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Elle remua faiblement. Il se pencha sur elle, écouta sa respiration sifflante, posa la lampe sur un ressaut du roc, tira de son sac la trousse, et lui fit une deuxième piqûre. Au bout d’un moment, elle s’assit, passa la main sur son front, d’un air las, la retira pleine de sang, sombre dans la lumière. Dans le ciel noir, quelque rares éclairs palpitaient encore, l’averse avait presque cessé. Elle regarda fixement ses doigts écartés.

« Tinkar … Tinkar … Suis-je … défigurée ? »

Malgré le tragique du moment et de la question, il éclata de rire.

« Non, rien que les chirurgiens du Tilsin ne puissent faire disparaître si nous survivons, ce qui est d’ailleurs peu probable.

—  Ta vedette ?

—  La plate-forme où je l’avais posée s’est écroulée, minée par les eaux. La vedette est le diable sait où ! Hors d’état, de toute manière. Viens, nous allons partir, nous sommes trop près du volcan.

—  Attendons le jour !

—  Non, il y a une coulée de lave en marche dans la direction de l’épave de ton astronef. Elle sera sur nous avant l’aube.

—  Je suis si faible ! Espères-tu nous en tirer ?

—  Non. J’espère que nous nous en tirerons, si tu t’aides. Allons, essaie de manger un peu. Voici des provisions.

—  Et toi ?

—  Jusqu’à présent mon scaphandre a tenu bon, et je ne suis pas entré en contact avec des bactéries indigènes, s’il y en a de nocives pour nous. Je resterai dans cet isolement aussi longtemps que possible. Encore quelques heures, jusqu’à ce que ma provision d’air soit épuisée. Après, je ferai comme toi, je courrai ma chance avec le panvaccin. Mange et bois, je reviens. »

Il poussa son exploration quelques centaines de mètres plus bas, en suivant le ravin. Il s’élargissait, confluait avec un autre venant de la gauche. Tinkar remonta ce dernier, espérant trouver l’épave de sa vedette et en retirer armes et provisions. Très vite, une énorme coulée de boue lui barra le passage, et il comprit que son appareil gisait dessous, inaccessible.

Quand il revint, Anaena était debout dans ses vêtements trempés, prête, ils partirent. Le rayon de la lampe illuminait le sol devant eux et la base des parois de la ravine, laissant le sommet dans une obscurité que trouait parfois un éclair attardé. Du sol chaud et mouillé montait une brume légère. Le chemin était rude, coupé de blocs éboulés, mais la pente assez forte les aidait. Ils descendirent ainsi d’environ un kilomètre d’altitude.

Avec un bruit effrayant, l’éruption reprit. Bien qu’ils fussent hors de la zone lourdement pilonnée par le volcan, de temps en temps quelque bombe plus petite ou lancée avec plus de violence s’écrasait dans la cendre avec un sifflement. Chaque fois, instinctivement, Anaena se cramponnait au bras de Tinkar et rentrait la tête entre les épaules. Lui ne bronchait pas : qu’était ce bombardement naturel à côté de ceux qu’il avait autrefois subis ? Puis la ravine s’étala, ses murailles perdirent de leur hauteur, la pente devint plus faible. Ils rencontrèrent une coulée de lave convulsée, déchiquetée, reste d’éruptions anciennes. Anaena était prête à s’effondrer de fatigue et Tinkar décida de s’arrêter là, hors du danger immédiat. Il avisa dans la cheire une cavité naturelle laissée par une énorme bulle de gaz, assez grande pour les contenir tous deux.

« Rentre là-dedans. J’ai cru voir des buissons, je vais essayer de faire du feu. »

Une maigre végétation sèche poussait dans les fentes de la lave et quelques grands arbres morts dépassaient encore la surface, agitant dans le vent leurs branches blanchies, avec des craquements lugubres. Il revint à la grotte avec une brassée de broussailles et de rameaux. Un coup de fulgurateur alluma le feu, qui pétilla bientôt, chassant l’obscurité, emplissant la petite caverne de sa lueur rouge.

