Il tomba nez à nez avec un homme qui se dirigeait vers l’arrière.
« Où vas-tu ?
— Je venais voir si les renforts arrivaient.
— Aussi vite qu’on a pu ! Guide-nous vers les lignes.
— Ce qui en reste ! »
Dans le lit d’un petit ruisseau, maintenant à sec, les débris des sections 80 et 87 essayaient de contenir l’ennemi.
« Qui commande ici ? »
Un homme vint, presque à plat ventre.
« Moi. Sous-chef de section Ballart.
— Alors, je prends le commandement. Chef de section Holroy. Combien êtes-vous ?
— Environ 50.
— Sur 200 ?
— Non, sur 400. Il y avait aussi les sections 76 et 40. Attention ! »
Avec un soufflement saccadé, comme d’un chat en colère, quelque chose passa au-dessus de leurs têtes, s’écrasa quelques dizaines de mètres plus loin. Une courte flamme, un nuage de terre et de fumée montèrent vers le plafond lointain.
« Heureusement que la puissance des armes qu’ils peuvent employer est limitée », grogna le sous-chef de section.
Tinkar ne l’écoutait plus. Penché sur son microphone, il donnait des ordres.
« Fulgurateur no 1, balayez-moi ces buissons devant nous. Et changez immédiatement de place ensuite. Mitrailleurs, prêts à tirer ! »
Les haies flambaient déjà furieusement. Elles s’effondrèrent en tisons cendreux. Tinkar passa la tête au-dessus de la berge. Loin, à cent mètres, de l’autre côté du petit parc, des formes remuaient, jaillissant d’une porte, s’aplatissant au sol.
« Mitrailleuses 2 et 4, concentrez le feu sur cette porte. Empêchez-les de se renforcer. Bon sang ! Il y a longtemps que tout ça aurait dû être fait ! Où étaient donc vos mitrailleuses ?
— Nous n’en avions pas, chef !
— Et on vous a envoyés au combat les mains vides ?
— Fusils, grenades, fulgurateurs légers. Il fallait tenir jusqu’à ce que des renforts arrivent.
— Vos sections n’avaient normalement pas de mitrailleuses ?
— Si, mais nous n’avons pas eu le temps d’aller les chercher aux magasins. »
Tinkar faillit étouffer de colère. Ainsi, en dehors de l’enclave, les armes étaient rangées dans des magasins !
« De toutes les âneries ! Pas étonnant que les Autres l’emportent presque chaque fois ! Attention, ils vont attaquer ! »
Sous le couvert d’un feu de mortier, dont les projectiles tombaient maintenant drus, les Mpfifis progressaient par bonds.
« Ne tirez pas encore, sauf les mitrailleuses 3 et 4, et quelques fusils. Attendez de voir leurs yeux ! »
Disciplinés, stoïques, les pèlerins recevaient les projectiles sans broncher. Un obus tomba dans le ruisseau, à cinquante mètres à gauche de Tinkar, et il entendit une fois de plus les cris terribles d’hommes déchiquetés. La ligne des ennemis approchait, et il eut sa première vision des Mpfifis. Plus grands que des hommes, ils couraient avec une grâce souple, et leurs armes crachaient un déluge de balles et de rayons incendiaires. Ils furent à quarante mètres, à trente, à vingt.
« Feu ! »
Les huit mitrailleuses cachées, les deux fulgurateurs, les fusils entrèrent en action. Tinkar tirait comme à la cible debout, semblant invulnérable. La vague d’assaut reflua, laissant sur le sol de nombreux morts et blessés.
« Cessez le feu ! Changez de place ! Vite ! »
Une mitrailleuse passa à côté de lui, traînée pas six hommes suants, couverts de terre. Un des hommes n’était plus un pèlerin, mais un Stelléen. Tinkar chercha à se rappeler qui avait été dans cette équipe et manquait maintenant.
Il fit l’appel des quatre sous-chefs de sections.
« Ici Malpas. 2 tués, 3 blessés légers.
— Ici Turan. 3 tués, 2 blessés graves évacués.
