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sérieux exigé. ni flemmards ni fumistes.

cette candidature ne concerne que les esprits brillants.

Nous y voilà. Le jeu-concours.

5

QUESTION : Quel artiste noir, se définissant lui-même comme « le travailleur infatigable du show-business » et le pionnier de la musique funk appelle-t-on communément le « parrain de la soul » ?

RÉPONSE : James Brown.

Ce qui me frappait le plus, c’étaient leurs cheveux : improbables vagues capillaires cassantes comme le blé séché, ou rideau baissé de franges soyeuses balayant des fronts bombés, ou rouflaquettes laineuses accompagnées d’un menton glabre. Mon père était vert de rage en constatant, sur BBC One, dans les vidéoclips de Top of The Pops, que les chanteurs des groupes en vogue n’avaient pas la coupe en brosse qu’il affectionnait. En revanche, s’agissant de l’University Challenge, les gars qui étaient arrivés à se qualifier avaient le droit de se coiffer comme ils le souhaitaient. On aurait presque dit que leur folle exubérance capillaire n’était que l’exutoire obligé à leur incroyable surplus d’énergie mentale. On ne peut demander à un savant fou d’être tout à la fois un génie, d’avoir une coiffure convenable, d’y voir sans lunettes et d’être propre sur lui. Pareil pour ces types.

Et leurs vêtements… L’ésotérique et ancienne tradition anglaise de la toge rouge combinée aux cravates à motifs de touches de piano volontairement loufoques, les sempiternelles écharpes tricotées maison, les gilets afghans. Bien sûr, pour un gosse qui regarde la télé, tout le monde semble vieux, et, rétrospectivement, je sais que ces gars n’avaient pas plus de vingt ans – ils étaient donc jeunes techniquement, en termes de rotation orbitale, mais ils faisaient plutôt soixante-deux ans que vingt. Rien sur leur visage ne suggérait la fraîcheur, la vigueur, la santé. Le teint terreux, ils avaient l’air usés, accablés par le poids de leur savoir – la durée de vie moyenne du tritium (T,3H), l’origine de l’expression « éminence grise[4] », les vingt premiers nombres parfaits, le schéma des rimes des sonnets de Pétrarque – toutes choses dont leur corps accusait le lourd fardeau.

Bien sûr, papa et moi ignorions la plupart des réponses, mais le problème n’était pas là. Cette expérience n’avait rien de futile : il ne s’agissait pas de prétention ni d’autosatisfaction quand par hasard nous savions, mais au contraire d’humilité devant la multitude de choses que nous ignorions. L’important, c’était de porter un regard respectueux et admiratif sur ces étranges créatures omniscientes. Elles pouvaient répondre aux questions les plus incongrues : quel est le poids du Soleil ? Pourquoi sommes-nous sur terre ? L’Univers est-il infini ? Quel est le secret du bonheur ? Et même s’ils ne trouvaient pas immédiatement la réponse, ils pouvaient conférer, échanger à voix basse et produire une réponse qui, si elle n’était pas à cent pour cent juste, était grosso modo satisfaisante.

Peu importait que les concurrents fussent manifestement des inadaptés sociaux, ou des boutonneux, ou des crades, ou des vierges vieillissantes, ou, dans certains cas, carrément des givrés. L’important, c’était qu’existait une sphère dans laquelle des gens se savaient des puits de science, et qu’ils aimaient l’être. On était dans le registre de la passion, là, et mon père me disait : « Si tu te donnes suffisamment, tu feras partie de leur groupe. »

« Tu supputes tes chances ? » me demande-t-elle. Je me retourne, médusé. Elle est tellement belle que je manque lâcher ma bière.

« Tu supputes tes chances ? »

Jamais de ma vie je n’ai côtoyé d’aussi près une splendeur pareille. La beauté, on la connaît par les livres, bien sûr, et par les tableaux, ou par les merveilles de la nature, comme lors de cette sortie avec notre prof de géo à l’île de Purbeck, dans le Dorset ; mais jusqu’à maintenant, je n’en avais jamais fait l’expérience directe – celle d’un être tiède qu’on peut toucher, en théorie du moins. Elle est si parfaite que je recule. Je me sens oppressé et je dois me rappeler qu’il est essentiel de respirer. Cela semble une grotesque hyperbole, je sais, mais, en plus jeune et en blond, elle ressemble à Kate Bush.