« Ne reste pas dans tes vêtements mouillés. Enlève-les et sèche-les. Je tourne le dos ! »

Il s’installa à l’entrée, surveillant la nuit. Il n’avait pas vu de faune près du volcan, et ne pensait pas que les animaux s’en approchassent tant qu’il était en éruption. Mais le feu les attirerait peut-être. Fulgurateur en main, il attendit, l’oreille aux aguets, entendant les légers bruits que faisait la jeune fille en se dévêtant.

« Comment vous êtes-vous fait descendre ? Quel était le crétin qui pilotait ?

—  Moi ! »

Il eut un gloussement étouffé qu’elle interpréta comme un rire de mépris.

« Je sais piloter aussi bien que toi !

—  Combien étiez-vous ?

—  Cinq. Mais les autres étaient d’accord pour survoler le volcan. Je ne les ai pas assassinés, si c’est cela que tu insinues !

—  Qu’alliez-vous faire au-dessus du cratère ? Voir le spectacle ?

—  Nous sommes libres ! Mais je voulais recueillir des échantillons de gaz et de débris rejetés par l’éruption. Cela donne parfois de bons renseignements sur la composition de la croûte profonde.

—  Ah !.. »

Il se tut. À ses yeux, la manœuvre de fous se transformait en mission dangereuse. Elle avait marqué un point.

« Pourquoi es-tu parti, Tinkar ? demanda-t-elle soudain.

—  Tu t’en étonnes ?

—  Passe-moi du bois sans te tourner ! Merci. Oui, je m’en étonne. Personne n’a compris.

—  Les plans !

—  Ce n’est pas moi qui les ai fait voler !

—  Je ne te crois pas.

—  Mais pourquoi les aurais-je volés ? Tu m’avais promis de me les donner !

—  Pour m’empêcher d’avoir ce geste. Pour que je reste aux yeux de tous, un pou de terre !

—  Il y a de grandes chances pour que nous ne revenions jamais à bord, Tinkar. Pourquoi mentirais-je ? Je n’ai pas volé tes plans. Je n’ai appris qu’ils avaient disparu que quand le patriarche est venu voir mon oncle à ce sujet.

—  Alors, où sont-ils ?

—  Je ne le sais pas ! Quelqu’un à bord les a, sans doute. Probablement un avantiste. Normalement, la prochaine élection pour le poste de teknor n’est que dans deux ans, mais il existe des moyens de l’avancer. En accusant le teknor d’impéritie, par exemple, si l’on recueille assez de signatures. Ou bien en apportant quelque chose de vraiment utile et nouveau comme le serait un traceur. Tu ne pourrais pas prouver qu’il s’agit d’un appareil réalisé d’après tes plans …

—  Oh ! si !

—  Ah ? Mais peut-être les voleurs ont-ils construit clandestinement un ou plusieurs traceurs, qui sont actuellement en marche sans que le teknor le sache. Te rends-tu compte de l’effet, si X ou Z arrive un jour, avertissant de l’approche d’une cité, humaine ou autre ! La majorité de mes compatriotes se moqueraient bien que ce soit à l’aide d’un appareil volé !

—  C’est possible. De toute façon, c’est trop tard pour moi, maintenant. »

Il existait peut-être à bord un ou plusieurs traceurs en marche … Il en existait un au moins, le sien. Il était probable en effet qu’il y en eût d’autres. Peut-être étaient-ils, malgré les dénégations d’Anaena, dans le poste de commandement lui-même !

« Il n’est jamais trop tard, Tinkar. »

Il resta un instant muet, puis dit lentement :

« Si. Je vais probablement me marier avec Iolia.

—  Ah ? Que veux-tu que cela me fasse ? Ce n’est pas à ça que je pensais. »

Sa voix sonnait faux, malgré la bravade.

« Tu peux te retourner, je suis sèche.

—  Alors dors, tu en as besoin. »

Il amassa pour elle du sable fin, plaça le sac à provisions sous sa tête, revint s’asseoir à l’entrée.