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—  Oui.

—  Étrange pour un planétaire. D’habitude, ils n’ont droit qu’à une carte B, à 92 stellars. Vous avez de la chance. La première chose à faire est de passer à une banque, qui vous donnera de l’argent. Connaissez-vous notre monnaie ? Non, évidemment ! Un stellar se divise en 10 planars, qui valent 10 satellars chacun. Un satellar vaut 10 asterars. Un repas coûte de 30 satellars à 1 stellar.

—  Et où trouverai-je une banque ?

—  Hall 5, dans cette rue. Venez. »

Bien qu’apparemment étonnés eux aussi par le type de sa carte, les employés ne firent aucune réflexion, et, quelques instants plus tard, Tinkar se retrouva dans la rue, le portefeuille bourré d’étranges coupures. La jeune fille le guida jusqu’à une grande salle de restaurant, presque vide à ce moment de la journée.

« Voilà. Vous y êtes ! »

Elle partait. Tinkar la retint d’un mot :

« Restez !

—  Pour quoi faire ?

—  J’ai encore bien des choses à vous demander. Et accepterez-vous de déjeuner avec moi ? »

Elle eut un mouvement de recul non dissimulé.

« Ah ! non. La bonté a des limites ! »

Heurté dans sa fierté, il la regarda s’éloigner sans mot dire.

III

LA VILLE SANS RACINES

Désorienté, il parcourut la salle du regard. Elle ressemblait à toutes les salles de restaurant qu’il avait vues sur Terre ou ailleurs, avec quelque chose de militaire dans l’alignement strict des tables, vides pour la plupart. Aux murs, quelques tableaux très allongés, des paysages de planètes inconnues. Au fond, un long comptoir chargé de mets sous des cages de verre, derrière lequel se tenaient trois serveurs, debout. Il s’avança, se sentant de nouveau en terrain familier. Il prit un plateau, s’approcha du comptoir.

« Nouveau ? interrogea un serveur souriant. Quelle cité ?

—  Impéria.

—  Impéria ? Jamais entendu parler. Elle a dû être construite depuis la dernière assemblée. Quel clan ? Finn je pense, tu en as la tête. Non ? Alors Sveri ? Rouski ? Norge ? Ah ! J’y suis, Angle ou Usien !

—  Non, je suis de la Terre. »

Le visage du serveur se ferma.

« Un planétaire ! Ce n’est pas ta place ici, limace ! Il y a un restaurant spécial pour les cartes B !

—  Mais j’ai une carte A ! La voici ! »

L’homme la saisit, l’examina, incrédule.

« C’est pourtant vrai ! Alors, les planétaires parlent l’interspatial, maintenant !

—  C’est nous qui l’avons créé, sous le règne de Kilos II le Glorieux ! »

Le visage de l’homme se convulsa, ses camarades approchèrent.

« Kilos le Glorieux ! Kilos le chien, l’assassin, veux-tu dire !

—  Je ne laisserai pas insulter le fondateur de l’Empire !

—  Ton empire est loin, rampe-à-terre ! Plus tôt tu l’oublieras, mieux cela vaudra pour toi ! »

Un des assistants intervint.

« Laisse-le, Jorg ! Il ne sait pas ! Ils sont tous comme ça, au début, qu’ils viennent de l’Empire terrien, de la Confédération, ou d’une planète libre. Tous pourris d’orgueil ! »

Il s’adressa à Tinkar :

« Vous, le Terrien, vous voulez manger. Choisissez, payez, mangez, et décampez ! »

Tinkar se retint. Après tout, il devait la vie à ces gens, même s’ils le considéraient comme un animal méprisable. Il devait patienter, s’adapter, étudier le milieu dans lequel il était tombé. Plus tard, on verrait.

