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Il y eut un moment de silence.

« Soit, prends-les. Mais pas où tu es. Puise dans les réserves du poste de commandement. Remets ta section à l’officier en charge. »

Il fila par les rues, croisant des renforts, sauta sur des chemins roulants, escalada les escaliers, trouvant les puits gravitiques trop lents. Anaena l’attendait.

« Les hommes sont là, les meilleurs que nous ayons pu trouver. Je ne te cache pas que tu es notre dernier espoir, Tinkar. Ah ! pourquoi n’as-tu pas accepté la proposition de Tan ? »

Il eut un rire amer.

« J’ai fait pire, depuis ! Pas de temps pour les regrets, cependant. Où en est la bataille ?

—  Viens. »

Sur le mur du poste de commandement, une ligne rouge marquait l’avance ennemie sur les plans de tous les ponts. Tinkar eut un soupir de soulagement. L’enclave des pèlerins était encore en sécurité.

« Où est la cité de ces cochons ?

—  Collée sur nous. Que veux-tu faire ?

—  L’envahir !

—  Avec deux cents hommes ?

—  Juste assez pour détourner l’attention de ceux qui ramperont sur sa coque avec des explosifs. Mon plan est de couper les tunnels de passage qui les unissent à nous ; ensuite, nous passerons dans l’hyperespace, tandis que la bombe atomique que j’aurai placée sur leur coque explosera.

—  Assez fou pour pouvoir réussir. D’ailleurs, nous n’avons pas le choix. Soit, je marche. Mais avec mille hommes.

—  C’est trop ou trop peu. Deux cents suffiront. Nous sortirons par un des sas de l’enclave, et nous passerons sous le Tilsin. Il me faut quelqu’un de sûr pour commander l’équipe de diversion.

—  Moi.

—  Sauras-tu ?

—  Autant que tout autre Stelléen. Mais il faut que le teknor soit au courant. Lui seul peut nous faire donner une bombe atomique légère. »

Quand ils traversèrent l’enclave, Tinkar prit deux minutes pour essayer de joindre Iolia. Elle ne put être trouvée à temps. Il laissa un message pour elle. Ils passèrent par le sas et, tenus par leur bottes magnétiques, marchèrent sur la partie inférieure de la cité. Sans points de repère, leur marche leur sembla normale jusqu’au moment où, parvenus au bord de la lentille, ils eurent pour une seconde l’impression de regarder en bas dans un gouffre sans fond où brillaient les étoiles.

La cité mpfifi écrasait le pont supérieur de sa masse, et de son ventre sortaient les cinq tunnels d’abordage, rivés à la coque du Tilsin.

« Fais sauter d’abord deux tunnels, Anaena. Très probablement, il y a un sas à chaque bout, mais cela attirera l’attention des ennemis sur ce point. Essaie de pénétrer dans la cité ennemie, mais ne t’éloigne pas, quelle que soit ta curiosité pour l’intérieur d’une ville mpfifi. Arrange-toi pour que les trois autres tunnels sautent dix minutes plus tard. À ce moment-là, plongez dans les trous ! Je vous rejoindrai. Maintenant, au revoir ou adieu, je ne sais. »

Il alluma les fusées de son scaphandre, monta vers la cité ennemie, suivi des six hommes portant la bombe sur un traîneau.

Rien ne bougeait. Il eut le temps de voir les artificiers à l’œuvre, puis la courbure de la coque les cacha à ses yeux.

« Stop », signala-t-il.

Il était inutile de passer devant un poste d’observation et de se faire ainsi repérer.

Une brève lueur illumina le Tilsin, puis une autre, les deux premiers tunnels venaient de sauter. Il imagina Anaena et ses hommes se ruant dans les brèches, puis sourit. On ne pouvait guère se ruer dans un scaphandre ! Chassant ces images de sa pensée, il chercha le bon endroit pour poser sa bombe, décida que, dans l’ignorance où il était du plan de la ville ennemie, un point en valait un autre. Cinq minutes déjà s’étaient écoulées. Ils fixèrent l’engin et Tinkar déclencha le dispositif à retardement qui, dans dix minutes, amorcerait la réaction thermonucléaire.

