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Tinkar,

Je préfère partir avant que tu ne m’abandonnes pour le chat roux. J’ai rencontré Pei ce soir, et nous avons décidé de contracter une liaison permanente. Je ne t’en veux pas, je te souhaite bonne chance, et j’espère que tu auras quelques pensées parfois pour Oréna, qui essaya de faciliter tes premiers jours sur le Tilsin. Nous allons vivre sur le Frank. À la prochaine conjugaison, nous nous reverrons en bons amis. Je t’aimais bien, barbare terrien, et je crois que j’aurais pu t’aimer tout court. Au revoir, quelque part dans l’espace.

Oréna.

Il ouvrit alors le rouleau : quelques très belles toiles de Pei, avec un mot bref :

Ce que je fais n’est pas tout à fait correct, mais je ne puis résister à Oréna. En souvenir de quelqu’un qui a voulu te tuer, et que tu as épargné, reçois ce modeste cadeau. Amicalement.

Pei.

« Bonne chance pour vous aussi », dit-il tout haut.

Il entra dans sa chambre, las. Quelque chose d’anormal attira son regard. Il se pencha, eut un cri rauque, une sorte de rugissement étranglé. La porte du coffre avait été forcée, le pêne scié avec une scie moléculaire. Il l’ouvrit violemment : le coffre était vide, les plans du traceur avaient disparu !

IV

IOLIA

Il resta longtemps immobile, comme foudroyé. Ainsi, Anaena l’avait berné une fois de plus ! Il n’eut aucun doute, il comprenait tout maintenant. Sachant que ses plans étaient pratiquement terminés, elle l’avait entraîné hors de son domicile et, pendant le repas, avait donné ses ordres à l’homme qui était venu lui parler. Pendant ce temps lui, naïf, jouissait de sa présence. Cette trahison l’éprouvait doublement, parce que, du fait de son éducation aussi bien que par nature, il n’avait pour la trahison que mépris et haine, et parce qu’il avait cru à la sympathie d’Anaena et espéré … Il cracha par terre de dégoût.

« La chienne ! Fille de chiens ! Parbleu, je ne suis qu’un pou de planète ! Moins que rien, à ses yeux ! Ah ! Elle a bien joué la comédie ! »

Un éclair d’espoir le traversa : si ce n’était pas elle ? Quel intérêt avait-elle à voler des plans que, de toute façon, il aurait donnés complets le lendemain ? Tout à l’heure, il allait la retrouver, et tout serait éclairci ! Mais non, tout était clair déjà. L’intérêt ! Parbleu, ce n’était pas difficile : s’il donnait les plans, il deviendrait un héros pour beaucoup de Stelléens. Elle ne pourrait plus le maintenir en quarantaine, comme un paria qu’il était à ses yeux, un planétaire !

Il se mit à tourner entre les murs de sa chambre, ivre de rage et de honte. Lui, Tinkar, s’était laissé jouer par … il chercha une expression suffisamment injurieuse … par un amas de protoplasme femelle ! Ah ! les règlements de la Garde étaient sages, qui ne voulaient voir dans les femmes que des machines à plaisir et des incubatrices de futurs gardes ! Le fumier, la chienne !

Un seul désir le possédait maintenant, un désir de vengeance. Broyer d’un coup de poing ces lèvres fines ! Écraser cette bouche menteuse ! Mais non, ce n’était pas assez. La tuer ? La provoquer en duel ? Il ne savait pas si c’était permis à un homme. Et, de toute manière, une balle contre dix, les chances pour lui étaient trop faibles … Il se moquait de mourir, mais la laisser triomphante … Il lui fallait plus : détruire le Tilsin !

Mais pour cela, il avait besoin de temps. En avait-il ? Maintenant, son utilité pour les Stelléens était finie. Ils avaient les plans. Un peu incomplets, mais si peu que n’importe quel physicien les achèverait en quelques jours de recherche. Ils n’hésiteraient donc plus à le faire disparaître.

