— Rien. À vivre tranquillement, jusqu’au jour où vous pourrez me débarquer sur la Terre ou tout autre planète humaine.
— Et Iolia te suivra ?
— Oui.
— J’espérais mieux de toi, Tinkar. Je pensais que tu nous aiderais contre un ennemi qui bientôt n’épargnera plus les planètes, humaines ou autres.
— J’étais prêt à le faire, quand on a volé mes plans. Quelqu’un de chez vous les a. Trouvez-les, trouvez-le. Alors, je lui réglerai son compte dans un de vos parcs, et nous pourrons reparler utilement.
— Tu mets tout le monde en danger par ton obstination, y compris Iolia.
— Je ne le crois pas. Mais si c’est vrai, nous courrons ce risque.
— Et si nous t’abandonnions ici ?
— Vous ne le pouvez pas. Les pèlerins m’ont admis parmi eux, et vous êtes liés vis-à-vis de moi comme vous l’êtes vis-à-vis d’eux. Ils ne vous laisseraient pas faire ! »
Tan avait eu un geste de colère impuissante, et était parti.
Avant même que les camps miniers soient achevés, Tinkar avait épousé Iolia. La cérémonie avait eu lieu selon le rite des pèlerins, simple et brève. Depuis, Tinkar était considéré comme un pèlerin, bien que ne partageant pas leur foi.
Il se leva, rangea ses notes, jeta un coup d’œil machinal au traceur. Rien. Il regarnit le réservoir d’encre du stylet, mit un autre rouleau de papier, se disposa à partir. L’aiguille oscilla doucement.
Il orienta les antennes extérieures, chercha en tâtonnant. Quelque chose bougeait dans l’hyperespace, loin encore.
« Une cité ? Ou bien les Autres ? »
Fallait-il avertir le patriarche ? Le teknor ? Pour ce dernier, ceux qui avaient volé ses plans s’en chargeraient. Holonas … Il n’avait pas encore révélé l’existence du traceur. Ses camarades de laboratoire croyaient que l’appareil représentait le résultat de ses recherches sur les communications hyperspatiales. Il valait sans doute mieux, cependant …
L’aiguille fit un crochet, revint à zéro. Le contact était perdu. Ils étaient encore loin des zones dangereuses, et, de toute manière, voguaient eux aussi dans l’hyperespace. Ils ne risquaient donc rien. Il attendit cependant encore une heure, puis rentra chez lui.
Iolia était déjà endormie. Il se glissa près d’elle doucement. Elle se serra contre lui, l’entoura de ses bras sans se réveiller.
Il resta longtemps, les yeux ouverts, dans l’obscurité, faillit se relever, téléphoner au patriarche. Petit à petit, l’engourdissement le gagna. Il était fatigué par ses longues veilles, bien au chaud, heureux.
« Trois mois déjà que je suis marié, pensa-t-il. Trois mois de bonheur. »
Le choc l’éveilla à demi. Il ouvrit les yeux, tendu, son instinct de guerrier reprenant le dessus. Un autre choc, plus léger, puis, d’un coup, une explosion qui fit vibrer la coque et les cloisons de métal, et le hurlement sinistre des sirènes. Iolia se dressa, alluma la lampe.
« Quatre coups, dit-elle tremblant de tous ses membres. Catastrophe majeure, ou bien …
— Ou bien les Mpfifis », acheva-t-il, traversé d’un épouvantable remords.
Il enfilait ses vêtements en hâte.
« Attention ! Attention ! clama le communicateur. Nous sommes attaqués par les Mpfifis ! Tous les hommes en armes immédiatement ! Rejoignez vos sections sans perdre une seconde ! »
D’un geste rageur, Tinkar arracha les scellés de sécurité qui fermaient l’armoire aux armes, prit deux fulgurateurs, un court fusil, les ceintures de munitions. Iolia, blême, s’arma elle aussi.
« Je cours à l’hôpital, Tinkar, c’est ma place.
— Et moi section 4 ! »
Il se pencha vers elle, l’embrassa sauvagement.
« Fais bien attention, Io ! Et, quoi qu’il arrive, merci pour le bonheur que tu m’as donné, et souviens-toi que je t’aime !
