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—  Si ce petit jeu recommence souvent, je n’ai plus qu’à me suicider ! Ce serait plus rapide !

—  Tout sera différent maintenant. Du fait qu’ils t’ont provoqué en duel, ils ont, involontairement, commencé ton assimilation. Tu es désormais un peu Stelléen.

—  Soit ! Je ne comprendrai sans doute jamais. Que suis-je pour toi, Oréna ? Un jouet nouveau ? »

Elle réfléchit un moment.

« Au début, peut-être. Mais rappelle-toi que mon père était un planétaire. Pour moi, tu es un homme comme les autres, un étranger, simplement. Oh ! laissons là ces complications ! Tiens, je vais préparer ton repas. »

Elle disparut dans la cuisine, revint, indignée :

« C’est tout ce que tu as ? Il faudra que je m’occupe d’installer ton appartement ! Comment feras-tu pour me recevoir, quand je viendrai te voir ? »

Elle s’affaira, passant de temps en temps la tête par la porte, jetant quelques mots. Tinkar sentit peu à peu s’effacer ses soupçons. Après tout, il n’était sur le Tilsin que depuis quelques jours. Bien des choses qui lui paraissaient inexplicables avaient sans doute leur raison d’être. Il s’allongea sur sa couche, rêvassa.

« C’est prêt ! »

Oréna avait tiré le maximum de ses pauvres provisions, et il fit un excellent dîner.

« Tu dois être épuisé, maintenant. Couche-toi. Comme tu risques d’avoir la fièvre, je te veillerai cette nuit. Je vais apporter un lit de camp. »

Un vague reste de puritanisme le fit protester sans grande conviction. Il céda vite, heureux d’avoir près de lui une amitié, même s’il n’en connaissait ni la profondeur ni le sens, et s’endormit paisiblement.

DEUXIÈME PARTIE

I

LES PÈLERINS

Au réveil, il fut surpris de ne plus sentir sa blessure. Les chairs étaient à peine rouges, il n’y avait aucune suppuration. Oréna dormait encore. Il prépara le petit déjeuner, puis l’appela doucement.

« Tu es déjà debout ? Comment te sens-tu ?

—  Merveilleusement bien. Qu’as-tu mis sur ma plaie ? Nous n’avons rien d’aussi efficace.

—  Du biogenol. À la fois antibiotique et cicatrisant. Dans deux ou trois jours, tu seras prêt à recommencer.

—  Ah non ! Viens déjeuner. »

Elle se récria sur le désordre de la petite cuisine, mais le complimenta sur son « cabor », infusion qui, chez les Stelléens, remplaçait le café terrestre.

« Je dois rejoindre mon poste maintenant, dit-elle. J’ai choisi de travailler tôt le matin, afin d’être libre le reste de la journée.

—  Que fais-tu exactement ?

—  Je suis sous-biologiste à la ferme hydroponique 35.

—  Je ne comprends pas bien votre système. Deux heures, c’est peu.

—  Tout est automatique, ou presque. Avec un autre système, la majorité de nos concitoyens seraient oisifs.

—  Et que font-ils le reste du temps ?

—  C’est différent, Tinkar. Donner deux heures par jour à la communauté permet à chacun de se sentir utile.

—  Je vous croyais des individualistes, avides de liberté.

—  Ce n’est pas contradictoire.

—  Je vois. N’oublie pas que je suis un paria, un inutile.

—  Un jour, peut-être …

—  J’en doute. Ton … métier t’intéresse ?

—  Certes !

—  Alors, pourquoi ne pas le continuer, après tes heures ?

—  Je l’ai fait, autrefois. Mais je n’ai pas de génie botanique. À bientôt, Tinkar !

—  Ce soir ?

