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Il y eut une grande clameur: c'étaient les femmes. Un océan de feu entourait la colline et gagnait rapidement vers le sommet. Toute la plaine semblait en flammes, et une ligne incandescente s'approchait et s'élargissait constamment.

– Il reste un passage là-bas! cria Oswald, et il hissa l'un des enfants sur ses épaules. Attrapez les gosses et courez ventre à terre!

Nous dévalâmes la pente et atteignîmes l'ouverture en question avant qu'elle ne se fermât. Mais la chaleur était féroce, les craquements assourdissants. On ne voyait plus le soleil noyé dans la fumée. Nous respirions difficilement et plus difficile encore était de voir d'où venait le feu. Des langues de flammes zébraient le brouillard noir, d'un côté, puis de l'autre. Des flammèches rampaient sous nos pas et déjà nos pieds et nos jambes se couvraient de cloques douloureuses.

– A la caverne! cria père. Nous serons en sûreté à l'intérieur.

Nous fonçâmes en avant, toussant et suffoquant avec les gosses terrorisés et se tortillant et hurlant de douleur dans nos bras. Mais le feu avait couru plus vite que nous.

– Impossible, p'pa! cria Oswald. On ne pourra pas traverser. Il faut rebrousser chemin!

Il n'y avait ni caverne, ni rivière, ni quoi que ce fût qui pût arrêter le feu dans cette direction-là, et s'il nous rattrapait, nous étions cuits. Mais nous n'avions plus le choix.

– Restez ensemble! cria père. Oswald, en avant! Je me charge des femmes.

Il arracha une tige d'un fourré de bambous, et l'appliqua avec élan sur les fesses de Pétronille, qui traînait en queue des fugitifs haletants.

– Plus vite! cria-t-il.

– Je ne peux plus, gémit-elle, je suis brisée.

– Non, tu ne l'es pas! Avance! rugit père. Elle titubait, mais père l'asticota jusqu'à ce qu'Alexandre, déjà chargé de deux bébés, lui offrît un bras secourable. Elle s'y accrocha, et le bambou de père s'abattit sans pitié sur un autre traînard.

Nous courions, mais nous n'étions plus seuls à courir. Hors des sous-bois jaillissaient céphalophes, antilopes, zèbres, impalas, phacochères, ils se joignirent à nous, les yeux exorbités par la terreur. Devant Oswald, un petit troupeau de girafes galopait et lui servait d'éciaireur. Mais toutes les autres bêtes demeuraient avec nous, et nous faisaient humblement confiance pour les tirer de là. A mon côté, je vis surgir lourdement une jeune lionne avec un lionceau nouveau-né dans ses dents. Elle le laissa tomber devant moi, l'air suppliant, et retourna dans les flammes, en bondissant. Elle en revint avec un autre lionceau, mais la toison un peu brûlée. Elle soulevait l'un, le portait devant nous, allait rechercher l'autre, et ainsi de suite, et pourtant parvenait à rester à notre hauteur, sans un regard pour les gazelles dont elle frôlait les flancs transpirants. Plus loin nous fûmes rejoints par un guépard portant un seul petit, plus loin encore par une famille de babouins chargés de jeunes sur leur dos. Enfin il y eut un craquement énorme et, d'un euphorbe géant dont le sommet commençait de brûler lentement, oncle Vania tomba aux pieds mêmes de père.

– Je l'avais bien dit, je l'avais bien dit! rugit-il. Tu as réussi ton coup, hein, cette fois, Edouard! C'est la fin du monde!

– Fais avancer ta femme, dit père. Tu arrives juste à temps.

Et cette tâche, dès ce moment, absorba toutes les énergies d'oncle Vania.

Il me semblait que nous avions passablement distancé le feu. Toute la bande à présent dévalait un ravin rocheux peu profond. Il débouchait sur une vaste région d'herbe sèche et de brousse. Si le feu nous trouvait là, c'était la fin. Or les bêtes maintenant nous arrivaient de partout, comme dans un dernier havre de grâce. Même les serpents, terrifiés, nous sifflaient entre les jambes, ondulant à travers l'herbe haute. Seuls les oiseaux là-haut semblaient en sécurité, et des buses, des faucons et autres rapaces profitaient même de nos désastres pour piquer et emporter de petites proies faciles.

Il était inutile d'aller plus loin: les girafes revenaient au galop. Le cercle était bouclé.

