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— Je sais ce que c’est, Rebecca.

— Bon, alors tu en as eu, ou tu te réserves pour ta femme le soir de tes noces ? Autre hypothèse : c’est elle qui trouve ton histoire sexuelle inquiétante – on n’est jamais assez prudente de nos jours. Sauf que, si je me souviens bien, tu n’as pas d’histoire sexuelle. »

Avant même de savoir ce que je vais dire, je le dis : « Et toi Rebecca, la tienne, d’histoire sexuelle, tu la trouves assez intéressante pour en parler ? »

Elle ôte la cigarette de sa bouche, pose la main sur le bord de la table, un instant muette.

« Bien envoyé, Jackson », finit-elle par dire. Elle termine sa dernière gorgée de bière en grimaçant. « Touché, mec ! »

Après quoi, nous restons assis en silence.

« Je ne voulais pas te blesser, dis-je.

— Sûrement pas. T’inquiète. »

Je décide de rentrer. Tout en enfilant mon manteau, je lui demande :

« Tu viendras assister à l’émission ?

— Quelle émission ?

— L’University Challenge.

— Quand est-ce ?

— Après-demain.

— Impossible : j’ai des cours.

— Il y a une liste sur le panneau du deuxième étage. Si tu peux te libérer, inscris-toi.

— Je vais voir…

— J’aimerais tellement que tu viennes…

— Pourquoi ?

— Ça me ferait plaisir, c’est tout. Peut-être à après-demain alors ?

— On verra. »

Je fais un détour par la cité U, juste au cas où, et je mets ma carte dans sa boîte ; à vrai dire, ma main hésite à la lâcher : je dois respirer un bon coup. Après, je traîne dans les parages en faisant semblant de lire les panneaux d’affichage, des fois qu’Alice rentrerait. Mais je ne veux plus tomber sur Rebecca cette nuit. Je retourne chez moi et vois Josh en train de punaiser un message sur ma porte.

« Ah, c’est toi, bourreau des cœurs. Un message pour toi d’une personne prénommée… (Alice ? Mon cœur bat…) d’un gars prénommé Tone. Il dit que tu dois l’appeler d’urgence.

— Ah bon », dis-je en me demandant ce que Tone me veut : venir me voir, lui aussi ? Impossible, avec la Saint- Valentin demain et le Challenge après-demain. Je regarde ma montre : 23 heures. Je décroche le téléphone à pièces du hall.

« Salut, Tone ! dis-je avec chaleur.

— Salut, mec.

— Je ne te réveille pas ? Je viens de trouver ton message. Tu comptais venir me voir ? Parce que dans ce cas, le moment est mal choisi.

— Je ne comptais pas venir, Brian. De fait, je me demande quand, toi, tu peux descendre à Southend.

— Certainement pas avant Pâques.

— Non, je veux dire, pour venir voir Spencer.

— Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il lui arrive ?

— Tu n’es pas au courant alors ? »

Je presse le récepteur contre mon oreille et m’appuie au mur.

« Au courant de quoi ? »

Tone soupire à l’autre bout du fil.

« Spencer a eu un accident », dit-il.

34

QUESTION : « Les viandes préparées pour les funérailles ont été servies froides sur les tables du mariage. » Aux noces de qui cette phrase fait-elle allusion ?

RÉPONSE : À celles de Gertrude et Claudius dans Hamlet.

Je me précipite à Southend le matin de la Saint-Valentin, avant l’arrivée du courrier, et suis vers midi dans notre petite maison d’Archer Road. Depuis le changement londonien à Frenchurch Street, je meurs d’envie de pisser mais, les toilettes du train étant salement bouchées, j’ai dû me retenir. Les reins me font mal. J’ouvre la porte, monte en trombe l’escalier, vais à la salle de bains et pousse un cri.

