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Chaque soir, ou presque, Oréna l’attendait dans son appartement quand il rentrait. Et, une fois, ils eurent la visite de Pei. Tinkar n’avait plus revu le Chinois depuis le moment où l’ambulance l’avait emporté, presque mort. Il avait su qu’il avait survécu. Oréna eut un petit mouvement de recul, et Tinkar se leva, prêt à tout. Bien que méprisé, l’assassinat n’était pas absolument inconnu parmi le Peuple des étoiles. Mais l’autre sourit, montrant ses mains vides.

« Je viens vous remercier, Tinkar, pour la vie que vous m’avez laissée. »

Il parlait lentement, avec dignité.

« Pendant longtemps, continua-t-il, j’ai vu dans votre geste l’expression de votre mépris à mon égard. Mais quand j’ai su que vous aviez agi de la même façon avec Carston, j’ai compris que c’était ou bien un trait de votre culture, ou bien votre générosité personnelle. Dans les deux cas, je vous devais un merci, et des excuses. Je dois reconnaître que, parmi les planétaires, il en est qui nous valent.

—  Je n’avais aucune raison de détruire un homme que j’admire, répliqua le Terrien. Il y a peu de peintres de votre classe dans la galaxie, j’en suis sûr. Vos œuvres vaudraient des sommes considérables sur Terre. »

Le Chinois s’inclina.

« Vous êtes trop aimable. Héron, du Frank, et Rodriguez, de la Catalogna, sont mes maîtres, et me sont très supérieurs. Avez-vous visité notre musée ?

—  Non. J’ignorais même son existence. Où est-il ? Je ne l’ai pas vu sur le plan.

—  Parc 19. Voulez-vous que je vous y conduise demain, à neuf heures ?

—  Je serais charmé. »

Pei se tourna vers Oréna.

« Es-tu heureuse ? »

Puis, à Tinkar :

« Prépare-t-elle toujours aussi bien le lamir de Sarnak ? »

Il sortit, souriant toujours.

« Pauvre Pei, rêva tout haut Oréna. Il m’aime bien. Mais c’est un anachronisme, comme toi. Il n’accepte pas que je sois libre !

—  Mais moi, je l’accepte.

—  Tu ne m’aimes pas, pas encore. Je suis pour l’instant ta bouée de sauvetage, l’île où tu te reposes au milieu d’une mer mauvaise. Bah ! que m’importe !

—  Mais si, Oréna, j’ai de l’affection pour toi !

—  Qui t’a dit le contraire ? D’ailleurs, c’est mieux comme cela. Si tu devenais exclusif, comme Pei, je te quitterais. »

Le musée était riche de peintures, sculptures, dessins de Stelléens du Tilsin et des autres cités, de spécimens d’art indigène de multiples mondes. Il possédait une section historique et une section ethnographique qui impressionnèrent Tinkar. Mais la salle de technologie moderne était « close pour réparations. »

Le même jour, il reçut une convocation du teknor. Tan le reçut amicalement et même avec chaleur.

« D’abord, je veux vous remercier, tardivement, pour Anaena. Certains Stelléens auraient profité de l’occasion pour me frapper dans mes affections. Je connais ma nièce, et je sais qu’elle ne se résoudra que difficilement à vous remercier elle-même. Mais ce n’est pas pour cela que je vous ai fait appeler. Les Mpfifis ont frappé de nouveau, trois fois : l’Uta II et le Provence II ont disparu corps et biens après un dernier message par torpille, et le Bremen n’a dû sa survie qu’à la chance. Je vous en conjure, si vous avez, dans la Garde terrestre, un moyen de déceler une astronef dans l’hyperespace, dites-le-nous !

—  Combien de fois faudra-t-il répéter que nous n’en avons pas ?

—  Comment menez-vous vos guerres, alors ? Comment arrivez-vous à défendre vos planètes ? À quoi servirait une garde qui arriverait toujours trop tard ?

