Выбрать главу

Une porte s’ouvrit et le véhicule s’y engouffra. Lorsqu’elle se referma derrière eux, ils se retrouvèrent à l’extérieur, pour de bon. Il n’y avait en tout et pour tout que deux cent cinquante kilomètres carrés de terres à l’air libre sur Trantor, et sur ces terres se dressait le Palais impérial. Seldon aurait aimé avoir l’occasion de parcourir ce domaine – moins parce qu’il abritait le Palais que parce qu’il hébergeait l’Université et, détail plus intrigant encore, la Bibliothèque Galactique. Et pourtant, en passant du monde clos de Trantor à cette enclave à l’air libre, envahie par les bois et les forêts, il était passé dans un monde où les nuages obscurcissaient le ciel et où un vent frais s’engouffrait dans sa chemise. Il pressa le contact qui refermait la vitre du véhicule.

A l’extérieur, le temps était maussade.

3

Seldon n’était pas du tout certain de rencontrer l’Empereur en personne. Au mieux, il allait voir quelque officier de quatrième ou cinquième rang qui prétendrait parler au nom du souverain.

Combien de personnes, d’ailleurs, pouvaient prétendre l’avoir vu, cet Empereur ? En chair et en os, et non en holovision ? Combien de personnes avaient vu l’Empereur véritable, tangible, un Empereur qui ne quittait jamais ce domaine impérial que lui, Seldon, était en train de parcourir en cet instant ?

Leur nombre était infime. Vingt-cinq millions de mondes habités, chacun avec sa cargaison d’un milliard d’hommes ou plus – et parmi tous ces quadrillions d’êtres humains, combien avaient déjà, combien auraient jamais l’occasion de poser un jour les yeux sur l’Empereur en chair et en os ? Un millier ?

Et quelle importance, d’ailleurs ? L’Empereur n’était guère plus qu’un symbole de l’Empire, au même titre que le Soleil et l’Astronef, en moins envahissant encore, et en moins concret. C’étaient ses soldats et ses fonctionnaires qui, à force de s’insinuer partout, représentaient désormais un Empire devenu un poids mort sur les épaules de ses sujets – pas l’Empereur.

Seldon fut introduit dans une pièce de taille moyenne, meublée avec ostentation, où l’attendait un homme d’allure jeune, assis au coin d’une table dans une alcôve devant une fenêtre, un pied par terre et l’autre ballant ; il s’étonna qu’un fonctionnaire pût le considérer avec une attitude si dégagée, si enjouée. Il avait déjà maintes fois pu constater que les représentants de l’autorité – et particulièrement ceux de l’entourage impérial – avaient en permanence l’air grave, comme si le poids de la Galaxie entière reposait sur leurs épaules. Et il semblait que moins leur rang était élevé, plus leur expression était menaçante.

Il devait donc s’agir d’un officier placé si haut dans la hiérarchie, irradié à tel point par le soleil du pouvoir, qu’il n’éprouvait nullement le besoin de le voiler derrière une physionomie compassée.

Seldon ne savait pas dans quelle mesure il devait avoir l’air impressionné ; il jugea préférable de garder le silence et de laisser l’autre entamer la conversation.

Le fonctionnaire prit la parole : « Vous êtes Hari Seldon, n’est-ce pas ? Le mathématicien ? »

Seldon se contenta de répondre : « Oui, monsieur », puis attendit.

Le jeune homme fit un geste du bras. « Ce devrait être “ Sire ”, mais j’ai le protocole en horreur. C’est tout ce que j’obtiens et je commence à m’en lasser. Nous sommes entre nous ; je vais me faire plaisir et laisser tomber le cérémonial. Asseyez-vous donc, professeur. »

C’est à mi-tirade que Seldon comprit qu’il s’adressait à l’empereur Cléon, premier du nom, ce qui lui coupa la respiration. Il y avait effectivement un vague faux air de ressemblance, maintenant qu’il y regardait de plus près, avec l’hologramme officiel que l’on voyait constamment aux informations, mais sur ces portraits, Cléon, toujours vêtu de manière imposante, semblait plus grand, plus noble, les traits figés.

Et voilà qu’il se retrouvait devant l’original, et quelque part l’homme lui semblait parfaitement ordinaire.