« OH, MON DIEU ! »

Il y a un homme dans la baignoire, du shampoing sur la tête. En me voyant, il crie aussi : « PUTAIN DE MERDE ; MAIS QU’EST-CE QUE… ! »

Maman sort de sa chambre en nouant la ceinture de sa robe de chambre ; par-dessus son épaule, je vois le lit défait, un slip kangourou sur la têtière et un pantalon abandonné sur le tapis. Sur la table de nuit, deux verres et une bouteille d’un mousseux quelconque.

« BRIAN, QU’EST-CE QUI TE PREND DE RENTRER COMME ÇA, SANS CRIER GARE ? » hurle maman. Je me tourne parce qu’elle n’a pas bien fermé son peignoir. Je vois que l’homme du bain s’est levé : d’une main, il rince le shampoing, de l’autre, armé d’un carré d’éponge destiné au visage, il cache ses parties intimes.

« Qu’est-ce qui se passe ici ? demandé-je.

— J’essaie de prendre un foutu bain ! fulmine l’oncle Des.

— Attends en bas ! m’ordonne ma mère. (Ton infect.)

— Il faut que j’utilise d’urgence le W-C. (Je lève l’abattant.)

— BRIAN, ATTENDS EN BAS ! » répète-t-elle en serrant son peignoir. Je ne l’ai pas entendue gueuler comme ça depuis que j’étais gosse. Je me sens un gosse. Je descends, ouvre la porte de derrière et pisse dans un coin du jardin.

Une fois revenu à la cuisine, j’allume la bouilloire électrique et j’entends maman et l’oncle Des descendre l’escalier à pas de loup et chuchoter dans le hall comme des ados. Je crois entendre : « Je t’appelle plus tard », un bruit de baiser – le smack de deux bouches, puis la porte d’entrée se ferme et ma mère craque une allumette, allume une sèche et tire une grande bouffée. Tout à coup, elle est derrière, à la porte de la cuisine, en survêtement bleu pâle, fumant comme un pompier et brandissant un verre sale de l’autre main.

La bouilloire ne siffle pas. C’est long.

Maman se décide à parler :

« Je croyais que tu allais tout droit à l’hôpital voir ton copain.

— J’y suis allé. C’était trop tôt pour les visites. J’y retournerai cet après-midi.

— Mais moi, je ne t’attendais pas maintenant.

— Non, à l’évidence ! Alors, comme ça, oncle Des n’arrive pas à prendre tranquillement son bain ?

— Ne prends pas ce ton avec moi, Brian.

— Quel ton ? (Regard innocent.)

— Tu sais ce que je veux dire. »

Elle écluse le reste du vin. La bouilloire finit par siffler.

« Tu fais du café ?

— Oui.

— Fais-m’en un, alors. Et allons nous asseoir dans le salon. Il faut qu’on ait une petite conversation. »

Oh, mon Dieu, j’ai le cœur qui se serre. « Petite conversation », « franche discussion », « échange sincère », « dialogue privilégié ». Il va falloir qu’on se parle comme des adultes. J’ai réussi à éviter ça jusqu’à présent. Mon père est mort avant d’avoir pu me faire le numéro éducatif habituel : « Quand un homme et une femme s’aiment très fort… » Ma mère, elle, pensait que nous n’en n’aurions pas besoin, ou que je débrouillerais un jour tout seul les mystères de l’amour physique – ce qui, en quelque sorte, s’est avéré (les poubelles de Littlewoods, vous vous souvenez ?). Mais cette explication-ci, je ne vais pas pouvoir y échapper. Je prends deux chopes, sur les trois que nous possédons, et, en y versant une cuillerée de café en poudre, je ne sais pas trop que penser. J’essaie d’imaginer une explication anodine à la présence d’oncle Des dans notre baignoire le jour de la Saint-Valentin, mais je n’en trouve pas. Tout ce qui me vient à l’esprit, c’est l’explication évidente, et l’explication évidente est… impensable. Oncle Des et maman. Oncle Des, qui habite trois portes plus bas et maman, ensemble, dans le même lit, en plein jour. Oncle Des et maman entretenant une…