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—  C’est vrai. Comment s’appelle la jeune fille rousse qui est de service vers quatorze heures ? »

Elle rit franchement.

« Anaena ? La nièce du teknor ? Vous aussi êtes pris, beau planétaire ! Mais elle n’est pas pour vous ! Moi, je n’aime pas les poux de terre. Elle … »

Elle laissa traîner sa phrase d’un air significatif.

Il lui restait encore une heure avant le repas de midi. Il la passa assis sur le banc d’un parc, regardant, réfléchissant, essayant de s’imprégner de cette civilisation où il n’était qu’un corps étranger. Des enfants jouaient, un jeu très rapide qu’il ne connaissait pas, consistant à envoyer avec le pied un ballon entre deux poteaux. Une fois, le ballon vint rouler près de lui. Il le ramassa, le leur relança. Un des enfants le reçut, souriant, la bouche déjà entrouverte pour le remercier. Un autre l’interrompit :

« Allons, Igor, ne fréquente donc pas les vermines ! »

Et il essuya soigneusement le ballon comme s’il était tombé dans la boue.

Au restaurant, Petersen, d’un signe de tête, lui conseilla le silence. Il mangea seul à une table, et remarqua que nul Stelléen ne venait s’asseoir aux tables voisines. Il attendit philosophiquement qu’il fût quatorze heures, puis se dirigea vers le poste de commande du teknor.

Tan Ekator le reçut avec un sourire amusé.

« Alors, Tinkar, que pensez-vous du Tilsin ?

—  La machine, ou les hommes ?

—  Les deux.

—  En ce qui concerne la machine, je n’en ai rien vu de ce qui aurait pu m’intéresser. Quant aux hommes, je ne puis dire, sauf exceptions, qu’ils soient très amicaux.

—  Une de ces exceptions est une femme, je crois ?

—  Comment le savez-vous ? Vous me faites espionner ?

—  Croyez-vous que j’en aie le temps ? Non, mais le teknor sait tout. Nous sommes un peuple d’individus ; cela signifie que personne n’a le droit de mettre son nez dans les affaires des autres sans qu’il lui en cuise, mais cela signifie aussi que chacun estime avoir le droit de penser ce qu’il veut des autres, et les langues remuent. Nous sommes une petite ville, planétaire ! À peine vingt-cinq mille individus.

—  Je ne puis donc rien faire sans que vous le sachiez ?

—  Quelle importance cela a-t-il ? D’ailleurs, n’exagérons pas. À part votre aventure avec Oréna, j’ignore ce que vous avez fait ces jours derniers. Il me suffit de savoir que, si vous aviez fait quelque chose d’important, je serais au courant. Prenez garde à Oréna, Tinkar !

—  Pourquoi ? Est-elle dangereuse ?

—  Pas au sens où vous l’entendez. C’est simplement la plus stelléenne de nous tous. Si vous faites l’erreur de vous attacher à elle, vous comprendrez un jour ce que je veux dire.

—  Je ne l’ai plus revue depuis.

—  Oh ! vous pouvez la revoir. Elle ne manque pas de qualités, bien qu’elle soit de ces fous d’avantistes. Mais ce n’est pas pour cela que je vous ai fait venir. Répondez-moi franchement : aviez-vous trouvé, dans votre Garde stellaire, des moyens pour suivre une astronef dans l’hyperespace ?

—  Croyez-vous que je vais vous répondre ? Trahir l’Empire ? »

Le teknor eut un geste las.

« Je ne vous demande aucune trahison, lieutenant ! Je vois simplement les choses plus largement que vous. J’ai étudié l’histoire, c’est la maladie familiale. Mon père s’appelait Mokor !

—  S’appelait ? Mokor est mort ? J’avais cru …

—  Il est mort il y a dix mois, sur le Norge II, victime des Mpfifis. Ce sont là nos ennemis communs. Avez-vous lu l’Essai sur le sens de l’histoire galactique ?

—  Pas encore.

