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« Je fais double emploi, pensa-t-il. Mais les pèlerins tiennent à affirmer ainsi leur indépendance, bien que, je n’en doute pas, mes résultats et les leurs seront examinés en commun par le teknor et le patriarche. »

Il ralentit avant d’entrer dans l’atmosphère, ne voulant pas finir en météore. L’appareil stelléen avait disparu.

Il vola longtemps, à un kilomètre d’altitude, en grands zigzags pour permettre à la caméra de photographier une surface aussi grande que possible. La planète était belle et variée, avec d’immenses océans, de hautes chaînes de montagnes, de grands continents et de nombreuses îles. Une forêt dense, vert foncé, couvrait de vastes étendues, coupées çà et là de savanes, de brousses, de lacs et de marais. Une longue rivière serpentait paresseusement, coulant des cordillères qui barraient le couchant. Il descendit en spirale vers le sol, entrevit des hardes d’animaux rapides et gracieux courant dans les hautes herbes. Mais rien n’annonçait la présence d’un homologue, même lointain, de la bête verticale. Ni villages, ni routes, ni champs cultivés. L’appareil de radio était muet sur toutes les bandes, à part le craquement d’un orage lointain.

« S’il y a des êtres intelligents ici, ils en sont encore à l’âge de pierre ! »

La température extérieure était élevée : trente-deux degrés centigrades. Méthodiquement, il prit quelques échantillons d’atmosphère, puis du sol et de végétation à l’aide de la drague. Au loin, dans les montagnes, une colonne de fumée montait droit vers le ciel : un volcan était en éruption. Il ne s’en approcha pas trop, regardant jaillir, à chaque explosion, des bombes volcaniques énormes. Quelque chose bougeait, bas, dans la fumée, un objet fusiforme, brillant, dans lequel il reconnut la vedette stelléenne. Elle tournait autour du cratère, très près, trop près pensa-t-il.

« Ils sont fous ! Ils vont se faire descendre ! »

Tout naturellement l’argot militaire montait à ses lèvres.

Une explosion plus violente emplit le ciel de débris. Quand le nuage de cendres se fut dissipé, l’appareil avait disparu. Il jura.

« Les imbéciles ! Maintenant, il me faut y aller ! »

Il ne pensa pas une seconde qu’il aurait dû se réjouir de voir des Stelléens détestés payer le prix de leur folle audace. Un autre pilote, un camarade, était en danger. Il devait le secourir.

Il approcha, aussi vite que le permettait la prudence, l’œil sautant du sol au cratère. Les pentes du volcan, ridées par les coulées de laves déchiquetées se crevassaient en un dédale où auraient pu se perdre cent vedettes. Il aperçut enfin un amas de tôles tordues, sur le chemin d’une coulée de roche en fusion qui descendait paresseusement.

« Bigre ! ils sont en piteux état, et je dois faire vite ! »

L’éruption perdait de sa force, mais à l’ouest montait une barre de nuages noirs, sinistres, annonçant l’orage. Il trouva un point d’atterrissage, une étroite plate-forme à peu près plane entre deux ravins d’érosion. Se poser là était un tour de force, mais Tinkar, un des meilleurs pilotes de la Garde, y réussit à son second essai.

Il enfila rapidement le scaphandre planétaire, léger, destiné seulement à le protéger des bactéries possibles et du contact de plantes vénéneuses, prit, par réflexe, deux pistolets fulgurants, quatre grenades, y ajouta la trousse de premier secours et quelques vivres. Puis il posa le pied sur le sol inconnu.

Ce sol était brûlant et tremblait. Il ne s’attarda pas, descendit dans un ravin parmi une avalanche de cendres et de scories, tête rentrée dans les épaules, avec le pressentiment d’une catastrophe imminente. Remonter de l’autre côté fut difficile, et sans le piolet dont il s’était muni, il n’y fût pas arrivé. Il se trouva devant un chaos de blocs, le contourna, arriva à l’épave. Elle gisait sur le côté droit, éventrée par une pointe rocheuse.