Je grimpai en haut des rochers. J'y trouvai, côte à côte, couchés sur le flanc, hors de souffle, des lions, des boucs, des léopards, des hyènes, des antilopes, des cochons, des babouins, contemplant d'un regard dilaté l'horizon en flammes. Deux longues cornes de feu s'avançaient très loin et déjà se refermaient presque. Et ce qui était pire, c'était que le vent tournait et que les flammes revenaient vers nous.

– Nous sommes fichus, criai-je. Plus de sortie.

– Il nous reste combien de temps selon toi? cria père.

– Pas plus d'une demi-heure.

– Descends.

Je le trouvai donnant des ordres avec calme, d'une voix tranchante, autoritaire:

– Tous les enfants contre les rochers. Les autres, partagez-vous en deux: une moitié avec Tobie, une moitié avec moi.

Ils coururent chacun de leur côté. Moi, j'avais suivi père. Il s'arrêta, et je vis avec terreur qu'il perdait la raison: il s'était agenouillé, frappait de son silex, et tentait d'allumer du feu!

– Tu es fou? m'écriai-je.

– Tais-toi et obéis, dit-il d'un ton sec. Dès que le feu prendra, soufflez dessus, vous autres, pendant que j'en allume un autre un peu plus loin. Laissez-le s'étendre un peu et éteignez-le avec vos bâtons dès que le sol sera nu. C'est notre seule chance, dit-il.

Le cerveau fonctionne vite quand on a peur, je devinai sa stratégie. Et nous nous mîmes tous au travail fébrilement. Avec ce qui nous semblait une lenteur désespérée, nous brûlions l'herbe en de petits feux supportables et la battions et piétinions au fur et à mesure, étendant la zone noire et incombustible autour de notre sanctuaire rempli de femmes, d'enfants et d'animaux épouvantés. Pendant ce temps, un mur de flammes, une ligne de rhinocéros rouges et menaçants, s'avançaient inexorablement.

Ils s'élancèrent vers nous au moment où nous terminions. Nous n'eûmes que le temps de faire un saut en arrière. Une vague énorme de chaleur étouffante nous jeta titubants contre les rochers déjà brûlants. Nous arrachions frénétiquement des touffes de tussilage pour les presser sur la bouche et les yeux des enfants, tandis que les animaux hurlaient et se tortillaient dans le monstrueux nuage de fumée qui, chargé de brindilles brûlantes, effaçait tout.

Cela dura une éternité, nous sembla-t-il, mais pour finir le nuage passa, nous contourna et reflua vers la jungle carbonisée. La respiration devint moins difficile. Et alors, les animaux, nous-mêmes, tous, nous fûmes saisis d'un seul et identique désir, obsédant: aller boire. Dès qu'il fut possible d'avancer parmi les cendres et les braises, lentement toute la cohue s'ébranla, bipèdes et quadrupèdes, trébuchant de conserve à travers ce qui naguère avait été la brousse. Personne n'attaquait personne, chacun portait ou guidait ses propres petits et nous titubions vers les abreuvoirs où les crocodiles attendaient. Mais jamais encore ils n'avaient vu un tel rassemblement, un si fantastique pataugement de sabots, de pattes et de pieds et, complètement abasourdis, ils prirent le large.

Quand tout le monde eut bien bu, et baigné ses brûlures, et que chacun se retrouva en sécurité, il y eut un coup d'œil réciproque, et, dans un éclair, les animaux disparurent dans toutes les directions; à l'exception du bébé d'une biche égarée, qui se retrouva mussé dans les bras de William.

– Eh bien, dit père, nous voilà sains et saufs! Admettez que c'est une invention formidable. Si nous n'avions pu faire, Tobie et moi, un contre-feu juste à l'instant et l'endroit qu'il fallait, vous seriez tous transformés en mixed-grill, en ce moment.

Oncle Vania ouvrit la bouche. Mais les mots lui manquèrent pour exprimer ce qu'il pensait, et il la referma, vaincu. Il leva ses longs bras dans un geste de désespoir, et lentement s'en fut en chaloupant, faisant lever à chaque pas un lourd nuage de cendres blanches. Ce fut à Griselda que revint le soin de tirer la morale. Noire des pieds à la tête, tous les sourcils et la plupart de ses beaux cheveux brûlés, elle tourna vers moi un regard injecté de sang.