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« Qui est là ?

— C’est Brian.

— Brian ? (Elle ouvre.) Mon Dieu, dans quel état tu es ! » Me prenant par la main, elle me tire à l’intérieur.

Elle me conduit au centre de la pièce et prend aussitôt les opérations en main, telle une gouvernante édouardienne sévère et efficace : « Ne t’assieds pas et ne touche rien avant qu’on t’ait séché, jeune homme. » Elle ouvre ses tiroirs, d’où elle sort un grand pull vert tricoté à la main, un pantalon de jogging et une paire de chaussettes de laine. « Et tu vas aussi avoir besoin de ça. » Elle défait la ceinture de son peignoir de bain blanc, l’ôte et me le lance. Dessous, elle porte un vieux tee-shirt gris rétréci qui découvre son nombril, avec Snoopy dans sa niche, dont la sérigraphie est tellement fanée et craquelée qu’elle ressemble à une fresque médiévale, une grande culotte informe en coton gris cuirassé et une paire de grosses chaussettes noires roulées sur les chevilles. De ma vie, je n’ai vu spectacle plus érotique.

« Regarde-toi : tu as les mains qui tremblent, dit-elle.

— Ah bon ? » Quand j’ouvre ma bouche pour parler, je constate que je claque des dents.

« Allez, donne-moi tout ça ; tu vas attraper une pneumonie. »

Elle tend la main. Je suis un peu nerveux de devoir me déshabiller devant elle, d’une part parce que les haltères n’ont pas eu le temps de faire leur effet, d’autre part parce que je porte un maillot de corps datant de ma scolarité adolescente, qui a toutes les chances de me donner des airs d’orphelin. Je me souviens pourtant que mon boxer-short est dans un état correct, et j’ai très froid. J’obéis donc. Elle se tient debout près de moi tandis que je me déshabille. Elle remarque que mes mains tremblent trop pour défaire les boutons de ma chemise.

« Laisse-moi faire, dit-elle. Pourquoi tu n’es pas avec Spencer ?

— On s’est di… disputés.

— Où est-il ? (Pourquoi me parle-t-elle de Spencer ?)

— Aucune idée ; rentré chez moi, probablement. »

Les boutons défaits, elle recule pour que je puisse ôter ma chemise. « Je suis tellement désolé pour tout ça, dis-je.

— Tout ça quoi ?

— La ba… bag… bagarre. (Claquement de dents.) Spencer et tout.

— Ne t’inquiète pas. J’ai trouvé ça plutôt amusant. En général, je condamne la violence physique, mais dans le cas de Patrick, je suis prête à faire une exception. Ouf, on peut dire que ton ami est un cogneur. (Ses yeux brillent.) Je sais que je ne devrais pas le dire, mais il y a quelque chose d’excitant à voir deux hommes se battre ; la séduction qu’exerçait dans la Rome antique un combat de gladiateurs, tu vois. » Assis au bord de son bureau que j’essaie de ne pas salir, je défais mes lacets boueux. Elle poursuit : « Je suis sortie un temps avec un boxeur amateur, et j’adorais aller le regarder s’entraîner et combattre. Quand c’était fini, on faisait sauvagement l’amour, c’était fantastique ; tout ce sang, ces contusions et tout, il y avait quelque chose de vraiment sensuel là-dedans. Le sang sur l’oreiller après… » Ma chaussure crottée à la main, elle a un petit frisson érotique rétrospectif. J’entreprends avec précaution de baisser mon pantalon mouillé. « Bien sûr, à part la chambre et le ring, on n’avait pas grand-chose en commun, continue-t-elle. C’était voué à l’échec dès le début. Si on est seulement attirée par ces mecs à moitié nus qui cherchent à ratatiner la cervelle des autres, la relation repose sur de mauvaises bases. Tu as déjà frappé quelqu’un, Brian ? »

À me voir en caleçon et maillot de corps, elle devrait deviner la réponse.

