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Mais lui se fout de l’affaire comme de sa dernière dent gâtée. Ce séjour dans la patrie des moulins à vent le transforme. Il ne pense plus à son ouverture de pêche ratée, non plus qu’à sa baleine et au coiffeur d’en bas… Il est radieux, émoustillé…

Je regarde par la porte entrouverte. Et je crois apercevoir une silhouette de femme dans le hall, avec Mme Van der Plume. Cette dernière fait sa réapparition, suivie d’une jeune personne pas sale du tout. La petite dont de qui au sujet de laquelle il est question est plutôt petite mais carrossée par Chapron. C’est de la petite cylindrée nerveuse et racée… faite pour figurer à la une de Ciné-Révélation. Ce qui domine, chez l’arrivante, c’est son sourire… Un sourire charmeur, gouailleur, de titi parigot.

Et pourtant elle est Néerlandaise… Ses cheveux châtains sont noués derrière la théière par un ruban noir. Elle a un petit côté Claudine moderne… Yeux bleus, petit nez semé de taches de son ; bref, le genre de poulette à qui on ferait un contrat (trois-six-neuf) renouvelable par tacite reconduction pour les week-ends du moins.

— Ma nièce ! annonce triomphalement la mère Plume-plume tra-la-la !

Bérurier se dresse précipitamment, renversant de ce fait sa part de gelée de groseille sur sa braguette mal fermée.

Je salue l’arrivante et lui vote un regard qui ferait fondre le pôle Nord. Elle m’en accuse réception. Bonno, m’est avis que le Gros et moi nous allons devenir dans un avenir très prochain les petits rois de cette carrée.

Toujours ce vieux prestige français qui n’arrive pas à s’éteindre malgré tout ce que les Français font pour ça !

Par veine, la fillette parle notre langue aussi bien que M. François Mauriac ! Elle m’explique qu’elle a fait ses études à Paname… Nous buvons le caoua tous ensemble. C’est la vie de famille sur toute la ligne…

Derrière la baie, le jour agonise dans un flamboiement qui embrase les frondaisons… (Si vous aimez ce genre de style, écrivez-moi en joignant un timbre pour la réponse, je vous en expédierai trois caisses avec robinet).

La dame Plume-Plume tire les rideaux et actionne le commutateur.

Elle débarrasse notre table et déclare qu’elle va faire la vaisselle. Alors, voilà mon gros Béru qui joue sa chance.

— Permettez-moi de vous l’essuyer, dit-il, du ton d’un gars qui présenterait une demande en mariage…

— Non ! proteste la dame.

— Je vous en prie, c’est mon vice, supplie la Dorure…

Bref, elle accepte. Deux secondes plus tard, je perçois un fracas d’assiettes pulvérisées… Puis des gloussements… Je suis un peu gêné par les débordements de mon compère. Gêné vis-à-vis de la nièce. À tort, d’ailleurs, car elle se moque royalement que sa tata se fasse masser le baigneur par ses locataires…

D’un geste désinvolte, elle glisse une cigarette entre ses lèvres gourmandes. Je me démerde de lui refiler ma flamme sacrée. Elle souffle sa première bouffée et me regarde.

— Ça vous plaît, la Hollande ?

— C’est passionnant !

— Vous connaissiez ?

— Non, c’est mon premier voyage…

— Un peu plat, non ?

— Mais pas du tout, j’aime beaucoup ça, c’est moins fatigant…

Elle rit. Le silence qui s’établit alors est très gênant.

Cette môme est-elle dans le coup ? Devrais-je lui parler de… de l’affaire ? Et si oui, que lui en dire, puisque je ne sais rien ! Ah ! quel pastaga, mes frères ! Quel pastaga !

La gosseline tire sur les plis de sa jupe. J’abaisse mon regard et constate qu’elle a des jambes irréprochables : des mollets ronds, des chevilles bien proportionnées, pas de plaques rouges, pas de varices, pas de poils… C’est une chouette.