« Filez ! dit-il à ses hommes. Avertissez nos camarades au passage. J’arrive. »

Il régla minutieusement les curseurs, sentit soudain une présence près de lui, jura.

« Nom d’un Stelléen ! Je vous avais dit de filer ! »

Il reçut un coup violent sur son casque, se retourna. Géant dans son scaphandre, un Mpfifi était penché sur lui.

Il se redressa si vite que ses bottes magnétiques faillirent lâcher prise. L’ennemi le dépassait de trente bons centimètres, mais ne semblait pas armé. Sans doute était-ce un mécanicien inspectant la coque. Déjà, il balançait son bras pour le frapper. Tinkar évita le coup d’une brusque plongée, saisit les jambes du Mpfifi, le projeta loin de la coque. Tournoyant, il dériva dans l’espace, et Tinkar se sentit pris de pitié pour lui, se souvenant de sa propre aventure. Une faible trépidation se fit sentir sous ses semelles.

« Les autres tunnels ! Ils sautent ! Le Tilsin va plonger ! »

Il courut, maladroit, à grandes enjambées glissantes. La cité était encore là, et dans sa coque il pouvait voir deux des trous béants, proches et pourtant lointains, dans lesquels s’enfilaient les dernières ombres humaines. Il n’avait plus le temps de descendre normalement ; il piqua, de toute la puissance de ses fusées, comme un projectile. Il entrevit une forme allongée frappant le Tilsin, loin vers l’avant, dans une explosion de lumière, puis s’engouffra tête la première dans un des trous, essayant désespérément de ralentir sa course à l’aide des rétrofusées. Son casque heurta le sol, et il perdit connaissance.

Il se réveilla dans un compartiment inconnu, entouré de deux docteurs et d’Anaena.

« Alors ?

—  Tu as gagné, Tinkar. Nous sommes en train de réduire les dernières poches de résistance dans notre cité. »

Il se laissa retomber avec un soupir.

« Eh bien, je vais rentrer chez moi. Félicitations, Ana. Tu as du cran. Je le savais, d’ailleurs. Ne pouvons-nous pas être amis ? Bien que, quand tu sauras ce que j’ai fait … Je vais rentrer chez moi, et dormir ! Iolia doit m’attendre avec impatience. »

Quelque chose dans le regard d’Anaena le fit pâlir.

« Elle … Elle n’est pas … ?

—  La dernière torpille de l’ennemi, Tinkar. En plein dans l’hôpital où elle travaillait. Elle n’a pas eu le temps de souffrir ni probablement de se rendre compte … »

* * *

Il sortit du sommeil avec un violent mal de tête, la bouche pâteuse. Il regarda un moment le plafond, sans comprendre où il était. Puis la mémoire lui revint, et il souhaita être mort.

Il se trouvait dans son ancien appartement. Là, sur la table, les toiles de Pei étaient toujours roulées, telles qu’il les avait laissées quand il était parti se réfugier dans l’enclave, telles qu’il les avait trouvées quand …

La pièce puait l’alcool. Il se dressa à demi, et, avec un bruit de verre brisé, une bouteille s’écrasa à terre, ajoutant quelques tessons à de nombreux autres. Le mouvement augmenta sa migraine, et il lui sembla que son cerveau ballottait, heurtait son crâne.

« Huit jours ! Huit jours déjà ! »

Il se leva, posant soigneusement les pieds entre les débris de verre, passa dans la petite cuisine, but de l’eau, à grands traits. Puis il s’assit à sa table, et resta là, immobile, la tête entre les mains, sans même plus pouvoir pleurer.

Huit jours !

Il se rappelait, comme d’un rêve, avoir parcouru les rues de la cité, encadré par Anaena et d’autres Stelléens, acclamé pas les hommes et les femmes qu’il croisait, sans rien comprendre. Il était entré dans l’enclave, avait marché comme un aveugle jusqu’à son appartement. Dans sa chambre, son pyjama était encore sur le lit défait, et la robe de nuit d’Iolia. Alors, il avait enfin compris.