« Non, Dieu merci.

— Et tu as reçu des coups ?

— Oh, une ou deux fois. En cour de récréation, tu vois, ou lors d’une échauffourée dans un pub. Par chance, j’ai toujours une ceinture noire cachée sur ma personne. » Elle sourit, prend mes affaires en détournant les yeux et les secoue avant de les replier soigneusement.

« Ça ne te fait pas mal alors ?

— Quoi ?

— Ta tête, quand Spencer t’a poussée contre la fenêtre.

— Oh, ce n’est rien. Juste une petite bosse. Je n’ai pas de contusion, n’est-ce pas ? »

Elle me tourne le dos et écarte ses cheveux à l’arrière du crâne. Tout près d’elle, une mèche à la main, je n’examine pas, je hume. Je la hume. Elle sent le vin rouge, le coton propre, la peau chaude, le shampoing, et je meurs d’envie d’embrasser le haut de sa tête, là où il y a une petite imperfection. Ça passerait comme une lettre à la poste : « Voilà, plus de bobo », ou quelque chose comme ça. Mais j’ai ma fierté. Je pose donc mes doigts sur le point douloureux.

« Tu sens quelque chose ? » me demande-t-elle.

Oh, Alice, tu n’as pas idée de ce que je ressens.

« Tu as un bleu minuscule, rien de grave.

— Parfait », dit-elle en disposant mes vêtements sur le radiateur. Je suis toujours en slip et marcel. Un coup d’œil sur le « bas » me persuade que mes parties intimes se font indiscrètes. Je m’empresse alors d’enfiler le pantalon de jogging et le vieux pull, tout odorants d’elle.

« J’ai un peu de whisky. Tu en veux ? me demande-t-elle.

— Oui, oui ! » Je m’assieds sur son lit et la regarde rincer deux tasses dans le lavabo. À la lumière de la lampe de bureau, je remarque que le haut de ses cuisses est très blanc et ondulé, comme de la pâte levée, et, comme elle est de profil par rapport à la lumière, je vois, ou crois voir, une traînée de poils châtain clair monter, du bord de sa culotte, à l’assaut de son ventre doucement bombé.

« Alors, qu’est-ce que tu vas faire ? me demande-t-elle.

— À quel sujet ?

— Au sujet de ton ami Spencer. » Ça y est, ça continue : Spencer, Spencer, toujours Spencer…

« Je ne sais pas : discuter avec lui demain matin, je suppose.

— Mais pourquoi avoir marché aussi longtemps sous la pluie ?

— Je voulais lui accorder deux heures pour qu’il trouve ma piaule et s’endorme. Je vais rentrer, moi aussi. » (Je fais semblant de frissonner.)

Elle me tend une tasse à thé avec un doigt de whisky.

« Pas cette nuit. Tu n’es pas en état. Il va falloir que tu dormes ici. »

Je n’attendais que cela pour débiter mon texte : « Oh, ça va, je t’assure. »

Je n’ai plus froid mais je m’oblige à claquer des dents, ce qui est beaucoup plus difficile que vous ne le pensez. Je me garde d’en rajouter et déclare : « Je vais boire ça et partir.

— Brian, tu ne peux pas. Regarde dans quel état sont tes chaussures. » Mes richelieus esquintés fument sur le radiateur comme des pains de viande chauds, et j’entends la pluie cogner contre la vitre. « Je refuse de te laisser partir. Tu vas devoir dormir avec moi. » Le lit pour une personne est étroit. Très étroit. De la taille d’une longue étagère, pratiquement.

« Bon, d’accord, dis-je. Puisque tu insistes… »

31

QUESTION : Découverte presque en même temps par deux chercheurs travaillant indépendamment – le physicien hollandais Petrus Van Musschenbroek en 1746, et l’inventeur poméranien Ewald Georg von Kleist en 1745, la bouteille de Leyde est un flacon de verre scellé utilisé pour stocker quoi ?