De goûts frugaux —  on n’encourageait par la gourmandise dans la Garde —  il choisit au hasard un morceau de viande grillée, une gelée verte, un étrange fruit, paya 40 satellars et s’assit à une table vide. La nourriture était bonne, très supérieure à celle dont il avait l’habitude. À la table voisine de la sienne, deux jeunes hommes et une jeune fille achevaient leur repas. Les hommes étaient sobrement vêtus d’une courte tunique serrée à la taille, la femme d’une tunique plus longue, rouge vif. Brune avec des reflets bronze, elle était jolie.

« Ainsi, disait-elle, d’une voix si haute qu’il était évident qu’il lui était parfaitement égal que toute la salle l’entendît, Tan Ekator, à ce qu’on m’a rapporté, aurait donné une carte A à cette limace ? Attendez que le grand concile se réunisse !

—  Il en a le droit, Oréna. Rien dans la charte ne l’en empêche. Tout ce que tu peux faire, c’est de voter contre lui, si tu es encore à bord du Tilsin dans deux ans.

—  Le droit ! le droit ! Vous n’avez que ce mot à la bouche ! Notre teknor nous insulte en donnant une carte A, une carte de stelléen, à un planétaire, et tout ce que vous trouvez à dire, c’est qu’il en a le droit ! Tu me dégoûtes, Oliemi, et toi aussi, Daras ! »

Elle se tourna vers Tinkar.

« Qu’en penses-tu, frère ? Crois-tu que dans une autre cité que ce puant Tilsin les stelléens accepteraient un tel outrage sans se révolter ? »

Il ne répondit pas, partagé entre la colère d’avoir été traité une fois de plus de limace, et la gêne. Elle reprit :

« Toi aussi, alors ? D’où es-tu ? Je ne t’ai jamais vu ici ? Nouvellement arrivé ? »

Il resta muet.

« Les Mpfifis t’ont dévoré la langue ? Ou bien, ajouta-t-elle doucereusement, n’as-tu pas le courage de tes opinions ? »

Tinkar haussa les épaules, se leva. Il ne lui aurait servi de rien de s’immiscer dans une querelle qui, bien que causée indirectement par lui, ne le concernait pas. Elle se dressa d’un bond, vint se planter devant lui, écarlate de colère.

« Ne crois pas t’échapper ! Quand je pose une question, je veux une réponse !

—  Cela suffit, Oréna, coupa un des hommes. La loi des stelléens …

—  Oh ! le Rktel avec la loi ! À force de la citer, vous oubliez l’esprit qui est derrière elle ! »

Tinkar essaya de l’écarter. La seconde d’après, il reçut une formidable gifle.

Jusqu’à ce moment, il avait été patient, bien que tout son orgueil de garde stellaire ait été profondément blessé par des paroles injurieuses lancées à son égard par une femme. Sous le coup, il vit rouge, moins de douleur que de rage. Sa main chercha vainement son fulgurateur. Alors, sans même que sa volonté entrât en jeu, son bras droit se détendit. La jeune fille roula sur la table, puis au sol, dans une averse d’assiettes et de gobelets en plastique. Il resta debout, en garde, s’attendant à être attaqué par les deux hommes. Le plus grand se leva lentement.

« Es-tu fou, frère ? Tu sais bien qu’un homme ne doit jamais frapper une femme !

—  Elle m’a …

—  Oréna est impossible, je te l’accorde ! Mais la loi est la loi, et tu peux être sûr qu’elle va demander son droit !

—  Son droit ?

—  Les coutumes sont-elles différentes dans ta cité ? Ici, on va vous laisser seuls dans le Grand Parc. Mais elle aura dix coups pour son arme, toi un seul, et une main attachée ! »

Un homme fendit le cercle des curieux qui s’étaient agglomérés, se planta devant Tinkar. Celui-ci reconnut un des serveurs.

« En voilà assez, pou de terre ! File, et plus vite que ça ! »

Le cercle se referma immédiatement.

« Un planétaire ?

—  Ouais ! Celui à qui on a donné une carte A !

—  Fichez-le à l’espace !

—  Non, aux cages expérimentales !