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Iolia approchait, gracieuse malgré sa robe grise presque monacale. Elle s’assit à côté de lui.

« Il faut que tu saches quelque chose, Iolia, dit-il. Dieu sait que je préférerais que tu l’ignores toujours, mais je dois te le dire. »

Elle ouvrit des yeux étonnés, interrogateurs. Alors, pour la deuxième fois de la journée, il se confessa. Il se tut, n’osant pas la regarder, s’attendant à la voir se lever, le fuir.

« Ce n’est pas vrai, Tinkar, dit-elle d’une voix égale.

—  Mais si !

—  Non. Il n’y a pas de mal en toi. Ce que tu as fait de mal vient de ton Empire maudit, pas de toi. Tu n’aurais jamais fait périr des innocents avec ceux qui t’ont nui. »

Il eut un rire douloureux.

« Des innocents ! Hélas ! leur sang a souvent jailli sur mes mains !

—  Tes mains, sans doute. Ta conscience, non. Tout ce que tu nous as dit de l’Empire prouve que tu n’as été qu’un outil pour les autres, ceux qui commandent. Que pouvais-tu faire qu’obéir, enfermé comme tu l’étais dans une discipline qui ne te laissait jamais le temps de penser.

—  Alors, tu ne me trouves pas ignoble ?

—  Il y a peu d’hommes qui te vaillent, Tinkar, même ici. Qui n’a pas eu de pensées de vengeance ne serait pas humain. Ce qui compte, c’est que tu as renoncé à les réaliser. C’est cela, le vrai courage. »

Il se retint de lui dire que ce n’était peut-être que de la lassitude.

Quelque temps plus tard, le patriarche le fit appeler.

« Pourquoi ne resterais-tu pas toujours avec nous ? demanda-t-il sans ambages. Tu es doué, à ce que m’ont dit nos physiciens. Tu sais déjà bien des choses, et tu apprends vite. Tu es versé dans l’art de la guerre, ce qui serait précieux pour notre défense au cas où, Dieu nous en garde, les Mpfifis nous attaqueraient. Veux-tu travailler avec nous, fonder une famille ? …

—  Je ne suis pas de votre religion.

—  Cela n’importe que peu, du moment que tu n’y es pas opposé. Un jour viendra où tes yeux s’ouvriront tout à fait. »

Il resta rêveur un moment.

« Je ne crois pas, dit-il enfin. Je ne suis pas fait pour votre vie calme.

—  Elle ne l’est pas toujours, Tinkar. De temps en temps, nous descendons sur une planète. Nous prends-tu pour des mollusques ? Nous avons besoin d’aventure, de nouveau, nous aussi. Nous sommes les explorateurs et les cartographes de toutes les planètes de Dieu où aborde une cité. Les Stelléens ont aussi leurs équipes, bien entendu, mais nous faisons bien la moitié du travail !

—  Je réfléchirai.

—  Une dernière chose, mon fils. Iolia t’aime.

—  Non. Elle admire un personnage qu’elle croit être moi, c’est tout. Cela lui passera vite, dès qu’elle aura un peu grandi.

—  Quel âge crois-tu donc qu’elle ait ?

—  Seize, dix-sept ans ?

—  Elle vient d’en avoir vingt-deux. Elle paraît plus jeune qu’elle ne l’est. Crois-moi, elle t’aime. Oh ! elle n’a pas la beauté d’Anaena, je le sais, mais son cœur est pur, et tu pourrais compter sur elle. Mais voilà, l’aimes-tu ?

—  Je ne sais pas. Peut-être. Parfois, je le crois. Mais j’ignore ce qu’est réellement l’amour. Le sentiment fait de désir, de besoin de me dévouer, parfois de faire du mal, que j’avais pour … l’autre, est-ce l’amour ? Si oui, je n’aime pas Iolia.