« Tu supputes tes chances ? me demande-t-elle.

— Heu…, dis-je avec ma vivacité coutumière.

— Tu penses avoir le niveau voulu ? »

Vite, trouver une réponse spirituelle.

« Grrrr… », dis-je avec esprit. Elle me sourit avec bienveillance, comme une infirmière pleine de compassion souriant à Elephant Man.

« À demain, alors ? » me déclare-t-elle avant de se tirer. Elle est déguisée, mais très astucieusement, avec un bon goût combinant invention et culot. Elle a choisi d’incarner une tapineuse française – haut rayé noir et blanc, jupe crayon noire serrée à la taille par une ceinture élastique de la même couleur, collants résille, ou bas peut-être. Collants ou bas ? Bas ou collants ? cette question m’obsède.

Je la suis de loin, observant sa démarche chaloupée qui m’évoque Marilyn émergeant entre deux jets de vapeur sur un quai de gare dans Certains l’aiment chaud – collants ou bas, collants ou bas, bon sang –, et chaque fois qu’elle passe devant une porte du couloir, celle-ci s’ouvre et quelqu’un passe la tête pour dire « Hello, comment vas-tu ? Tu es splendide » ; mais elle n’est là que depuis huit heures, une journée tout au plus, comment peut-elle alors connaître tous ces gens ?

Elle entre dans la salle des fêtes en fendant une foule de clergymen qui la regardent, bouche bée, pour rejoindre un petit groupe de quatre filles plantées près de la piste, du genre belles nanas dures et branchées qui se flairent l’une l’autre avec méfiance mais restent en troupeau. Le DJ passe « Tainted Love », de Soft Cell[5] et l’atmosphère de la pièce devient plus lourde, sexuelle et décadente, berlinoise – pas vraiment style République de Weimar, mais plutôt représentation de Cabaret par les élèves de sixième d’une école de province. Debout dans l’ombre, j’observe. Il va me falloir être en possession de tous mes moyens pour arriver à mes fins, et il va me falloir aussi une autre bière. C’est la sixième ou la septième ? Je ne sais plus. Aucune importance.

Je reviens du buffet en hâte, de peur qu’elle ne parte, mais elle est toujours là avec sa petite bande, riant et plaisantant comme si elle connaissait ces filles depuis toujours. Je me compose un visage, arborant un air d’ennui amusé, et je tente deux reconnaissances qui me font passer devant elle avec une feinte nonchalance dans l’espoir qu’elle m’attrapera par le bras et me dira en plongeant son regard dans le mien : « Tu es fascinant. On te l’a déjà dit, non ? Je veux tout savoir sur toi. » Au lieu de quoi, rien. Je repasse donc une troisième fois. À la quatorzième ou quinzième, elle ne m’a toujours pas remarqué. Je tente alors une approche plus directe consistant à venir me planter derrière elle.

J’y reste toute la durée de la version longue de « Blue Monday » (sept minutes et demie !) par le groupe pop New Order. Une de ses copines, une blonde peroxydée aux cheveux quasi tondus, au visage triangulaire, aux lèvres minces et aux yeux de chat, finit par rencontrer mon regard. Instinctivement elle serre son sac contre elle comme si j’allais le lui piquer. Je la rassure d’un sourire. Elle roule des yeux fous, émettant probablement à l’intention de son petit groupe un signal secret liminal, puisque toutes se retournent et finissent par me regarder. Soudain, la blonde Kate Bush est là, son ravissant visage à quelques centimètres du mien. Je me débrouille pour être spirituel et lui largue un « Hello » caustique.

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4

En français dans le texte.

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5

« Amour corrompu ». Tiré de l’album Non-Stop Erotic Cabaret.