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— Otterlo… Spring-Beauty ? Understand ? Capisto ? Vous pigez ?

Elle secoue ses boucles blondes.

Puis elle fait un signe et va chercher une de ses collègues, grande saucisse à lunettes, dont les dents supérieures s’avancent témérairement hors de la bouche.

— Qu’est-ce que veut, messieurs ? demande la môme aux ratiches proéminentes.

— Y a-t-il à Otterlo un hôtel qui s’appelle « Spring-Beauty » ?

— Non, je ne connais !

— Pourquoi tu regarderais pas le Bottin au lieu de faire tout ce circus ! grogne la Dorure en reniflant plus fort que ne l’admettent les usages.

Je suis frappé par la pertinence de cette suggestion.

— Je peux avoir l’annuaire du téléphone se rapportant à Otterlo ?

— Certainement.

La mordeuse de vent transmet à sa collègue. Celle-ci fait demi-tour, ce qui nous permet de constater que l’envers de son académie vaut largement l’endroit.

— On y passerait ses vacances, répète le Gros hypnotisé par tant de rondeurs généreuses.

La servante m’amène un Bottin d’épaisseur moyenne ouvert à la page d’Otterlo. Je le potasse en lisant chaque ligne attentivement… Je ne trouve pas de Spring-Beauty, par contre je tique en trouvant une Mme Van Der Plume-Van Knossen !

Qu’est-ce à dire ? S’agirait-il d’une parente à l’homme aux cigarettes ? Je note l’adresse et rends l’annuaire à l’aimable serveuse.

— Finis ton godet, Gros, on va rendre visite à une dame…

La rue de la personne dont de laquelle au sujet de qui je vous parle s’en va vers la forêt qui, à ce stade, est plutôt un parc… Quartier ultra chic… Les propriétés sont plus pimpantes qu’ailleurs… Elles comportent d’immenses baies vitrées par-delà lesquelles on aperçoit des intérieurs cossus, surchargés, truffés de plantes vertes…

Je roule au ralenti sur cette voie confortable… Les bons Hollandais en vacances prennent le soleil, dans des fauteuils à bascule, sous leur véranda… Il y a une grande douceur de vivre dans ce pays décidément. On sent que chacun pense au ralenti et se pose le minimum de problèmes.

Nous découvrons la crèche de Mme Van der Plume-Van Knossen. C’est une merveilleuse habitation couverte de chaume, qui fait l’angle de deux rues… Elle est entourée d’un gazon rasé comme de la moquette ! Lui-même est cerné d’une minuscule barrière haute de trente centimètres à peine. On dirait une maquette, tant ceci est fignolé, aimable et neuf !

— Nom de Foutre ! glapit le Mastodonte en pointant son doigt boudiné.

Je suis la direction indiquée. Sur la barrière basse, près du portillon à ressort, deux mots sont peints en blanc : « Spring-Beauty ! »

— C’est ici que les Athéniens s’atteignirent ! déclare Bérurier en glissant dans sa poche l’un des boutons de sa braguette qui vient de sauter.

Je dépasse la baraque. Tout a l’air infiniment paisible et rassurant, céans… Un jet d’eau rotatif répand un nuage irisé sur la pelouse bien ratissée. Il fait frais et tendre…

— Qu’est-ce qu’on branle ? demande le Gros qui aime à être informé de son futur.

— On va jouer le gros paxon, ma vieille, il n’y a rien à fiche d’autre…

— Qu’appelles-tu le gros paxon ?

— Y aller au bidon, à tâtons, en priant le bon Dieu pour qu’on ne fasse pas de couenneries… Attends-moi là. Si dans un an et un jour je n’ai pas reparu, ma bagnole t’appartient.

Je manœuvre de manière à ranger ma charrette fantôme un peu en-deçà de la propriété et je pousse du pied le portillon. Une allée de pas d’éléphants entre lesquels pousse de la sagine me guide jusqu’à un porche bas, sommé d’une lanterne de fer forgé.

