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— Très bien. Je le ferai.

— J’y compte bien. » Elle cligne des yeux, se lèche les lèvres et tente de tirer une dernière gorgée du flacon vide. « Écoute, Brian, je m’excuse d’avoir été si lourde avec toi, ce matin.

— Comment ça, lourde ?

— Tu sais ce que je veux dire : d’avoir fait ma Sylvia Plath, quoi.

— Oh, ne te bile pas…

— Remarque, ça ne m’empêche pas de penser que tu es un vrai con et tout, mais je suis désolée de t’avoir cassé les pieds.

— En quoi suis-je un vrai con ?

— Tu le sais, non ?

— Non. Dis-moi. »

Elle sourit en me glissant en coulisse un regard sous ses cils noirs et fournis. « Pour ne pas m’avoir baisée quand tu en as eu l’occasion.

— Ah… Eh bien, tant pis. » Je songe un instant à l’embrasser mais trop de gens nous regardent, et il y a Alice en haut. « Une autre fois, peut-être, dis-je.

— Ah non ! Tu as tout gâché. C’était une offre unique, mon pote. (Elle tape sa tête contre mon épaule.) Une Offre Unique. » Nous restons un instant silencieux, sans nous regarder. Rebecca finit par demander : « Où est ton copain ?

— Spencer ? Aucune idée. Là-haut, sans doute.

— Je croyais qu’il était censé faire une sorte de dépression nerveuse ?

— Ouais. Alice s’occupe de lui.

— Tu me le présenteras ou quoi ? »

Rebecca et Spencer, ce n’est pas une combinaison que j’avais imaginée, et les conséquences pourraient être désastreuses, mais comme il faut que je sache où il est, ce qu’il fait, où en est sa main dans le décolleté d’Alice, je dis à Rebecca : « Si tu veux. » On s’extrait des profondeurs du canapé et on commence à les chercher.

Après avoir inspecté chaque pièce, on finit par les trouver dans une petite chambre bondée à l’arrière et tout en haut de la maison, debout dans un coin, à cinq centimètres l’un de l’autre. Tout autour d’eux, les gens dansent, ou non (il n’y a pas assez de place), en tout cas ils agitent la tête sur « Exodus », de Bob Marley, et Alice agite également ses épaules, légèrement à contretemps, en se mordant la lèvre. D’accord, Spencer et elle ne s’embrassent pas, mais ils sont si serrés que c’est tout comme. Spencer a ce sourire de travers exaspérant et ravageur de tombeur de filles (ma parole, il se prend pour Fonz le bellâtre de la sitcom Happy Days), et Alice, qui semble fascinée, roule des yeux blancs, les bras croisés sur la poitrine comme si elle jouait les filles de ferme, lui mettant son décolleté sous le nez des fois qu’il n’aurait rien remarqué.

« C’est lui, là-bas, dans le coin, dis-je à Rebecca.

— Le skinhead ?

— Ce n’est pas un faf. (Je ne sais pas pourquoi je le défends. Si ça se trouve, c’est un facho, ou tout comme.)

— Beau gosse, dit Rebecca.

— Ah bon, oui, peut-être, merci pour lui. (Je bredouille car je commence à m’embrouiller.)

— Oh, la ferme, idiot. Tu n’as rien à redouter sur ce plan-là. »

Elle se paie ma tête ou quoi ? De toute façon, je ne cherche pas à creuser, déconcentré que je suis par ce que je vois : Alice est en train de passer sa main sur la tête de mon pote, de ce geste pathétique de fille chatouillée, toute prête à la retirer, cette main (« Oh, c’est tout râpeux ! »), mais il se penche pour qu’elle la remette, en lui servant une louche de son stupide sourire asymétrique de tombeur et en l’encourageant de la voix (« Vas-y, essaye encore ! »). Après, il n’aura plus qu’à lui montrer ses cicatrices récoltées dans une bagarre au tesson de bouteille. Vraiment, quelle arnaque de se raser la tête pour faire croire aux gens que vous avez craqué quand votre seul but est de vous faire caresser le crâne par des belles nanas. Je me demande combien de temps il me faudrait pour descendre à la cuisine, remplir une bassine d’eau froide et remonter la leur lancer dessus. Sur ces entrefaites, Patrick Watts s’approche d’eux et le fait pour ainsi dire à ma place en entamant une conversation.

