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« Je ne vois que des enfants, s’étonna Tinkar. Combien êtes-vous ?

—  Seize cent trente, frère. Mais, sauf les gardiennes et quelques hommes de service, comme moi, tous les adultes sont au temple. C’est aujourd’hui l’anniversaire de notre fondateur, le bienheureux Ménéon. Tu pourras y rencontrer notre saint patriarche, Holonas le Sage.

—  Mais je n’appartiens pas à votre religion !

—  Nous ne te demanderons rien qui puisse être contraire à ta foi, frère. Simplement de nous dire ce qu’il advint sur Terre après notre départ. Et nous prierons pour que le Seigneur t’illumine. »

Tinkar eut envie de hausser les épaules, se retint, ne voulant pas blesser son compagnon.

Ils approchaient d’une autre grande porte, où flamboyait une immense croix ansée de rubis. À mesure qu’ils approchaient, Tinkar entendit un bourdonnement sourd, qui peu à peu se transforma en un hymne chanté par d’innombrables voix. Le pèlerin ouvrit une petite porte secondaire, et l’hymne jaillit à la face du Terrien, puissant et majestueux.

« Entre, frère », murmura l’autre à son oreille.

Il entra. La voûte, longue et haute, se creusait en carène de navire, et tout au fond, derrière l’autel, brillait dans la demi-obscurité une large nébuleuse spirale, pâle poussière d’étoiles où se détachait au centre, en rouge, le symbole omniprésent, la croix ansée. Dans la pénombre, la foule agenouillée, rang après rang, formes penchées, que courbait la prière. Le chant s’acheva.

Un homme se dressa devant l’autel, leva les bras en un geste de bénédiction. Le pèlerin inclina la tête, et, instinctivement, Tinkar l’imita. L’homme parla, et Tinkar comprit que c’était le patriarche.

Il n’écouta pas, d’abord, bien que le sermon fût en interspatial, trop occupé à s’orienter. Le prêtre n’était qu’une vague et haute silhouette sur le fond stellaire. Le temple était nu, sans ornements, sauf la nébuleuse derrière l’autel. Tinkar se souvint des églises terrestres où il était parfois entré, poussé par la curiosité, et dont il était rapidement ressorti, se sentant mal venu dans son uniforme, et obscurément sacrilège. Jamais, sauf une fois, dans une pauvre église d’un village à demi détruit, après une bataille sur Fomalhaut IV, il n’avait senti un recueillement aussi profond.

Peu à peu, des bribes du sermon pénétrèrent jusqu’à sa conscience. Le prêtre rappelait l’histoire des pèlerins, de leur fondateur, Ménéon, de la période bénie où leurs monastères avaient donné refuge à la civilisation, puis des persécutions qui avaient suivi.

« Il ne faut jamais oublier, mes frères, que nous devons notre survie, et, ce qui est bien plus, notre possibilité de chercher le Maître, à ces scientifiques qui sont les ancêtres des Stelléens qui nous entourent. Certes, ils vivent dans l’erreur, et nous devons reconnaître avec humilité que nous n’avons pas eu beaucoup de succès dans notre entreprise de leur apporter la lumière. Mais nous n’avons pas le droit de les mépriser. Ils vivent leurs vies d’hommes naturels, bons ou mauvais, privés de la lumière divine. Peut-être est-ce notre faute, à nous qui n’avons pas su les attirer vers nous. Leurs péchés sont moins lourds aux yeux de Dieu, puisqu’ils n’ont pas la foi pour les conduire.

« Nous, qui avons la tâche de vous guider, ne saurions cependant trop vous mettre en garde contre leur rêve d’un Univers appartenant à l’homme. L’Univers est trop grand pour l’homme seul, mes frères. Celui-ci va d’étoile en étoile, et, debout dans son orgueil, dit : “L’Univers est à moi !” Mais cela n’est pas et, un jour ou l’autre, l’Univers se venge de son maître dérisoire et l’écrase. Dans le silence de ses laboratoires, il travaille à prolonger sa vie et a obtenu des succès qui auraient paru impossibles à nos ancêtres, mais un jour ou l’autre la mort vient le prendre. Nous savons que ce n’est qu’une transformation, une nouvelle naissance à la vie supérieure, comme, collectivement, nous ne sommes, en nos corps de chair, qu’une étape qui s’achèvera quand Dieu le voudra, le jour où nous le trouverons face à face.