— C’est curieux, fais-je, vous ne semblez pas être tout à fait Hollandaise.

— Pourquoi ?

— Votre type n’est pas celui des autres filles. Vous n’avez ni leur blondeur terne, ni leur carnation… Vous…

— Mon père était Allemand…

Je rengracie.

— Oh ! voilà, tout s’explique… Et peut-on vous demander ce que vous faites dans la vie ?

— Rien de particulier.

— Vous vivez ici ?

— Oui.

— Depuis longtemps ?

— Non, depuis qu’on a mis tout ça sur pied !

Je brûle. Mais attention, terrain glissant !

— Je vois… Et avant ?

— Avant j’étais à Amsterdam. J’étais secrétaire dans la maison où travaillait Tonton…

Non seulement je brûle, mais je me carbonise. Drôle de situation, convenez-en. (Et si vous ne voulez pas en convenir, allez vite vous faire cuire un artichaut.) Nous discutons paisiblement de choses que je suis censé connaître, mais que j’ignore. Et je ne dois pas donner l’impression que je les ignore… C’est pas poilant, non ?

Un nouveau fracas de vaisselle brisée arrive de la cuisine. Cette fois, c’est une soupière qui a dû faire des petits, c’était de l’artillerie lourde !

— Votre ami n’a pas l’air très doué pour essuyer la vaisselle, remarque la mignonne enfant avec un de ces sourires qui me va droit dans les régions surbaissées.

Je me lève pour aller voir. J’entrouvre la porte de la cuistance et aussi sec je la referme, because le film qu’on y joue n’est pas autorisé aux moins de cent ans ! Le Béru est ni plus ni moins en train de s’embourber la mère Van der Plume sur la paillasse de l’évier…

La nièce me regarde avec des yeux ironiques.

— Comment ça se passe ? me demande-t-elle.

— On ne peut mieux, dis-je. Je crois qu’avec un peu de persévérance, mon ami en viendra à bout.

Elle écrase sa cigarette dans un cendrier.

— Voulez-vous que nous allions faire une promenade dans les bois ?

La proposition me sidère par sa brutalité.

— Mais certainement.

Nous sortons dans la fraîcheur du soir… Les jets d’eau continuent de tourniquer en vaporisant la flotte argentée.

Il y en a des milliers, commak, qui tournent en ce moment sur les gazons de Hollande…

— Venez, dit-elle, prenons ce sentier…

Nous traversons la rue. Une voie étroite s’offre en effet à nous. Elle sinue dans la forêt environnante. Ici ça renifle les pins, la terre humide, la feuille pourrie… C’est une odeur végétale, forte et résineuse, vivifiante…

— Comment vous appelez-vous ? demande-t-elle.

Je manque à tous mes devoirs.

— Antonio !

— Vous êtes Espagnol ?

— C’est un surnom…

— Moi, c’est Hildegarde…

— Merveilleux, ça fait légende du Rhin…

Elle sourit encore. Curieux, mais je redoute son sourire parce qu’il me paraît un tantinet maléfique. Quand elle rit, son regard se transforme et devient scrutateur. J’ai l’impression alors qu’elle lit en moi jusqu’à l’os.

— Vous avez vu Tonton à Paris ? me demande-t-elle…

— Bien sûr… Il était avec Cornélia…

Elle fait un petit signe satisfait… Un bon point pour toi, San-Antonio. T’as mis dans le mille, comme toujours !

(Il faut bien que je me vote des félicitations, puisque vous ne me dites rien !)

— Vous ne savez pas s’il en avait vu beaucoup, déjà ?

— Un ou deux, je crois…

Suis-je toujours dans les limites de la logique de l’affaire ? L’avenir me le dira…

J’ai affaire à une femme de tête. Son petit menton volontaire en dit long sur sa détermination ; croyez-moi si vous voulez, mais cette Hildegarde n’a pas de la farine de gruau à la place du cerveau.

Je lui ferais bien le coup de Béru à la dame Plume, mais j’ai peur qu’elle m’envoie sur les aiguilles de pin.