Seldon ne bougea pas.

L’Empereur esquissa un froncement de sourcils et, avec cette habitude du commandement toujours présente même quand il tentait d’y renoncer, au moins temporairement, il répéta sur un ton péremptoire : « J’ai dit “ asseyez-vous ”, mon ami. Sur ce siège. En vitesse. »

Seldon s’assit, sans voix. Il ne parvenait même pas à répondre : « Oui, Sire. »

Cléon sourit. « Voilà qui est mieux. A présent, nous pouvons discuter comme deux êtres humains que nous sommes après tout une fois le protocole oublié. Eh là, mon ami ?

— Si Votre Majesté impériale se plaît à le dire, hasarda Seldon, alors il en est ainsi.

— Oh, allons, pourquoi tant de précautions ? Je veux vous parler d’égal à égal. Tel est mon bon plaisir. Passez-moi ce caprice.

— Oui, Sire.

— Un simple “ oui ” suffira, mon ami. N’ai-je donc pas de moyen de vous atteindre ? »

Cléon fixa Seldon d’un regard appuyé que ce dernier jugea vif et intéressé.

Finalement l’Empereur remarqua : « Vous n’avez pas l’air d’un mathématicien. »

Seldon trouva enfin le moyen de sourire. « J’ignore à quoi est censé ressembler un mathématicien, Votre Maj… »

Cléon brandit le doigt et Seldon ravala sa formule honorifique.

« A un homme à cheveux blancs, je suppose. Barbu, peut-être. Âgé, certainement.

— Pourtant, même les mathématiciens doivent bien commencer par être jeunes.

— Mais alors, ils n’ont pas encore de réputation. Le temps qu’ils se fassent remarquer du reste de la Galaxie, ils ressemblent à la description que je viens de donner.

— J’ai bien peur de ne pas avoir de réputation…

— Vous êtes pourtant intervenu au Congrès qu’ils ont tenu ici.

— Comme bon nombre de mes pairs. Certains étaient plus jeunes que moi. Et on ne peut pas dire qu’on leur ait accordé beaucoup d’attention.

— Votre contribution a en tout cas attiré celle de certains de mes fonctionnaires. J’ai cru comprendre que vous croyiez possible de prédire l’avenir. »

Seldon éprouva soudain une grande lassitude. C’était à croire que cette erreur d’interprétation devrait constamment entacher sa théorie. Peut-être n’aurait-il pas dû présenter son article.

« Non, pas exactement, répondit-il. Ce que j’ai fait est bien plus limité. Dans de nombreux systèmes, la situation est telle que, dans certaines conditions, des événements chaotiques surviennent. Cela signifie que, au-delà d’un certain point, il devient impossible de prédire leur enchaînement. C’est également vrai dans le cas de systèmes relativement simples, mais plus leur complexité s’accroît, plus le risque de chaos grandit. On a toujours supposé qu’un système aussi complexe qu’une société humaine était destiné à devenir rapidement chaotique et, par conséquent, imprévisible. J’ai seulement démontré qu’en étudiant la société humaine, il est possible de choisir un point de départ et de faire des hypothèses appropriées qui supprimeront le chaos. Cela permettra de prédire l’avenir, non pas en détail, bien sûr, mais dans ses grandes lignes ; pas avec certitude, mais avec des probabilités calculables. »

L’Empereur, qui l’avait écouté avec attention, remarqua : « Mais cela n’équivaut-il pas à une méthode pour prédire l’avenir ?

— Encore une fois, pas exactement. J’ai montré que c’était possible en théorie, rien de plus. Pour aller plus loin, il nous faudrait choisir un point de départ adéquat, poser les hypothèses correctes et trouver ensuite le moyen d’effectuer l’ensemble des calculs dans un temps fini. Rien dans ma démonstration ne permet d’entrevoir la solution d’aucun de ces problèmes. Et même si c’était faisable, nous pourrions, au mieux, calculer de simples probabilités. Ce n’est pas là prédire, mais plutôt supposer ce qui est susceptible d’arriver. Tout bon politicien, tout homme d’affaires, tout individu de quelque influence doit effectuer ce genre de projection sur l’avenir, et si possible sans se tromper, sous peine d’échec.