—  Peut-être. »

Il resta pensif un moment, après son départ. Il commençait à s’attacher à cette étrange fille, si différente des Terriennes. Machinalement, il rangea la vaisselle, mit en marche épousseteurs et nettoyeurs. Il eut un bref accès de rire :

« Tinkar Holroy, lieutenant de la Garde, parfaite femme de ménage ! »

Que faire de sa journée ? Il n’avait pas de livres personnels et ne savait pas où s’en procurer, en dehors de la Bibliothèque. Cette pensée lui remit Anaena en mémoire.

« La petite garce, dit-il à haute voix. Elle m’aurait fait tuer, si je ne l’avais point vue. »

Nul regret de ne pas l’avoir dénoncée, pourtant. La morale hautaine de la Garde n’autorisait pas la délation. Un célèbre voleur s’était caché, avec la complicité dédaigneuse des pilotes, dans la cave du mess, pendant trois mois, là-bas, à Impéria. Un criminel politique, peut-être, eût été livré. Et encore. Il ne régnait pas un amour fraternel entre la Garde et la « Popol », la police politique. Il sourit au souvenir de ce dignitaire qu’il avait transporté, à toute vitesse, jusqu’à Véga V, et qu’il avait consciencieusement « sonné » pendant le voyage.

L’avoir protégée était aussi une victoire, dans cette guerre sourde qu’elle menait contre lui. Elle était maintenant en dette envers lui, et cela lui empoisonnait sans doute l’existence. Tant mieux.

Il consulta son plan, décidant de n’aller à la Bibliothèque qu’au moment où il serait sûr de la rencontrer. Il joua avec l’idée de rendre visite à Petersen à son laboratoire, puis remarqua, sur le pont 8, une grande zone qu’il avait prise pour un parc, mais qui n’en était pas un. L’intérieur montrait l’habituel dédale de rues, de places, de jardins, mais aucune indication n’était donnée, à part un petit numéro aux trois portes de cette enceinte. La légende indiquait ; Territoire des pèlerins. Il se souvint de ce qu’il avait lu à leur sujet.

« Probablement hors limites pour moi. Bah ! je verrai bien. »

En quelque dix minutes, par les trottoirs roulants, il arriva au puits gravitique 127, qui devait le conduire à son but, fier de ne point s’être égaré cette fois. Le puits débouchait sur un vaste hall, peuplé des universelles plantes vertes qui contribuaient à régénérer l’atmosphère. À l’extrémité opposée, une grande porte était ornée d’un signe qu’il reconnut, la croix ansée qui s’élevait encore au-dessus des derniers monastères ménéonites, sur Terre. Elle était close, et il ne put trouver aucun moyen de l’ouvrir. Il tourna les talons, prêt à revenir sur ses pas. Un mouvement, aperçu du coin de l’œil, le fit s’arrêter. Un judas s’ouvrait lentement, de l’autre côté un visage barbu le regardait :

« Que veux-tu, frère ?

—  Vous êtes un pèlerin, n’est-ce pas ?

—  Oui, certes !

—  Je suis un étranger, un planétaire, un Terrien.

—  Tous les hommes sont nos frères.

—  Je ne suis dans la cité que depuis peu de temps. Un accident me jeta à son bord.

—  Entre, frère. Le patriarche sera heureux d’entendre des nouvelles de la planète mère. »

Une partie de la grande porte pivota, et Tinkar pénétra dans le territoire des pèlerins.

« Tu as eu de la chance que je t’entende frapper, frère. Je passais. Quand nos frères du dehors veulent nous visiter, ils s’annoncent par communicateur.

—  Je l’ignorais.

—  Oh ! ce n’est rien. Mais si tu veux revenir, une autre fois … »

Si les rues de la cité elle-même offraient une austérité de caserne, le clos des pèlerins rappelait un monastère par un dépouillement encore plus absolu. Ils passèrent dans un parc, où jouaient de petits enfants sous la garde de quelques femmes, au costume strict. Alors que les Stelléennes portaient des étoffes précieuses ou de couleurs vives, parfois sur de faibles surfaces, elles étaient vêtues de robes sévères, sombres, tombant presque jusqu’au sol.