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—  Ainsi c’est elle la cause de … Enfin, le passé est mort. Vous savez comment ce vol m’a confirmé dans l’idée qu’il n’y avait rien de commun entre nous. Mais cela n’aurait rien été. Vous avez fait pire, vous avez détruit ma foi, mes raisons de vivre, et vous n’avez rien mis à la place. Oh ! personne n’a fait de propagande contre l’Empire. Vous vous êtes contentés de dire que vous le haïssiez, et ça, je puis le comprendre. Mais vos livres, vos conversations, votre existence même ont été de destructeurs. Si une civilisation aussi puissante avait pu se développer sur des prémisses aussi différentes des nôtres, il était évident que l’Empereur ne pouvait guère être divin ! Puis j’ai rencontré Iolia.

« Son peuple a été meilleur pour moi que vous ne l’avez été, et plus franc. Ils m’ont offert leur religion, ils ont compris qu’en moi il y avait un vide. Mais c’était trop tôt ou trop tard. Trop tôt, car il me restait une empreinte encore profonde de l’Empire. Trop tard, car votre travail de destruction était déjà fait.

« Je vous ai haï, oh ! combien je vous ai haï ! Même toi, Anaena. Et pourtant, quand le hasard nous a fait frères d’armes sur cette planète sans nom, j’aurais pu t’aimer et être sauvé. Mais vivait dans mon cœur, comme un serpent, la certitude que tu avais machiné ce vol de mes plans. L’injustice de ta conduite envers Iolia m’a révolté aussi. Et j’ai épousé Iolia, la douce Iolia, espérant trouver auprès d’elle le repos et l’oubli. Vous savez ce qui est arrivé, par ma faute, et la vôtre !

« Maintenant, je suis revenu, chassé de la Terre où j’avais cherché, combien puérilement, un refuge. Vous semblez heureux de me revoir, vous me pressez de m’assimiler à vous. Moi, je veux bien. Que me reste-t-il d’autre à faire ? Mais ne croyez-vous pas que j’aurais de meilleures chances, si j’arrivais à vous comprendre ? À quoi croyez-vous donc ? Qu’est-ce qui vous pousse à vivre ?

—  Nous croyons en l’homme, Tinkar, dit doucement le teknor. Ou plutôt en l’intelligence, car il est des races non humaines, différentes de nous par leur aspect, et qui sont quand même humaines, au sens où je l’entends. À l’homme. Mais à un type d’homme tel que tu n’as jamais été, malgré ton esprit puissant, tes muscles et ton courage. Tu n’es encore qu’un enfant. Je ne mets pas en doute tes qualités viriles, mais elles ne suffisent pas. Il ne sert à rien d’être capable de regarder la mort en face, si on n’est pas capable de la regarder en face seul !

« La majorité d’entre nous ne croit en rien d’autre. Oh ! nous ne nions pas ce que nous ignorons. Il est possible qu’il y ait un Dieu, mais s’il est, il est si différent de ton Dieu qui déléguait sur Terre —  une misérable planète d’une petite étoile d’une galaxie moyenne —  qui déléguait sur Terre un empereur ! Il est différent du Dieu des pèlerins, qui leur fit une promesse. Appelle Dieu l’inconnaissable, si tu veux. Il est rassurant de penser que l’Univers n’est pas vide, qu’il existe quelque chose qui le transcende, et qui l’a causé. Pour moi, je ne puis me leurrer. Ce Dieu est indifférent au sort des hommes, tout est comme s’il n’existait pas.

« Sur des millions de planètes, nous le savons, la vie est apparue. Dans la boue de marécages, dans la tiédeur sale des eaux primitives. Il n’y a nulle preuve que la vie fait partie d’un plan établi, elle a dû naître, non pas par hasard, mais comme le résultat inéluctable de processus physico-chimiques. Son abondance dans le cosmos, les innombrables mondes où elle a avorté me semblent la preuve de son manque de finalité en dehors d’elle-même.

