Tinkar hésita.
« Si, par une loyauté mal comprise, vous ne voulez pas répondre, nous avons des moyens, nullement cruels du reste, de savoir. Quelques minutes sous le psychoscope, et nous saurons tout ce qui nous intéresse. »
Tinkar tressaillit. Sur Terre, des rumeurs couraient parmi la Garde, sur un appareil que posséderait la police politique, et qui lisait les pensées d’un homme, sans même que celui-ci s’en aperçoive.
« Soit, dit-il. Vous êtes dans les limites de l’Empire. Dans ce secteur, toutes les planètes habitées, humaines ou non, en dépendent. Ou dois-je dire : en dépendaient ? Quand je suis parti, la révolte avait éclaté dans le système solaire, et nous n’avions plus de nouvelles des planètes extra-solaires, sauf celles d’Alpha Centauri.
— Vous n’avez donc pas de communicateurs hyper-spatiaux. C’est bien ce que je pensais. Dommage. Continuez. La Terre est donc le centre d’un Empire, comme autrefois. Quelle en est l’organisation ?
— Au sommet, l’Empereur, puis son premier ministre, assisté du Grand Conseil. Au-dessous, la classe des nobles, puis les chevaliers, puis les marchands, les techniciens, enfin le peuple.
— Noblesse héréditaire ?
— En est-il une autre ? s’étonna Tinkar.
— Quand il en est une autre, cela vaut mieux pour l’État. Et quelle était votre place dans cette hiérarchie ?
— Classe des chevaliers. Lieutenant de la Garde stellaire.
— Bien. Je dois maintenant m’occuper de choses plus pressantes. Je vous demande, comme prime de sauvetage, de me préparer un rapport sur votre société, aussi complet que possible, sans oublier les détails militaires. Non, ce n’est pas de la trahison. Votre empire ne nous menace pas, et nous ne nous intéressons pas à votre Empire. Souvenez-vous, de toute façon, que nous avons les moyens de savoir.
— Quel sera mon statut à votre bord ?
— Celui des quelques planétaires que le hasard a jetés sur notre route. Vous ne devez pas pénétrer au-delà des portes marquées d’un cercle rouge barré. À part cela, vous êtes libre. On va vous assigner un logement. Pour vos vêtements, votre nourriture, etc., vous toucherez une somme d’argent largement suffisante. Je vous conseille d’aller le plus vite possible à la bibliothèque de l’Université et de lire l’ouvrage de Mokor, Histoire de la Civilisation interstellaire. Comme la plupart de nos livres, elle est écrite en interspatial. Cela vous permettra sans doute de mieux vous adapter, et d’éviter des impairs. Notre civilisation doit être profondément différente de la vôtre.
— Comment dois-je vous appeler ?
— Je suis Tan Ekator, teknor du Tilsin.
— Et si je refuse d’obéir à vos ordres ?
— Je vous l’ai déjà dit, nous avons des moyens … Mais nous ne les emploierons qu’en dernier ressort. Nous répugnons à violer une conscience humaine. Rendez-vous au compartiment 63, rue 19, pont 7, secteur 1. Là, on s’occupera de vous. Au revoir, Holroy. »
Repris par l’habitude militaire, Tinkar salua, pivota sur ses talons. Un miroir lui renvoya l’image du teknor qui souriait, amusé. Vexé, il franchit la porte, et se retrouva dans la coursive. Son guide l’y attendait.
« Suivez-moi. »
La pièce où il pénétra lui rappela le bureau de l’intendant, à la caserne, et cela lui redonna confiance. Une vingtaine d’hommes et de femmes travaillaient derrière des tables basses. « Des secrétaires », pensa-t-il. Évidemment, avec une astronef de cette taille, le travail administratif doit être énorme. Un des bureaucrates lui fit signe de s’approcher.
« Holroy, Tinkar ? Bien. Voici votre carte. Vous y trouverez tous les renseignements nécessaires. Vous étiez officier ? Peut-être trouvera-t-on un emploi pour vous, plus tard. En attendant, sans position. Je vous rappelle qu’il vous est interdit d’entrer dans les compartiments qui portent un cercle rouge barré ou non barré. Une seule punition, l’espace !
