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Anaena fit rapidement les présentations :

« Jan Pomerand, du Frank. Luig Tardini, du Tilsin. Lieutenant Holroy, de la Garde stellaire terrestre. »

Apparemment, les présentations étaient inutiles pour les autres.

« Luig, allez donc chercher quelque chose à manger et à boire ! Je crois savoir que Tinkar apprécie particulièrement le lamir de Sarnak. Pour moi, un filet de bœuf de Tilir, s’il en reste. Nous arrivons un peu tard ! »

Le repas fut délicieux, arrosé de vins multiples, inconnus de Tinkar dans leur grande majorité. Toute réserve à son sujet avait disparu chez les Stelléens, et il crût en trouver la raison quand un homme, en passant, se pencha et lui dit à mi-voix :

« Merci pour les traceurs ! »

Quant à Anaena, elle était transformée. Elle rayonnait de bonheur, et rien ne restait en elle se soir-là de la bibliothécaire efficace et revêche, ni de la xénologue, chef du service de lutte antimpfifi. Tinkar, habitué aux cervelles d’oiseau des dames de la cour, ou à l’ignorance des filles du peuple, Tinkar, qui, jamais de sa vie n’avait vu un savant qui soit une femme, s’émerveillait de trouver en elle la grâce d’une fille noble de la Terre, en même temps qu’une intelligence dont il avait apprécié la profondeur. Il se détendait, se laissait aller à une euphorie inconnue, bien différente de la joie brutale des bordées courues comme cadet dans les bouges près des astroports, ou des parties entre camarades, au mess des officiers.

De loin, un homme fit signe, et Anaena s’excusa, se leva pour le rejoindre. Elle eut avec lui une rapide conversation, fit deux ou trois fois oui de la tête. Tinkar eut un bref spasme de jalousie : lui accordait-elle un rendez-vous ? Mais déjà elle revenait.

« L’ennui d’être le chef de quelque chose ! On vous poursuit jusque dans les fêtes. »

Le repas était terminé. Déjà la salle était à moitié vide et se vidait de plus en plus vite. Pomerand consulta sa montre.

« Nous n’allons plus avoir de places, Anaena !

—  Si, car j’en ai réservé six. Mais tu as raison, il est temps.

—  Où allons-nous ? demanda le Terrien.

—  Au parc 18, voir un spectacle qui te plaira, je crois. »

Autour de la prairie centrale, plantée çà et là d’arbustes, des tribunes avaient été dressées, sur lesquelles s’entassaient maintenant des Stelléens des deux cités, foule multicolore et mouvante sous la lumière des projecteurs. Anaena les guida vers les places centrales d’une des tribunes.

« Nous allons voir des danses, dit-elle à Tinkar. L’Aventure des Hommes, une danse symbolique, par Silja Salminen, du Frank. »

Brusquement, les lumières s’éteignirent, sauf un projecteur qui balaya la prairie centrale, découpant les ombres brutales des arbres. Quelques chose bougea derrière un tronc, passa dans la lumière, une forme voûtée qui cheminait à pas lents.

« Première figure : l’éveil de la Conscience Humaine, au début du Quaternaire », commenta Anaena.

La forme avançait toujours, courbée, à pas lents avec cependant une grâce gauche, comme d’un animal pataud. Puis elle parut grandir, et Tinkar vit, au milieu de la pelouse, une jeune femme aux longs cheveux bruns pendants, demi-nue, quatre ou cinq fois magnifiée.

« Remarquable, votre truc. Comment obtenez-vous cet effet ?

—  Je t’expliquerai plus tard. Regarde ! »

La jeune femme dansait maintenant, mimant le pithécanthrope (ou l’australopithèque, les souvenirs de Tinkar n’étaient pas trop précis) sortant de la forêt, tâtant du pied l’onde de la savane, effrayé par l’espace vide où la vue portait à l’infini. Elle fut le Courage et la Fuite, la Peur se cachant de nouveau sous les arbres amis, l’Audace qui conquiert. Un homme surgit à son tour de sous les branches, et, main dans la main, ils marchèrent vers un soleil levant.

