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Pourtant, il se sentait encore mal à l’aise, après avoir parlé de manière aussi libre à un homme qui pouvait, selon son bon plaisir, ordonner votre emprisonnement ou votre exécution – ou, à tout le moins, votre mort économique et sociale par la perte de votre position et de votre situation.

Avant d’aller se coucher, Seldon avait consulté l’article Cléon Ier dans la partie encyclopédique de l’ordinateur de sa chambre d’hôtel. L’Empereur y était fort loué comme, sans doute, l’avaient été en leur temps tous ses prédécesseurs, quels que fussent leurs actes. Seldon avait négligé cet aspect mais s’était intéressé au fait que Cléon était né au Palais et n’avait jamais quitté son enceinte. Il n’était jamais allé dans Trantor même, n’avait jamais visité le moindre secteur du monde aux multiples dômes. C’était peut-être une question de sécurité, mais cela signifiait que l’Empereur était en prison, qu’il voulût ou non l’admettre. La prison la plus luxueuse de la Galaxie, mais une prison quand même.

L’Empereur avait semblé affable et ne s’était pas, comporté en autocrate sanguinaire à l’instar de tant de ses prédécesseurs, mais il n’était pas bon d’avoir attiré son attention. Seldon appréciait la perspective de partir le lendemain pour Hélicon, même si, chez lui, il était destiné à retrouver l’hiver (et un hiver plutôt rigoureux, jusqu’à présent).

Il leva les yeux vers la lumière brillante et diffuse. Il ne pouvait jamais pleuvoir ici, et pourtant l’atmosphère était loin d’être sèche. Une fontaine jouait non loin de lui ; les plantes étaient vertes et n’avaient sans doute jamais senti les effets de la sécheresse. Par moments, les bosquets frémissaient comme si quelque petit animal y était dissimulé. Il entendait bourdonner des abeilles.

Vraiment, par toute la Galaxie on parlait de Trantor comme d’un monde artificiel de métal et de céramique, mais cette petite enclave paraissait tout à fait rustique.

Les quelques rares badauds qui profitaient du parc portaient tous des chapeaux légers, parfois tout petits. Il y avait également un joli brin de jeune femme, non loin de là, mais elle était penchée sur un visionneur et il ne pouvait distinguer ses traits. Un homme passa, lui jeta un bref coup d’œil dénué de curiosité, puis s’assit sur une chaise en face de lui et se plongea dans une liasse de télécopies, croisant ses jambes revêtues d’un pantalon rosé étroit. Assez curieusement, il y avait chez les hommes une tendance aux teintes pastel, alors que les femmes étaient plutôt vêtues de blanc. Vu la propreté de l’environnement, il était logique de porter des couleurs claires. Seldon baissa les yeux, amusé, pour contempler son costume héliconien, où dominait le brun passé. S’il devait rester sur Trantor – ce qui n’était pas le cas –, il lui faudrait s’acheter une garde-robe adéquate, sous peine de devenir un objet de curiosité, de risée ou de répulsion. L’homme aux télécopies, par exemple, l’avait examiné, cette fois-ci avec plus de curiosité, sans doute intrigué par sa mise exotique.

Seldon fut soulagé de ne pas le voir sourire. Il pouvait accepter avec philosophie d’être la cible des railleurs mais qu’on n’espère pas qu’il en tire plaisir.

Seldon fixa l’homme sans se gêner, car celui-ci semblait engagé dans quelque débat intérieur. Un instant, il donna l’impression d’être sur le point de parler, puis il parut se raviser, puis sembla vouloir prendre à nouveau la parole. Seldon se demanda quelle serait sa prochaine réaction.

Il étudia l’homme. Il était grand, les épaule larges, pas de signe d’embonpoint, cheveux châtains, rasé de près, l’expression grave, un air de vigueur bien qu’aucun muscle ne saillît, des traits un rien burinés – agréables mais sans rien de « joli ».

Alors que l’homme avait fini par perdre son combat avec lui-même (ou par le gagner peut-être) et se penchait vers lui, Seldon avait déjà décidé qu’il lui plaisait.