Au-dessus de la porte, il y a une imposte vitrée de carreaux de couleurs scellés avec des lames de plomb… Tout, jusqu’au grattoir à semelle, donne une sensation d’absolu confort.

Je sonne, très sobre… Un petit coup poli… Et j’attends la suite des événements.

La pelouse sent le printemps frais. Des jacinthes bleues lui donnent la réplique. Tout cela est d’une douceur un peu léthargique, doucereuse… Une douceur douillette de dimanche après-midi…

Sans que j’aie rien entendu, la porte s’ouvre. Une grande femme se tient devant moi, massive dans un chemisier violet et une jupe de gros drap qui fait ressortir son pétard de jument et son ventre trop satisfait. Elle a un regard de faïence, infiniment clair, et ce sourire cordial mais vide qu’ont toutes les Hollandaises.

— Madame Van der Plume ?

— Ia.

C’est en effet l’instant, comme disait Béru, ou les Athéniens s’atteignirent…

— J’arrive de France, murmuré-je d’un petit ton équivoque…

Elle parle très mal le français, mais elle le comprend. La conversation s’engage bizarrement. Elle me parle anglais et je lui réponds en français… Ça manque d’éloquence mais on arrive à échanger des idées…

— J’ai un rendez-vous ici…

Alors là, vous l’avouerez, mes petits lecteurs déficients, j’envoie le bouchon un peu loin. Elle cesse de sourire. Son regard s’assombrit quelque peu…

— Ici, chez moi ?

— Oui.

— Je ne comprends pas…

Heureusement que j’ai le pifomètre surdéveloppé et pourvu de deux carburateurs à injection directe.

Une sorte de sixième sens, comme dirait Saint-Saëns, me fait dire ce qu’il faut dire dans les moments critiques. J’ai l’inspiration, quoi, ça ne se discute pas. C’est ce qui différencie les hommes de ma classe des peigne-zizi de la vôtre.

— J’ai rendez-vous avec Tonn-Tonn !

Son sourcil gauche s’est soulevé, d’un quart de millimètre, mais il s’est soulevé…

— Avec qui ?

Mon cœur tape contre mes côtelettes. Dans quel guêpier filé-je mes poètes, bonté divine !

— Voyons ! Tonton Van Knossen, d’Amsterdam, vous êtes bien sa parente ?

Elle ne répond rien et secoue la tête d’un air buté.

Alors j’ai la bath idée, la grande, la superbe, la vraie… Je prends dans mon larfouillet l’une des feuilles de papier à cigarettes trouvée dans l’étui de Van Knossen. Je le présente à la dame. Il y a illico changement de vue, comme aux Folies-Bergères… Son sourire revient plus aimable qu’à mon arrivée.

— Oh ! yes, fait-elle… Vos chambres sont prêtes… Elle ajoute :

— Vous êtes le premier !

Je ne bronche pas !

— Je suis avec un de mes amis, chère madame…

Ça a l’air de la contrister de nouveau. Mais mon pifomètre a hissé la grande antenne décidément. Je rouvre mon portefeuille et lui tends une deuxième feuille-message. J’ai été bougrement bien inspiré d’en prendre plusieurs…

— Excusez-moi, fais-je, je suis très distrait.

Elle sourit avec une grande indulgence…

— Dois-je vous aider à descendre vos bagages ?…

— Pas du tout…

— Alors, je vais aérer vos chambres…

Nos chambres ! Ça se corse vilain.

Je retourne à la chignole, plus pensif que le penseur de Rodin. Le Gros s’écrase le groin contre la glace. Son regard inquiet guette les expressions de mon visage intelligent.

— Comment ça se présente ? fait-il.

— Plutôt bien…

— Explique…

— Je lui ai remis deux feuillets de papier à cigarette et elle m’a dit qu’elle préparait nos chambres…

— Nos chambres ! s’étrangle l’enflure.

— Textuel…

— Eh ben, mon vieux, elle est raide, celle-là ! D’après toi, Tonio, qu’est-ce que ça veut dire ?

— Mystère… J’espère que nous l’apprendrons un de ces jours…

Nous sortons nos valises et nous regagnons la maison.