussent à risquer le tout pour le tout ! Jouez-vous à ce jeu avec moi ? Si oui, il est indigne ! Je suis un soldat, et si je dois être tué, que ce soit en face !

—  Ne compare pas les Stelléens aux poux de planètes, Tinkar ! Nous avons nos défauts, oh oui, même nos vices ! Nous ne sommes pas des saints, pas même les pèlerins ! Mais s’il y a une chose qui est inconnue chez nous, c’est bien d’enfermer ou de tuer un homme qui n’est coupable que d’être différent de nous ! Ne t’attends pas à beaucoup d’amitié de la part du Peuple des étoiles. Tu es, pour la majorité d’entre eux, une vermine planétaire, et tu le resteras longtemps, peut-être toujours. Certains essaieront sans doute de te tuer, mais ce sera pour des motifs personnels, et en face ! L’assassinat n’a chez nous qu’une punition, l’expulsion dans le vide, sans scaphandre. Peut-être, un jour, pourras-tu t’intégrer, comme le fit mon père. J’espère que tu sauras mieux en profiter, et que, contrairement à lui, tu ne retourneras pas à ton marécage.