—  Il y a plusieurs chemins vers l’amour vrai, Tinkar. Va, rien ne presse. Attends de voir clair en toi-même. »

V

ESCALE

Le Tilsin tournait autour d’une planète. Quatrième à partir de son soleil, elle paraissait inhabitée. À dix mille kilomètres, distance la plus courte à laquelle la cité se rapprocherait, elle ressemblait étrangement à la Terre. Tinkar la regardait depuis l’observatoire des pèlerins, Iolia à ses côtés. Il n’avait encore rien décidé, mais toute la communauté acceptait comme acquis qu’ils étaient fiancés et se marieraient prochainement. Parfois, cette pensée le gênait, comme s’il avait commis un abus de confiance, parfois aussi, comme à présent, elle l’emplissait d’un calme bonheur.

« Le Tilsin va rester longtemps en orbite, avait dit le patriarche. Nous manquons de matières premières, d’eau, de métaux, d’hydrogène. Sitôt que les équipes d’exploration seront revenues, une bonne part de la population va débarquer, installer un camp, miner ce qui nous est nécessaire. Veux-tu être notre explorateur, Tinkar ?

—  Le saurai-je ? Que devrai-je faire ?

—  Survoler à basse altitude, prendre des photos, des échantillons de sol, d’atmosphère surtout, au cours du premier vol. Puis, quand il sera acquis que les microorganismes ne sont pas nuisibles pour nous, ou qu’ils sont impuissants contre notre panvaccin, tu débarqueras, tu t’assureras que la grosse faune n’est pas trop dangereuse. Tout cela sans prendre de risques inutiles.

—  Bon, j’accepte.

—  Pourquoi ne puis-je venir avec toi ? demandait Iolia. La vedette que tu vas utiliser est triplace !

—  Il y a trop de danger. Plus tard.

—  Toujours la même réponse. Me crois-tu lâche ? »

Il lui sourit gentiment.

« Non, Iolia.

—  Je sais piloter !

—  Je n’en doute pas. Mais c’est la règle de ton peuple. Les Stelléens, eux, envoient toujours une équipe de pointe nombreuse. Regarde plutôt ! Elle est belle, n’est-ce pas ? »

La planète tournait majestueusement devant eux, zébrée de nuages, vaste globe brumeux où, dans les trous des voiles blancs, se dessinaient des zones vertes ou bleues.

« Tout à l’heure, je serai là-bas ! Je reviendrai vite, petite fille, afin que tu n’aies pas trop à attendre. Va, il est temps que je parte. »

Elle l’accompagna jusqu’au sas. La vedette était prête. Un technicien lui transmit les derniers renseignements :

« Atmosphère respirable, un peu riche en oxygène. Forte probabilité de vie animale, et certitude de vie végétale. Mais n’atterris pas. Pas cette fois !

—  À demain, Iolia !

—  Je serai à l’écoute.

—  Non. Je resterai peut-être longtemps sans appeler. Tu t’inquiéterais pour rien.

—  Alors, je vais prier pour toi, Tinkar ! »

Il se pencha, l’embrassa sur le front, courba sa haute taille, et franchit la porte. Il avait déjà piloté des vedettes stelléennes, aux temps où il formait des projets de vengeance ou de fuite. L’engin, tout petit, dépourvu de dispositifs hyperspatiaux, n’était conçu que comme une navette entre la cité et une quelconque terre du ciel. Mais il était puissant et maniable.

Il ferma soigneusement les portes du sas, s’assura de leur étanchéité, vérifia ses appareils un par un, sans hâte. On ne plaisantait pas à ce sujet dans la Garde, et plus d’une fois il avait dû sa vie à ces précautions.

« Si j’avais été aussi soigneux lors de mon dernier départ de la Terre, je ne serais pas ici », pensa-t-il tout haut, sans savoir s’il le regrettait ou non.

Tout était en ordre. Il partit, plongea droit vers le monde qui tournait sous lui. Son radar l’avertit que, loin devant, un autre objet filait aussi vers la planète : l’équipe d’exploration stelléenne.