—  Nous ne défendons pas nos planètes, nous détruisons celles de nos ennemis.

—  Et eux ne détruisent pas la Terre ? Curieux. Comme vous voudrez, Tinkar. Je ne vous reproche pas votre ingratitude, mais songez que, à cette seconde même, une cité mpfifi nous traque peut-être, et que vous périrez avec nous.

—  Il vous serait possible de vous mieux défendre, même sans cet hypothétique traceur. J’ai étudié le livre de Sorensen. Vous ne savez pas tirer profit de vos forces.

—  C’est possible. En stratégie, nous ne sommes que des amateurs. Nous apprenons tous les jours, mais aurons-nous le temps ? Expliquez-moi donc votre point de vue.

—  Vous avez le livre sous la main ? Bon. Prenons la bataille du Donetz. Voici comment a été menée la défense. Voici ce que vous auriez dû faire. »

Il esquissa le plan de bataille sur une feuille de papier. Le teknor écoutait, attentif.

« Oui, je vois. En effet, ainsi nous aurions sans doute résisté. Pauvre Malenkov ! Nous n’avons pas de soldats professionnels, Tinkar. Comme je l’ai dit, nous apprendrons, mais au prix de combien de vies humaines ! Je voudrais faire de vous un instructeur. Acceptez-vous ?

—  Non.

—  Pourquoi donc ?

—  Je ne suis qu’un pou de planète !

—  Mais, par le Rktel, comment auriez-vous traité un des nôtres qui aurait débarqué dans votre précieux Empire ? Bien sûr, vous êtes en butte aux préjugés ! Bien sûr, ce n’est pas agréable ! Mais ce n’est pas en vous drapant dans votre fierté que vous vous ferez accepter ! Ni en vous confinant avec Oréna Valoch ! Un chimiste, je le sais, vous a fait quelques avances. Vous n’êtes jamais allé le voir ! Si vous acceptiez ce poste que je vous offre, nos hommes seraient bien forcés de s’apercevoir qu’un pou de planète peut être un homme, lui aussi ! Acceptez-vous ?

—  Non.

—  Eh bien, tant pis, Tinkar. Puissiez-vous ne jamais le regretter ! »

II

ANAENA

La vie continua, monotone, pour le Terrien isolé. Petit à petit, cependant, quelques Stelléens commencèrent à lui adresser la parole, au restaurant ou dans les coursives. À la bibliothèque, Anaena avait pris son parti de sa présence, et lui distribuait sans mot dire les livres qu’il demandait. Aussi fut-il vivement surpris le jour où elle lui parla :

« Vous en avez fini avec les œuvres complètes de Valoch ! Qu’allez-vous choisir maintenant comme romans ?

—  Je ne sais pas. N’importe lequel.

—  Puis-je vous conseiller ?

—  Si vous le voulez.

—  Alors lisez Le Vent de Kormor, de Paul Valenstein. Nous le considérons comme le chef-d’œuvre de notre littérature. Valenstein vivait au siècle dernier.

—  D’où vient cette subite amabilité ? »

Elle se renfrogna, et répondit, tête baissée :

« Admettons que j’ai fini par comprendre que je vous dois quelque chose.

—  Vous ne me devez rien, si vous vous référez à mon premier duel. Vous m’avez plus servi que mon malheureux adversaire.

—  Oh ! n’ayez aucun remords. Il n’aurait pas vécu longtemps, de toute manière, querelleur comme il l’était ! Il n’empêche que j’ai violé la règle du jeu, et que ma conduite a été inexcusable.

—  Alors, pourquoi l’avez-vous fait ?

—  Je vous haïssais.

—  Ce n’est pas ma faute si je suis sur le Tilsin.

—  Ce n’est pas ma faute si vos ancêtres ont chassé les miens !

—  Suis-je responsable de la conduite de mes ancêtres ? À vrai dire, je doute fort que les miens aient été pour quelque chose dans cette histoire.