L’homme demanda : « Pardonnez-moi, mais étiez-vous au Congrès décennal ? De mathématiques ?

— Oui, j’y étais, répondit Seldon, affable.

— Ah, je pensais bien vous y avoir vu. C’était – excusez-moi – la raison qui m’a fait m’installer ici. Si je me montre indiscret…

— Pas du tout. Je profitais simplement d’un moment de loisir.

— Voyons voir si je tombe juste. Vous êtes bien le professeur Seldom[3].

— Seldon. Hari Seldon. Tout juste. Et vous ?

— Chetter Hummin. » L’homme paraissait légèrement embarrassé. « Plutôt banal, comme nom, je le crains.

— Je n’ai jamais encore rencontré de Chetter, observa Seldon. Ni de Hummin. Cela vous rend en quelque sorte unique, à mon sens. On pourrait estimer que c’est toujours mieux que d’être noyé parmi les innombrables Hari. Ou les Seldon, d’ailleurs. »

Seldon rapprocha sa chaise, en raclant les pieds contre les dalles de céramoïde , légèrement élastiques.

« A propos de banalité, reprit-il, que pensez-vous de ma mise exotique ? Je n’ai pas du tout pensé à me procurer des vêtements trantoriens.

— Vous pourriez », dit Hummin, lorgnant Seldon avec une trace de désapprobation.

« Je pars demain et, par ailleurs, ce ne serait pas dans mes moyens. Les mathématiciens manipulent parfois les grands nombres, mais jamais pour ce qui est de leurs revenus… Je présume que vous êtes mathématicien, Hummin.

— Non. Je suis nul en la matière.

— Oh. » Seldon était déçu. « Mais vous avez dit m’avoir vu au Congrès.

— J’y assistais en observateur. Je suis journaliste. « Il brandit ses feuillets de téléscripteur, parut soudain prendre conscience de les avoir dans la main, et les fourra dans sa poche de veste. « Je fournis du matériel aux holo-journaux. » Puis, pensif : « A vrai dire, je commence à en avoir marre.

— Du boulot ? »

Hummin acquiesça. « J’en ai ras le bol de collationner toutes les sottises émanant de toutes les planètes. Je hais cette spirale descendante. »

Il jeta sur Seldon un regard spéculatif. « Parfois, pourtant, on pêche quelque chose d’intéressant. J’ai appris qu’on vous avait vu en compagnie d’un garde impérial, vous dirigeant vers la porte du Palais. Vous n’auriez pas, par le plus grand des hasards, été reçu par l’Empereur, non ? »

Le sourire déserta le visage de Seldon. C’est avec lenteur qu’il répondit : « Si tel avait été le cas, ce ne serait certes pas un sujet que je confierais pour publication.

— Non, non, pas question de publication. Si vous ignorez la chose, Seldon, laissez-moi être le premier à vous l’apprendre : la règle première du jeu de l’info est qu’on ne dit jamais rien sur l’Empereur ou son entourage personnel, hormis ce qui émane des communiqués officiels. C’est une erreur, bien sûr, parce que des bruits courent et qu’ils sont pires que la vérité, mais les choses sont ainsi.

— Mais si vous ne pouvez pas en parler, l’ami, pourquoi me poser la question ?

— Simple curiosité personnelle. Croyez-moi, dans mon boulot, j’en sais bien plus que n’en diffusent les ondes. Laissez-moi deviner. Je n’ai pas suivi votre communication mais j’ai cru comprendre que vous parliez de la possibilité de prédire l’avenir ? »

Seldon secoua la tête et marmonna : « C’était une erreur.

— Je vous demande pardon ?

— Rien.

— Eh bien, la prédiction – une prédiction précise – intéresserait l’Empereur, ou tout homme au pouvoir ; j’en déduis donc que Cléon, premier du nom, vous a interrogé là-dessus en vous demandant si vous ne vouliez pas lui offrir quelques prédictions.

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3

En anglais: rarement (N.d.E).