Puis la prairie fut vide de nouveau.

Les tableaux se succédèrent : les premiers Homo sapiens, campant devant leurs cavernes, à l’abri du feu : l’Antiquité, faite de gloire et d’esclavage ; la lente ascension vers le mieux-être et la liberté. Puis, dans une lueur rouge, ce fut la guerre atomique, l’épouvante sans nom d’où était sorti l’Empire.

« Ne te vexe pas du prochain tableau, Tinkar ! »

La lumière crue d’un projecteur écrasait la jeune femme, liée à un poteau, de lourdes chaînes aux mains et aux pieds. Un monstre hideux la surveillait, fouet à la main. Anaena pouffa.

« Mille regrets, Tinkar mais cet être difforme est censé représenter ton Empire, sais-tu ? »

Il sourit, trop heureux pour être blessé.

Deux nouveaux personnages apparaissaient maintenant, un vieil homme courbé tenant dans sa main un compas, un livre sous le bras, l’autre étant un moine vêtu de bure, portant un encensoir d’où s’échappait une épaisse fumée. Il le balançait sous les narines du monstre qui, ravi, relâchait sa vigilance, ne voyait pas que le moine tissait devant sa captive un rideau de fumée.

« La Science et la Religion vont au secours de l’Humanité », commenta Anaena.

Ce fut au tour de Tinkar de pouffer. Des pointes de son compas la Science dénouait les lourdes chaînes !

« Oui, je sais, dit-elle. C’est assez ridicule. Mais rien de cela n’est important. Regarde la danse elle-même ! »

Les chaînes étaient maintenant tombées, et la jeune femme grandissait, s’élançait vers le ciel semé d’étoiles. Ses pieds quittaient le sol, elle montait sans effort, nageant dans l’espace avec une grâce indicible. En bas, loin sous elle, le monstre écumait, impuissant. Lentement, ses longs cheveux dénoués flottant au vent, l’Humanité cueillait une à une les étoiles.

« Comment as-tu trouvé ce spectacle, indépendamment de l’argument qui, je l’avoue, est parfois faible, ou même pire ?

—  Très beau. Cette jeune femme, sur Terre, aurait tous les nobles à ses pieds !

—  Viens sur le Frank, Tinkar, et tu la verras tous les jours, coupa Clotilde.

—  Non, merci, j’ai eu assez de peine à m’habituer au Tilsin. J’y suis, j’y reste ! »

Dans un autre parc, de nombreux couples dansaient des danses inconnues du Terrien, sous une gravitation volontairement affaiblie, ce qui donnait aux danseurs une aisance incomparable. Tout en protestant de son ignorance, Tinkar se laissa entraîner, d’abord par Clotilde, puis par Hélen, enfin par Anaena, et ne la quitta plus. Et, pendant qu’il tournait avec elle, tenant dans ses bras son corps à la fois frêle et musclé, il lui sembla qu’il n’avait jamais connu d’autre monde que le Tilsin, et qu’il ne souhaitait en connaître aucun autre.

La nuit se prolongea ainsi, allant de plaisir en plaisir, au milieu d’un peuple aimable et gai. Ils assistèrent à d’autres spectacles, burent dans de nombreux bars. Mais, vers cinq heures du matin, Anaena déclara :

« Il est temps de rentrer. Nous aurons du travail aujourd’hui. Merci de ta présence. »

Il voulut lui répondre, lui dire son infinie reconnaissance, mais son cerveau embrumé par les boissons et sa langue un peu pâteuse ne lui permirent que des banalités.

« Allons, lâche ma main, dit-elle, souriante. À tout à l’heure, Tinkar, lieutenant de l’Empire ! »

Il se trouva seul au milieu d’inconnus, refusa quelques invitations, revint chez lui. Sur la table reposaient un grand rouleau et une lettre. Il prit celle-ci la première :