« Car elle a une curieuse particularité, la vie, c’est celle de se continuer, de se défendre sauvagement contre l’entropie envahissante, de vouloir se perpétuer, même dans les pires conditions, même quand il n’y a aucun espoir.

« Puis, passé un certain degré de complication, est apparue la conscience, enfin l’intelligence. Et par là même, le cosmos s’est donné un témoin et un juge. Témoin vain, juge futile, dont nulle puissance extérieure n’exécuterait jamais les arrêts. Et la vie s’est mise alors à transformer le cosmos.

« Notre empreinte est encore infime : quelques planètes ravagées au cours de nos guerres, quelques mondicules ajoutés par nos efforts aux immenses globes célestes. Mais la vie commence à peine ! Elle n’a existé, dans ce coin du cosmos où tâtonnent nos explorations, que pendant le dernier milliard d’années. Sur notre planète-mère, l’intelligence n’a guère qu’un million d’années ou deux, si elle les a. Il y a une quarantaine de mille ans terrestres sont apparus les premiers hommes modernes. Deux races seulement sont plus anciennes, parmi celles que nous connaissons, les H’rtulu, qui ont environ cinquante mille ans derrière eux, et les Kiliti, qui en ont soixante mille. Toutes deux ont subi des conditions tellement difficiles qu’elles ne sont guère en avance sur nous.

« D’autres espèces ont disparu, écrasées par un soubresaut du monstre Univers : étoile explosant en nova, ou tout autre catastrophe. Nous avons maintenant franchi le seuil où nous aurions pu être détruits ainsi, Tinkar. Il est difficile de concevoir un cataclysme s’étendant sur plus de cent mille années-lumière. D’ici peu, nous irons aux autres galaxies : deux de nos cités explorent la nébuleuse d’Andromède.

« Nous ne pensons pas être déjà vainqueurs du cosmos. Nous sommes toujours de fragiles insectes, sujets à disparition par voix interne, par sénescence raciale. Mais, si nous avons le temps, nous conquerrons cet ennemi-là aussi. Nous nous répandrons, et pas seulement nous, mais toutes les races alliées, nous nous répandrons dans tout l’Univers.

« Pour quel but ? Aucun ! Notre volonté. Quand l’inanimé a produit l’intelligence, un pas décisif a été franchi. La vie intelligente, qui n’a aucun but dans le sens métaphysique du terme, à la propriété de se fixer son but elle-même. Nous conquerrons l’Univers parce que nous le voulons, ou que ça nous amuse.

« Mais tout cela n’est qu’un côté de l’histoire, Tinkar. Le plus important n’est pas là ! Le plus important est la conquête de l’intelligence par elle-même. Plus un être est réellement intelligent, plus il voit l’absurdité du mal, plus il s’efforce de le combattre. Oh ! je sais qu’il existe des hommes ou des êtres —  les Mpfifis par exemple, et encore n’est-ce pas sûr —  qui paraissent à la fois intelligents et vils. Je dis qui paraissent, car ce sont ou bien des malades, ou alors des imbéciles, malgré leurs réussites matérielles. Il faut être fou ou bête pour utiliser ses facultés à détruire au lieu de construire, ou bien alors sentir confusément qu’on n’en est pas capable.

« Le premier but que l’homme se fixe, c’est d’étendre aussi loin que possible le règne de la conscience. Le second, c’est de perfectionner cette conscience, de la rendre aussi constructive que possible. La première conquête est en bonne voie. Si l’homme terrestre ne la réalise pas, d’autres le feront. La deuxième, eh bien la deuxième est un peu en retard, car plus difficile. Nous sommes, nous, Stelléens, très en avance sur ce qu’était votre Empire. Tu as pu voir, ici même sur le Tilsin, qu’il nous reste un très long chemin à parcourir !

« Qu’est-ce qui pousse l’homme dans cette direction ? Je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que construire donne à tout esprit normal, sain, plus de plaisir que détruire. C’est dans la construction seulement que l’homme peut pleinement se réaliser, en tant qu’individu et en tant qu’espèce.