« Oï, tu m’écoutes ou non, espèce de givré ? me demande Rebecca.

— Euh… je t’écoute.

— Alors, tu me présentes à ton copain ou quoi ?

— Je te présente. Mais ne va pas te tirer avec lui.

— Och, qu’est-ce que tu en aurais à cirer ? »

On va vers eux.

« Et Patrick est le capitaine de notre équipe, annonce Alice avec fierté, comme on s’approche.

— Oui, je suis au courant, dit Spencer sans regarder Patrick dans les yeux.

— Oh, hello, Rebecca », dit Alice qui, bizarrement, l’enlace. Rebecca lui rend son étreinte tout en me faisant la grimace par-dessus son épaule.

« Spencer, je te présente mon excellente amie, Rebecca. »

Je suis obligé de crier pour me faire entendre. Ils se serrent la main.

« Le fameux Spencer. Heureuse de faire enfin votre connaissance. Brian m’a beaucoup parlé de vous.

— Il a bien fait ! » Nous restons tous un moment à incliner la tête quand, je ne sais pas pourquoi, je me mets à hurler :

« Spencer, tu devrais parler à Rebecca de tes ennuis avec la justice. »

J’ignore ce qui m’a pris, mais je l’ai dit. Sans doute pour lui rendre service, et aussi pour alimenter la conversation. Spencer, qui a gardé le sourire, me demande :

« Pourquoi ?

— Parce que Rebecca est juriste.

— J’étudie le droit, c’est tout, proteste-t-elle.

— Mais tout de même…, dis-je.

— C’est quoi, ton problème juridique ? demande Patrick, soudain intéressé.

— Spencer s’est fait choper pour fraude aux allocations chômage.

— C’est une blague ! s’exclame Alice, soudain vertueusement de gauche, en serrant le bras de Spencer. Les salauds, dit-elle. Mon pauvre…

Bien joué, Brian. » Je devine les mots que Spencer m’adresse en les articulant sans les lâcher. Son sourire a tourné au rictus.

« Si tu n’as pas triché, tu ne risques rien, décrète Patrick avec hauteur.

— Mais il a triché, dis-je pour clarifier les choses.

— Ce qui veut dire que tu as un boulot ? demande Patrick.

— Au noir. Dans une station-service, marmonne Spencer.

— Sauf qu’il s’est fait prendre la main dans… » Spence me regarde d’un sale œil. Je m’arrête.

« Eh bien…, ricane Patrick en haussant les épaules, il ne me reste plus qu’à te souhaiter bonne chance, vieux. »

Spencer me fusille maintenant du regard : il me cloue sur place. Rebecca se retourne contre Patrick.

« Que veux-tu qu’il fasse, s’il n’y a pas de travail là-bas ?

— À l’évidence, il y en a.

— Ça m’étonnerait.

— À mon avis, tu découvriras qu’il y en a.

— Il y a quatre millions de chômeurs, affirme Rebecca, devenue mauvaise.

— Trois millions. Et il n’en fait pas partie. C’est toute la différence. S’il travaille au noir, il a manifestement un boulot, mais la paie est insuffisante pour son train de vie. Il a donc décidé de prendre le surplus que représente l’argent de l’État. (Je me demande si Patrick va continuer à appeler Spencer « lui » ?) On peut difficilement en vouloir au gouvernement de recouvrer ce qui lui a été volé. D’ailleurs, c’est aussi mon argent… »