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— Oui, tu as raison.

— Oh, excuse-moi ! » Elle se lève et vient se pencher sur moi pour m’étreindre. Je vois son dos nu, sur lequel le tee-shirt est remonté, et pose une main sur sa peau chaude, juste au-dessus de sa culotte en tulle ou dentelle noire transparente, et nous restons comme ça un instant, moi le regard rivé sur les roses.

« Désolée de t’avoir rembarré. Je peux être une vraie garce par moments. Mais on a eu une répétition longue et difficile, ce soir, et je dois me sentir toujours dans le rôle. » Elle s’assied à côté de moi et se met à rire. « J’ai dit ça, moi ? Quelle prétention ! » On se sourit et je me demande si je peux l’embrasser, mais je me rappelle mon nouveau mantra : Sagesse, Bonté, Courage.

« Écoute, Brian. Il faut vraiment que je retourne dormir. On a une grosse journée demain.

— Bon, je m’en vais. (Je me lève à moitié puis me rassois.) Mais avant, il faut que je te dise quelque chose.

— D’accord. (Ton las. Elle se rassied.)

— Ne t’inquiète pas. Je voulais juste te dire… (Je lui prends la main.) Alice… Écoute, Alice, j’ai réfléchi au sujet de nous deux. Tu sais, ce poème de John Donne, “The Triple Fool”, dans lequel il dit : “I am two fools, I know / For loving and for saying so / In whining poetry”, eh bien, le Triple Idiot, c’est un peu moi. Je sais que j’y suis allé un peu fort en te traînant à ton corps défendant dans la cabine de Photomaton, puis en t’envoyant ce mauvais poème sur une carte de Saint-Valentin. Je sais combien tu tiens à ton indépendance, que j’accepte pleinement. Je suis amoureux de toi, bien sûr, amoureux fou…

— Écoute, Brian…

— Mais ce n’est pas le plus important, car en fin de compte…

— Brian…, dit-elle.

— Laisse-moi finir.

— Non, Brian, ça suffit.

— Ce n’est pas ce que tu penses, Alice.

— Désolée. J’en ai assez entendu. Arrêtons cette comédie. »

Ce qui est bizarre, c’est que ce n’est pas à moi qu’elle adresse ces derniers mots, mais à l’armoire.

« Allez, Neil, ce n’est plus drôle. »

Elle appelle son armoire Neil ? Et sa commode, alors ? Elle tape sur la porte du plat de la main et ladite porte s’ouvre doucement, toute seule, comme dans un tour de passe-passe.

Il y a un homme assis dans l’armoire.

Qui tient son pantalon à la main.

Je ne comprends pas.

« Brian, je te présente Neil. »

Neil sort et se déplie.

« Neil joue Eilert Lovborg dans Hedda Gabbler.

— Hello, Neil, dis-je.

— Hello, Brian, dit Neil.

— On… répétait, dit Alice.

— Oh », dis-je, comme si cela expliquait tout.

Je crois que je serre la main du type.

LA DERNIÈRE MANCHE

« Que penses-tu d’elle ?

— Je n’ai pas besoin de le dire.

— Dis-le-moi tout bas à l’oreille, continua miss Havisham en se penchant vers moi.

— Je pense qu’elle est très fière, lui dis-je tout bas.

— Après ?

— Je pense qu’elle est très jolie.

— Après ?

— … Je pense que je voudrais retourner chez nous.

— … Tu iras bientôt, dit miss Havisham à haute voix. Continuez à jouer ensemble. »

Charles Dickens, De grandes espérances[32].

39

QUESTION : « Il était une fois quatre enfants prénommés Peter, Susan, Edmund et Lucy. » C’est ainsi que commence l’œuvre la plus connue d’un universitaire, romancier et apologiste du christianisme. Quel est le nom du livre ?

RÉPONSE : Le Lion, la Sorcière blanche et l’Armoire magique, de C.S. Lewis.