— À bientôt, aimé ! Ne cours pas de risques inutiles !
— Ne t’inquiète pas ! j’en ai vu d’autres. »
Il jeta un dernier regard à la frêle silhouette engoncée dans sa blouse blanche d’infirmière, sortit. Dans la rue, les pèlerins couraient, et il se mit à courir vers le quartier général où l’attendait sa section. La grande pièce était un tumulte d’hommes armés entrant et sortant, toute la vaste pagaille des guerres. Il réussit à atteindre le capitaine.
« Tinkar Holroy, section 4. Où est l’attaque ?
— En cinq points, les voici sur le plan. Rejoignez immédiatement les sections 6, 7 et 8 au point 3. »
Repris par une vieille habitude, il salua en claquant des talons. Malgré la gravité de l’heure, le pèlerin eut un sourire.
Sa section l’attendait au grand complet, cent hommes avec deux fulgurateurs lourds et dix mitrailleuses. Ils ne perdirent pas de temps, foncèrent par les rues maintenant désertes, vers le point 3 du plan, pont 4, secteur 2. Ils n’y parvinrent jamais. Un Stelléen avec un brassard d’officier les arrêta à un carrefour.
« Destination ?
— Point 3 !
— Trop tard, nos lignes sont enfoncées. On se bat dans le parc 14. Allez-y, et hâtez-vous ! »
Ils bifurquèrent, plongèrent dans un puits gravitique, coururent dans les avenues, joignirent une autre section. Tout en dirigeant ses hommes, Tinkar pensait :
« Par chance, aucun des points de combat n’est proche de l’enclave. »
Il se demanda subitement ce que faisait Anaena, l’imagina avec Tan au poste de commandement, essayant de diriger la bataille. Subitement, il eut un regret : sa place aurait été là-bas, sans doute.
Ils commençaient à entendre le bruit du combat, l’explosion sourde des grenades, le sifflement des fulgurateurs lourds, le déchirement des rafales de mitrailleuses, et un autre bruit, inconnu, une sorte de soufflement saccadé qui devait être celui des armes des Autres. Ils arrivèrent au parc 15. Un petit poste les arrêta. Tinkar et le commandant de l’autre section, un Stelléen maigre et brun, s’avancèrent. Un officier les attendait.
« Vous, Scott, vous allez passer à gauche et rejoindre les sections 122, 123 et 127. Ils ont bigrement besoin de renforts. Vous …
— Holroy.
— Ah ! le Planétaire ? Eh bien, nous allons voir comment on se bat dans la Garde terrestre. Filez à droite avec vos pèlerins, et épaulez les sections 80 et 87. Elles sont aussi en mauvaise posture. Il vous faut tenir au moins deux heures.
— Position de l’ennemi ? »
L’homme sortit un plan de sa poche.
« Aux dernières nouvelles, il y a dix minutes, il était là. »
Le crayon parcourait le plan, dessinant une ligne en croissant, les deux pointes collées aux parois du parc.
« Classique, grommela Tinkar. On ne peut pas les arroser par le plafond ?
— Non. Ah ! mais, c’est une idée, cela. On pourrait percer des trous, et … allez, filez, je vais téléphoner cette suggestion au teknor. »
Tinkar haussa les épaules, se tourna vers ses hommes.
« Allons-y ! Pas d’imprudences, faites comme je vous ai enseigné à l’exercice, et tout ira bien. »
Ils débouchèrent dans le parc par une petite porte secondaire et, tout de suite, furent dans l’ambiance de la bataille. L’air était déjà épais de fumée, des buissons flambaient entre les lignes, et des balles vinrent siffler au-dessus d’eux, s’écrasant sur la paroi de métal.
« En avant ! Camouflez-vous derrière les arbustes. Vous les mitrailleurs, déployez-vous en ligne. Un fulgurateur à droite, un à gauche ! »
Ils progressèrent, Tinkar en tête, se retournant de temps en temps pour voir s’il était suivi. Puis les projectiles sifflèrent plus près.
« À plat ventre ! Rampez. Les approvisionneurs, en route ! »