—  Lisez-le. Mokor voyait, et je vois comme lui, en votre Empire aussi bien qu’en nous, le Peuple des étoiles, les germes encore très imparfaits du futur État galactique, réunissant en une pacifique confédération toutes les races …

—  L’empire n’est pas pacifique ! Seuls les faibles sont pacifiques !

—  Allons, encore du jargon de perroquet ! Seuls les forts sont réellement pacifiques, les faibles ne le sont que parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement. Votre Empire est entre les deux : assez fort pour avoir fait régner la paix sur Terre pendant presque deux millénaires, assez faible pour l’avoir faite régner par la force seule. La fin était prévisible, et commençait sans doute quand vous êtes parti. Mais attendez seulement quelques années, et vous pourrez revenir sur Terre. Rien n’y sera changé, à part le nom des chefs, ou bien alors tout se sera écroulé dans le chaos. Peu importe que le chef soit élu ou règne de droit divin, s’il est bon. S’il est mauvais, comme vos empereurs depuis quelques siècles, il sape lui-même sa propre force par cruauté ou par bêtise. Croyez-vous que le départ de plus de quarante mille techniciens et savants lors du grand exode ait renforcé votre planète ?

—  Le départ de traîtres …

—  Pensez donc par vous-même, au lieu de répéter les lieux communs qu’on vous a enfoncés dans la tête ! Traîtres à qui ? À la Terre, à la race humaine, ou bien à un Empereur dément ? Les traîtres, ce sont les gens comme vous qui, par paresse d’esprit, prêtent leur concours à des tyrans. Il me faut une réponse à ma question de tout à l’heure, car nos vrais ennemis, ce sont les Mpfifis, et eux ont le secret de nous suivre dans l’hyperespace, et de nous tomber dessus à l’improviste. Croyez-vous, de plus, qu’ils respecteraient votre planète ? Demandez aux survivants de Téroé III !

—  Téroé III ?

—  Ah ! oui, c’est tout frais, un mois à peine, et ce n’est pas encore connu de tout le monde. Sans la rencontre inopinée que nous avons faite du Napoli nous ne le saurions pas. Téroé III était une colonie de Rapa, elle-même colonie pré-impériale de Polynésiens. Il y avait sur ce monde environ cinq millions d’hommes. Il en restait six cents quand le Napoli a pu les secourir. Les Mpfifis avaient tué le reste !

—  Et vous croyez que notre faible civilisation terrienne peut posséder un secret technique que vous n’avez pas vous-mêmes ?

—  Oh ! nous l’aurons. Dans un mois, dans un an, dans dix ans ! Jusqu’à présent nous n’en avions pas besoin, aussi ne l’avons-nous pas cherché …

—  Et depuis trente ans que les Mpfifis attaquent vos cités …

—  Au début, nous avons pensé qu’ils avaient de la chance, après tout, les attaques étaient très rares. Deux cités perdues, pas plus. Peut-être était-ce simplement de la chance, en effet. Mais toutes nos autres pertes ont eu lieu dans les derniers dix-huit mois ! Votre Empire, toujours en guerre avec ses colonies, pourrait avoir développé un tel procédé …

—  Pourquoi vous le donnerais-je, si nous le possédions ? Vous dites que, de toute façon, vous le trouverez d’ici peu.

—  Parce que, en ce moment même, une cité mpfifi nous suit peut-être dans l’hyperespace, prête à fondre sur nous, et que quelques heures peuvent faire toute la différence entre la vie et la mort.

—  Nous n’avons pas ce secret, teknor.

—  Tant pis ! J’avais espéré … je suppose que vous me dites la vérité !

—  Pourquoi mentirais-je ?

—  Qui peut pénétrer la mentalité d’un planétaire ? Réfléchissez, Tinkar, et si vous changez d’avis, si vous avez le secret, donnez-le nous, car nous sommes finalement le meilleur rempart de votre Terre ! Maintenant, allez au numéro 806, dans cette même rue, et demandez le livre de Sorensen, édition complète. Je tiens à ce que vous sachiez tout ce qu’il est possible de savoir sur les Mpfifis. Dites que je vous envoie. »