« Ce jour viendra, mes frères, mais nous ignorons quand. Ô Dieu, nous t’avons tant cherché parmi les galaxies ! Nous avons tant espéré le signe, le signe qui nous dirait que l’épreuve est finie, que le paradis terrestre va revenir ! Nous t’avons offensé, Seigneur ! Nous avons mordu dans le fruit de l’arbre de science avant d’y être préparés, mais nous avons expié ! Des milliers de siècles de guerres, de peste, de famine, des milliards de morts sans espoir, la plupart innocents ! Ô Seigneur, nous pardonneras-tu un jour ? Écarteras-tu de ta face le voile de tes galaxies ? Feras-tu, dans ton ciel cosmique, briller la nouvelle Arche d’alliance ? »

La voix se tut. Un long moment les pèlerins continuèrent leur méditation, courbés. Tinkar était debout derrière un pilier, plus ému qu’il ne voulait l’admettre, son guide agenouillé à côté de lui. Puis, lentement, la grande spirale pâlit derrière l’autel, quelques lumières s’allumèrent, les pèlerins se levèrent.

« Viens, frère. »

Ils remontèrent l’allée centrale, à contre-courant des pèlerins qui sortaient, et, par la gauche de l’autel, arrivèrent à une petite pièce nue. Un homme assez âgé, à barbe grise, très grand, rangeait des vêtements sacerdotaux dans un coffre de bois. Il se tourna vers eux. Profondément enfoncés dans les orbites, dominés par d’épais sourcils, des yeux clairs regardèrent Tinkar.

« Un homme de la Terre, père. »

Le visage s’anima.

« De la Terre ? Depuis combien de temps l’avez-vous quittée ?

—  Quelques jours … »

Il hésita, ne sachant comment appeler le prêtre.

« Appelez-moi Holonas, mon fils, puisque vous n’êtes pas des nôtres. Et vous-même, quel est votre nom ?

—  Tinkar Holroy, seigneur Holonas.

—  Je ne suis pas un seigneur. Et il y a quelques jours encore vous étiez sur la planète mère ? Dites-moi, savez-vous si nos frères survivent ?

—  Oui, ils ont encore cinq monastères.

—  Prospères ?

—  Moins qu’ils ne l’ont été. L’Empereur leur fait grief du soutien que votre ordre apporta aux traîtres scientistes, sous …

—  Ainsi nos pauvres frères sont persécutés ?

—  Non, pas exactement … Mais il ne leur est plus guère possible de recruter d’adeptes, et, petit à petit, leur nombre diminue. Mais ils ont encore quelques appuis parmi la noblesse et certains officiers de la Garde. Le peuple ne les aime pas beaucoup, cependant, et les prêtres chrétiens les combattent comme hérétiques.

—  Les chrétiens sont-ils puissants ?

—  Parmi le peuple, oui. Sans doute sont-ils à la base de la révolte qui secouait l’Empire quand je suis parti.

—  Une révolte ! Encore du sang, encore des morts ! Il faut que vous me racontiez tout cela. Mais pas ici. Voulez-vous venir partager mon modeste repas ? Mais si, mais si, venez donc ! »

Les rues étaient maintenant plus animées, et Tinkar croisa un grand nombre d’hommes et femmes, tous strictement vêtus, mais l’air gai.

« C’est un tout autre monde que la cité, dit-il.

—  Oui, nous avons peu de contacts avec les Stelléens. Ils ne viennent guère nous voir, et nous ne sortons guère. Leurs mœurs ne sont pas les nôtres, et ce n’est qu’en cas de danger que nous nous unissons à eux. Nous contribuons à la bonne marche du Tilsin, nous avons nos laboratoires, nos usines, nos postes de veille, et une des chambres des machines. Je suis personnellement en contact étroit avec le teknor, quelques-uns de nos savants ont aussi des rapports suivis avec leurs collègues du dehors, et c’est tout.