Il ne chercha pas les causes de l’accident. S’il y avait des survivants, ils avaient besoin de soins immédiats, et le volcan recommencerait à vomir d’un moment à l’autre. Il pénétra entre deux plaques disjointes, glissa sur un liquide visqueux, s’étala en jurant. Un homme gisait là, écrasé, dans un état rendant tout secours inutile. Il l’enjamba ; l’avant avait mieux résisté. La porte du poste de commande, faussée, à demi sortie de ses gonds bloquait le passage, mais s’agitait, et derrière elle il entendit une respiration pressée et des plaintes.

Il saisit un coin de la porte, tira. Elle se tordit, céda un peu. Il prit dans son sac une scie moléculaire, et en quelques secondes découpa un passage. Une forme humaine sanglante tomba dans ses bras. Il l’étendit doucement sur le sol, passa la tête par l’ouverture. Un seul regard lui suffit : personne d’autre ne pouvait avoir survécu là. Il prit la trousse de secours, alluma une lampe.

« Anaena ! »

Le cri lui échappa. C’était bien elle, barbouillée de sang, une longue coupure sur le front, évanouie. Rapidement, il s’assura que les membres n’étaient pas brisés, et que la blessure n’était pas profonde. Il injecta un stimulant, désinfecta la plaie, attendit. Un grondement sourd le fit tressaillir. Le volcan ? Mais rien ne retomba en pluie autour de l’épave et il se souvint des nuages d’orage.

« Anaena, dit-il doucement.

—  Qui m’appelle ?

—  Moi, Tinkar. Secouez-vous, voyons, il faut partir. Ce sacré volcan va cracher d’un moment à l’autre ! »

Elle essaya de se soulever, retomba en gémissant.

« Je ne peux pas !

—  Ce n’est pas vrai ! Vous n’avez rien de cassé. Allons, du courage ! Ma vedette est tout près …

—  Les autres ?

—  Tous morts. Debout ! »

Il l’aida à se dresser, lui fit franchir la brèche de la coque. Dans le ciel d’un noir d’encre, le soleil avait disparu, et les premières gouttes de pluies sifflaient sur le sol brûlant. Ils marchèrent, Tinkar la soutenant par la taille, la portant presque. Chaque pas arrachait une plainte à Anaena, mais, courageusement, elle serrait les dents et continuait. Ils arrivèrent au ravin. Dans la nuit tombée, l’autre bord était invisible. Il pleuvait maintenant à verse, et si Tinkar était protégé par son scaphandre, sa compagne fut rapidement trempée. Des ruisselets couraient entre leurs pieds, transformant la cendre en une boue liquide et visqueuse. Par-dessus le bruit de cataracte de l’eau, il lui sembla entendre un croulement d’avalanche.

Il s’assit au bord du ravin, plaça la jeune fille sur ses genoux, se laissa glisser, la maintenant d’une main, freinant de l’autre avec son piolet. Un choc brutal marqua son arrivée, il restait maintenant à remonter l’autre pente. Il fouilla dans sa musette, en tira sa lampe, balaya la paroi. Des coulées de lave stratifiant les cendres donnaient des appuis possibles. Il abrita tant bien que mal Anaena sous un léger surplomb et, pataugeant dans la boue, traversa la ravine.

« Je vais chercher une corde et revenir. Attendez-moi sans bouger », cria-t-il.

Il dirigea le rayon de sa lampe vers le haut, la pluie brilla dans le cône de lumière, mais il n’aperçut pas sa vedette. La montée fut dure, et maintes fois il glissa. Il arriva enfin sur la plate-forme, ou plutôt ce qui en restait : toute une partie s’était effondrée sous le poids de son appareil, qui reposait maintenant sans doute sous les débris, au fond de l’autre précipice.

« La pluie ! »

Il ne perdit pas de temps à désespérer, refit le chemin en sens inverse. Découragé, il retrouva la jeune fille, roulée en boule sous le surplomb.

« La vedette a disparu. Je crains que nous ne soyons perdus, Anaena ! »