C’est un cliché de dire qu’on est déçu quand on rencontre les gens célèbres en chair et en os car ils vous semblent beaucoup plus petits qu’à l’écran. Ce n’est pas le cas pour Bamber Gascoigne, qui est nettement plus grand que je ne l’avais cru ; très mince, très souriant et étonnamment beau gosse, comme l’un de ces personnages bienveillants sortis d’un roman de C.S. Lewis prêts à vous entraîner dans des aventures extraordinaires, le sex-appeal en plus. Nous faisons tous les quatre la queue dans le studio de télé, attendant nerveusement qu’il nous prenne à part à tour de rôle, un peu comme un membre de la famille royale a un mot pour chacun des invités au gala annuel qu’elle préside.

Alice, qui m’évite, est la première dans la file d’attente. Je n’entends pas ce qu’elle dit mais elle doit tenter de le séduire. Vient ensuite Patrick, courbé en deux d’humilité, qui, après lui avoir rappelé qu’il l’a rencontré l’année précédente à la même époque, la joue copain-copain. Bamber, très aimable, lui répond avec un large sourire : « Bien sûr, je me souviens de vous », tout en se demandant sans doute « qui est ce prétentieux crétin ? ».

Vient le tour de Lucy, incroyablement simple et gentille, comme d’habitude. Puis le mien. Je me demande si je dois l’appeler Bamber ou M. Gascoigne. Il me serre la main et je lui dis : « Heureux de faire votre connaissance, monsieur Gascoigne.

— Je vous en prie, appelez-moi Bamber, répond-il en gardant ma main dans les siennes. Et vous, vous vous appelez… ?

— Brian Jackson, dis-je dans un souffle.

— Et vous étudiez ?

— Eng. Lit.

— Pardon ?

— La littérature anglaise. » Je l’ai presque crié, en articulant bien, et je le vois se reculer imperceptiblement. Il a sans doute senti l’alcool dans mon haleine car je n’ai pas encore dessaoulé.

En dépit de tous les efforts des autorités chargées d’accorder les licences, on peut trouver de l’alcool à n’importe quelle heure, si on le veut vraiment.

Après avoir quitté Alice, tout tremblant d’émotion, j’erre dans les rues pour me calmer et me retrouve devant The Taste of the Raj, un restaurant doublé d’une sorte de bar clandestin indien. On peut boire tout ce qu’on veut, toute la nuit, à condition d’être à trois cents mètres d’un oignon frit.

Il est plus de minuit, et le restaurant est vide.

« Une table pour une seule personne ? me demande l’unique serveur.

— Oui, s’il vous plaît. »

Il m’installe dans un box près de la cuisine. En ouvrant le menu, je constate, ironie du sort, qu’il comporte une offre spéciale Saint-Valentin pour les couples d’amoureux. Avantageux, semble-t-il, mais je ne serais pas capable d’avaler tout ça, et je ne suis pas venu pour manger. Je commande une pinte de bière, deux poppadoms, un oignon bhaji et un gin tonic.

« Pas de plat principal, monsieur ?

— Peut-être après », dis-je. Le serveur approuve d’un hochement de tête mélancolique, comme s’il comprenait le mécanisme parfois bestial du cœur humain, et va me chercher mes boissons. Je tourne le dos à la cuisine, et j’ai fini la bière et le gin tonic avant même d’entendre le tintement du micro-ondes. Le serveur me glisse l’assiette d’oignon bhaji entre les coudes et je lui désigne les verres vides.

« Une autre pinte de lager et un gin, s’il vous plaît. Pas de tonic cette fois. » Le serveur aux yeux tristes hoche la tête avec sagacité, soupire, et va chercher mes boissons.

« Excusez-moi ! Double, le gin. » Sans grand appétit, je trempe les rondelles croustillantes d’oignon dans le yoghourt aqueux à la menthe. Quand il revient, je bois un doigt de bière, verse le gin dedans et remue le mélange avec ma fourchette tout en entreprenant de faire le point sur mes connaissances.

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32

Le Livre de Poche, « Classiques de Poche », mars 1998, traduction de 1861 de Charles Bernard-Derosne révisée ( ? pas cet extrait, semble-t-il), annotée et préfacée par Jean-Pierre Naugrette.