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Sa persévérance fut tout à coup récompensée. Alors qu'il voyait les rochers du cratère se dresser à pic, et le surplomber encore de plus de mille mètres; alors qu'il lui aurait fallu deux ou trois jours pour grimper en spirale avant d'y parvenir (et eût-il survécu la nuit, en plein air, dans un tel endroit?) et comme il atteignait la face opposée de la montagne, son espoir se ranima: de la fumée, de la vapeur sortaient à flanc de coteau, juste au-dessus de lui. Il y trouverait du feu peut-être, sans avoir à se risquer jusqu'au cratère et son bouillonnement, qui rougeoyait à des milliers de degrés centigrades. Et en effet, ayant grimpé un peu plus haut en diagonale, il vit des entrailles liquides suinter sur la pente rocheuse, comme si quelque ennemi, après avoir pourfendu la montagne, lui exprimait les tripes en appuyant dessus. Son temps eût-il été moins précieux, disait père, qu'il eût élaboré quelque hypothèse plus proche de la vérité sur la façon dont le monde avait été fait; mais il n'avait guère le loisir de se livrer à d'autres observations que les plus hâtives. Et ce qui, pour le moment, accaparait son intérêt, c'était de voir comment, dès qu'un arbre était sur le chemin du vomissement incandescent, il se mettait à flamber avant même d'être atteint. Redoublant alors d'attention, il s'aperçut bientôt que lorsqu'un arbre avait pris feu, s'il s'en trouvait un autre au voisinage, celui-ci s'enflammait aussi peu après. Voilà donc, pensa-t-il avec exaltation, le principe, le secret mécanisme de la transmission du feu, démontré au naturel! Le feu aime à manger: si on lui présente une nourriture à sa convenance, il la dévore à son tour aussitôt. «Tout cela, nous disait-il, vous semble maintenant très évident; mais souvenez-vous que moi, je voyais ce phénomène pour la première fois!»

Tout en parlant, père s'aperçut que l'épieu dont il taquinait les tisons était en train de brûler du bout. Il jura, l'éteignit sous des pierres, et quand, peu après, l'épieu eut cessé de fumer, il commença d'en nettoyer la pointe noircie avec un éclat de silex.

«Le volcan, c'était le feu-père, continuait-il tout en grattant. Les arbres étaient fils et filles, mais chacun d'eux ensuite, quand les branches d'un autre arbre l'approchaient d'assez près, pouvait devenir un feu-père. L'application de cette découverte m'apparut sans délai: tout ce que j'avais à faire, c'était de ramasser quelque branche tombée, de l'approcher d'un arbre brûlant et de l'emporter. Plus facile à dire qu'à faire! Car la chaleur, bien entendu, était infernale, et je crus bien prendre feu moi-même. Mais enfin, enfin je réussis: je tenais une branche enflammée! J'avais du feu dans mes propres mains! Criant de joie et de fierté, je m'élançai, portant haut ce petit volcan à mon bras. J'allais effrayer le lion le plus féroce à lui en faire perdre tous ses esprits! Et je courais, joyeux, vers la vallée. Il me fallut dix bonnes minutes pour m'apercevoir que mon volcan s'était éteint, et que ce que je brandissais si fièrement n'était plus qu'un tronçon noir qui me brûlait la main.»

«On n'apprend que par l'expérience», dit père. Il retourna donc sur ses pas pour faire une seconde expérience et, s'il le fallait, d'autres et d'autres encore. Il vit et comprit bientôt qu'un petit feu avait tôt fait de dévorer sa nourriture; et que, si l'on ne voulait pas qu'il meure, il fallait lui en donner de nouvelle. C'est donc ce que fit père. C'est-à-dire qu'il organisa une sorte de relais. Il mit le feu à une branche, l'emporta en courant aussi loin qu'il put dans la forêt, arracha une nouvelle branche avant que le feu n'eût atteint sa main, lui fit prendre feu, l'emporta, et ainsi de suite. Nous écoutions père bouche bée, car tout cela paraît simple et logique une fois qu'on l'a vu faire, nous comprenions combien peu ce l'était avant cette première fois.

Le système fonctionna à merveille, bien que père découvrît que certains arbres brûlaient mieux que d'autres. Il sut en tenir compte, et quand il arriva chez nous, il portait le six cent dix-neuvième tison de la série, avec lequel il fit s'enfuir les fauves et les loups qui avaient encerclé notre grotte, et alluma un feu à nous à l'intérieur de la palissade, le même feu que nous avions apporté ici, dans notre nouvelle caverne, et qui n'est jamais mort depuis: «D'ailleurs, dit père, même s'il arrivait maintenant qu'il s'éteignît…»

Il ne termina pas. Il s'avisait qu'il avait beau gratter, la pointe de son épieu restait brune et salie. Avec dépit, il la lança contre la paroi. Mais, à notre surprise à tous, au lieu de s'y écraser avec un bruit mou, la pointe rebondit avec un tintement sec et musical. Père ramassa l'épieu. La pointe était intacte.

«Dieu de miséricorde! souffla-t-il. Tout en vous parlant et sans même y penser, je viens de faire une invention de première grandeur: la lance de chasse à grand rendement, à pointe trempée au feu!»

5

Avant cette invention de père, la faiblesse des dards que nous fabriquions, pour abattre le petit gibier, avec les rameaux les plus droits que nous pouvions trouver, c'était leur pointe. A une certaine distance, elle perdait toute force de pénétration. Or il n'est pas facile de s'approcher d'un bouquetin, d'une gazelle; aussi perdions-nous beaucoup plus de gibier que nous n'en abattions. Quant aux grosses bêtes, outre le danger de les serrer de trop près, nos dards ricochaient tout simplement sur leur blindage.

Les nouvelles pointes durcies au feu changeaient tout ça. Pour les ongulés, par exemple, nos dards étaient mortels à trente mètres, et nous nous exercions couramment sur des cibles au double de cette distance. C'était généralement le crâne d'un zèbre; j'atteignais l'orbite à cinquante mètres, Oswald à plus de soixante, parfois à soixante-dix avec des dards bien droits. Nous nous exercions, bien sûr, avec des pointes émoussées, car la meilleure pointe durcie s'use vite, même à la chasse. Il faut souvent aller la passer au feu, ce qui limite, il faut en convenir, le rayon d'action de l'arme nouvelle. Toutefois, du jour de son introduction dans notre arsenal, il arriva beaucoup moins souvent que nous eussions faim.

Il devint normal de chasser le cheval, le zèbre, le cerf, le kongoni, le gnou, l'élan, l'oryx, et les caprins quand l'occasion se présentait. Nous courions courbés dans l'herbe haute qui couvrait la plaine, nous redressant seulement pour viser notre proie. Cette capacité, comme celle de grimper aux arbres pour faire le point, nous donnait l'avantage de la surprise, malgré les sentinelles faisant le guet pour le troupeau. Il n'y avait guère que les girafes qu'on avait du mal à surprendre, et nous n'en attrapions pas beaucoup. Nous avions de meilleurs résultats avec les chalicothériums, dont le cou est plus court. Mais avec leurs bois en éventail, ils sont dangereux quand ils sont blessés. Les nouveaux dards rendaient possible de tuer les buffles, mais eux aussi sont dangereux, et au début il y eut pas mal de victimes: personne ne court plus vite qu'un buffle, même avec un dard fiché dans son dos.