— Ici Rau. Ni mort, ni blessés.
— Ici Smith. Un mort, pas de blessés. »
Le barrage reprit, plus puissant, plus précis.
« Inutile d’attendre cette fois, il savent maintenant à quoi s’en tenir. Feu à volonté dès qu’ils se lèveront, mais ne gaspillez pas les balles ! »
L’attaque fut brisée une fois de plus, mais ce coup-ci les pertes étaient lourdes aussi du côté des hommes. Tinkar retrouvait le sentiment intemporel des champs de bataille. Une heure seulement depuis les sirènes. Du moins, sa montre l’affirmait.
Le combat continua encore deux heures. À gauche, le front avait fléchi, et des projectiles arrivaient maintenant vers eux de cette direction. Tinkar songeait à la retraite quand l’ordre en arriva. On leur avait demandé de tenir deux heures, ils avaient tenu presque trois.
Ils enfilèrent la rue, à la hâte, salués par des salves bien ajustées qui firent encore des morts. Tinkar accrocha un capitaine.
« Comment cela va-t-il sur les autres fronts ? »
L’homme l’attira à l’écart.
« Mal. Nous sommes enfoncés aux points 1, 2 et 5. Seul 4 et vous avez tenu. L’ennemi s’infiltre d’un peu partout.
— Que fait le teknor ?
— Je ne sais pas. Je n’ai plus reçu d’ordres de lui depuis une heure. J’ai peur que nous ne soyons déjà coupés de lui.
— Qu’y a-t-il dans ce secteur ?
— Des logements. Vides. Les non-combattants ont été évacués vers les parcs centraux.
— Alors que foutons-nous ici ?
— Nous défendons la cité, Planétaire !
— Ce n’est pas ainsi que nous gagnerons ! Il faut contre-attaquer ! Porter la guerre chez eux !
— Plus facile à dire qu’à faire !
— On peut essayer. Replions-nous, et …
— Non ! Il faut tenir ici. Ordre du teknor !
— Mais c’est idiot ! Sitôt que les Autres auront percé nos lignes, comme ils l’ont sans doute déjà fait, ils se répandront dans la cité, et ce sera la pagaille noire ! Nous ne pourrons plus rien ! »
Le capitaine eut un geste las.
« Qu’y puis-je ?
— Venir avec moi ainsi que vos hommes ! »
Une violente explosion les jeta au sol. À quelques dizaines de mètres de là, la cloison déchiquetée vomissait un flot de Mpfifis.
« Trop tard, Planétaire ! »
Tinkar n’était plus là. Arc-bouté, il retournait une mitrailleuse lourde avec l’aide de quelques pèlerins, insoucieux des projectiles qui sifflaient à ses oreilles. Il dirigea le feu de son arme sur la masse grouillante qui envahissait la rue.
« Allez ! Hop ! On fonce ! »
Il courut, lançant coup sur coup deux grenades, achevant de nettoyer le passage, en jetant une troisième dans la brèche en sautant devant elle. Ils se retrouvèrent une trentaine, avec deux mitrailleuses légères, dans une avenue déserte. Il entra dans un appartement, essaya de contacter le poste central. Nul ne répondit.
« Inutile de nous faire tuer pour rien ! Il doit bien y avoir des secondes lignes quelque part ! »
Ils les trouvèrent vite, au carrefour suivant. De là, il put téléphoner au teknor.
« Ici Holroy. Nous sommes perdus si cela continue. Donnez-moi carte blanche, et deux cents hommes, et je vais essayer de contre-attaquer.
— Que voulez-vous faire ?
— Vous le verrez !
— Alors c’est non !
— Écoutez, Tan. Je me fous de votre cité, mais j’ai ma femme quelque part qui soigne vos blessés dans un de vos hôpitaux. Je ne veux pas la voir griller vive par ces brutes. Je n’ai pas le temps de vous exposer mon plan. »
Une autre voix lui répondit, celle d’Anaena.
« Que veux-tu, Tinkar ?
— Vous sauver, au besoin malgré vous. Mais il me faut deux cents hommes, et carte blanche. »