— Où se trouve la bibliothèque de l’Université ? »
Le scribe le regarda curieusement.
« Que voulez-vous y faire ?
— Votre commandant m’a conseillé de lire des livres sur votre histoire.
— Ah ! Une seconde. »
Il décrocha un téléphone, prononça quelques mots rapides, écouta la réponse, parut étonné et désapprobateur.
« Curieux. C’est bien la première fois … Hé ! Kilian ! Une autre carte pour cet homme ! Modèle A !
— Modèle A ? Pour un planétaire !
— Ordre de Tan Ekator. Je viens de vérifier.
— Soit ! Attendez, vous, l’homme. »
Quelques minutes passèrent. Une nouvelle carte fut présentée à Tinkar.
« Voici donc votre carte, modèle A, et le plan du Tilsin. L’interdiction des portes à cercle barré tient toujours, mais vous pouvez franchir celle où le cercle ne l’est pas. » « Une carte A pour un planétaire, ajouta le secrétaire pour lui-même, je n’avais jamais vu ça ! »
Quand Tinkar sortit du bureau, il s’aperçut que son guide ne l’avait pas attendu. Il était seul, livré à lui-même. Il s’assit sur un banc, pour lire sa carte, et consulter son plan. La carte était écrite d’un côté en une langue inconnue, de l’autre en interspatial. Elle lui assignait un logement (cellule 189, rue 21, pont 10, secteur 3), un restaurant (salle 19, rue 17, pont 8, secteur 3), pas obligatoire, et un crédit de 152 stellars par mois. Il n’avait aucune idée de ce que cette somme représentait.
Le plan était extrêmement complexe. L’astronef comportait cinquante ponts, sauf par endroits où d’immenses salles étaient indiquées comme « parcs » ou « jardins ». Chaque pont était divisé en quatre secteurs, numérotés de 1 à 4 dans le sens des aiguilles d’une montre, le numéro 1 étant à l’avant et à gauche. Dans chaque entrepont il existait des coursives concentriques, en nombre variable, entre lesquelles un système de rues, radiales ou parallèles découpait des blocs.
Il parvint sans trop de peine à repérer l’emplacement où il se trouvait, sa mémoire bien entraînée ayant retenu les chiffres lancés par le commandant. Il n’avait aucune notion de l’heure locale, mais, affamé, résolut de se rendre au restaurant qu’on lui avait indiqué. Plan en main, il partit.
Il fut vite perdu. Il utilisa un puits de chute, dépassa le pont qu’il cherchait, échoua au pont 11, au carrefour de deux rues. Vexé, il remonta des escaliers, essaya de s’orienter, s’égara définitivement. Toutes les portes étaient closes, nul ne passait. Enfin, une jeune fille survint. Elle était grande et mince, brune, à peau foncée sans être noire, assez jolie. Tinkar salua et s’avança vers elle :
« Pourriez-vous m’indiquer mon chemin ? Je me suis perdu », dit-il en interspatial.
Elle l’examina curieusement.
« Êtes-vous un planétaire ?
— Oui, j’ai été recueilli il y a très peu de temps.
— Où voulez-vous aller ?
— Au restaurant que l’on m’a assigné, si toutefois c’est l’heure des repas.
— L’heure du repas ? Vous voulez dire que, sur votre planète il y a des heures spéciales, en dehors desquelles on ne peut pas manger ?
— Oui, certes. » Puis, voyant ses sourcils se froncer : « Elles ne sont pas absolues. Il y a une certaine latitude, du moins pour les civils.
— Ah ! je vois. Avez-vous de l’argent ?
— Ma carte dit que je dois toucher 152 stellars par mois. Est-ce beaucoup ? Et de quelle durée sont vos mois ?
— Nul ne vous a renseigné, je vois. Un planétaire ! Eh bien, un mois correspond à trente fois 24 heures standard. 152 stellars c’est tout à fait convenable, c’est ce que je touche moi-même. Vous avez donc une carte A ?