D’un geste instinctif, il tâta sa ceinture. Vide. On ne lui avait pas rendu ses armes, si on lui avait remis ses vêtements, le lendemain de son arrivée dans la cité. Les assassins le cherchaient peut-être déjà. Il eut un sourire amer : du moins, mourrait-il dans son uniforme, comme il convient. Mais, sur un monde comme le Tilsin, il devait y avoir des endroits où se cacher, des refuges …

Un refuge ! Une phrase lue il y avait peu de temps lui revint. Un des articles de base de la convention entre les Ménéonites et les Stelléens donnait aux premiers le droit de refuge ! Il fallait gagner l’enceinte des pèlerins au plus vite. Il chercha désespérément quelque chose qui pût servir d’arme. Son compas, c’est tout ce qu’il avait. Il ricana : le compas-à-délivrer-les-Humanités-captives !

Il emballa rapidement quelques provisions, ne sachant s’il ne devrait pas resté caché quelques heures, ou quelques jours. Il ouvrit prudemment la porte : la rue était vide. Il regarda une dernière fois son appartement, eut un geste de regret vers les toiles de Pei ! Bah ! l’art n’intéressait pas les morts en sursis !

Il rencontra très peu de Stelléens sur sa route vers l’enceinte. La grande porte était close. Il aurait dû avertir les pèlerins, mais n’avait pas osé, ne sachant si sa ligne n’était pas surveillée. Il se dissimula derrière un pilier de métal et attendit le jour.

L’homme qui lui ouvrit lui était inconnu.

« Bonjour, frère. Que désires-tu ?

—  Parler à Holonas le Sage.

—  C’est difficile, frère. As-tu un rendez-vous ?

—  Il m’a dit de revenir quand je le voudrais.

—  Alors c’est bien, frère, je vais te conduire. »

Le vieux patriarche l’accueillit avec joie.

« Vous voici de retour, frère Holroy ! J’en suis heureux. Que désirez-vous de nous ?

—  Refuge ! »

Le mot claqua comme un coup de fouet. Tinkar avait hésité, se demandant s’il ne vaudrait pas mieux ruser, mais la ruse était étrangère à sa nature. De toute façon, les pèlerins connaîtraient la vérité avant peu.

Le vieillard resta un moment silencieux.

« Tu as tué, mon fils, en dehors d’un duel ?

—  Non !

—  Alors, que crains-tu ?

—  Qu’on ne m’assassine, ou plutôt qu’on ne m’abatte, comme une bête !

—  Assieds-toi. Il n’est pas dans les coutumes des Stelléens de tuer pour rien.

—  Ce ne serait pas pour rien, de leur point de vue. Débarrasser la cité de ma présence.

—  Tu sembles épuisé, mon fils. Tu vas dormir et, quand tu te seras reposé, tu me raconteras tout. Ne crains rien. Si c’est un refuge que tu cherchais, tu l’as trouvé. »

Tinkar sentit peser sur lui les fatigues accumulées, se laissa conduire jusqu’à une chambre, s’affala dans le sommeil. Il dormit longtemps, s’éveilla physiquement reposé, essayant de chasser de sa pensée les événements de la veille. Une voix montait, quelque part dans l’appartement, une voix jeune qui chantait un hymne grave et cependant joyeux. Il se leva, sortit de la pièce. Le dos tourné vers lui, une jeune fille brune cousait. Il n’avait vu personne coudre sur Terre, ni sur le Tilsin, et les gestes rapides et précis l’intéressèrent. Il s’approcha. La jeune fille se retourna, surprise, et son visage s’éclaira.

« Frère Holroy ! Comme je suis heureuse de vous voir ! Mon oncle m’avait dit que nous avions un hôte, mais sans me donner de nom. Resterez-vous plus longtemps, cette fois ?

—  Votre oncle n’est pas là ?

—  Non, mais il ne va pas tarder à rentrer. Avez-vous faim ou soif ?

—  Un peu soif, merci. »

Elle lui porta un grand verre d’eau fraîche.