Hilary hoche le chef puis se tourne vers son jockey, un certain Jess ! Il lui traduit ma déclaration, car le ouistiti ridé n’entrave que balpeau au français.
Le gnome me balance alors un coup de menton appréciateur.
— All right ! fait-il…
Sans habiter Vincennes, je suis un peu polygone et je comprends qu’il m’approuve foncièrement.
Nous nous asseyons et la mère Van der Plume sert le caoua. Elle le fait très bon, très fort. Lorsqu’on a bu sa tasse, on se sent de l’électrac dans les profondeurs.
— Voyons les choses froidement, dit Hilary…
— O.K., m’enhardis-je…
Béru, qui n’a pas encore trouvé le moyen de se manifester, croit le moment opportun pour placer sa connerie number one :
— Je vois toujours les choses froidement, j’ai travaillé chez Frigidaire.
C’est tellement gland que mes interlocuteurs pensent que ça a un sens caché et qu’ils opinent en branlant le chef.
— Côté exécution, nous devons venir à bout de l’opération sans trop de mal, déclare le grand English habillé de maigre…
— C’est aussi mon avis, appuyé-je, toujours avec mon petit air d’en avoir deux (d’ailleurs c’est une réalité à laquelle je tiens beaucoup).
— Bien… Seulement, ce qui m’inquiète, c’est « après »…
Alors là, le terrain est plus que glissant. C’est une patinoire semée de peaux de bananes ! Un mot biscornu et je suis râpé. Nous abordons la circonstance numéro un, celle où il vaut mieux se mettre un piège à rat à la menteuse.
J’attends la suite en fronçant ardemment les sourcils pour paraître très pénétré.
Le Gros a largué le sujet pour se consacrer à ses brancards. Il couve tellement sa vioque qu’elle ne va pas tarder à éclore.
— Car vous ne pourrez pas tout passer vous-même, poursuit Hilary… Ce serait trop dangereux.
— Tant pis, je risquerai le paquet !
— Hum, deux frontières, c’est bien risqué en effet, renchérit Hildegarde…
— On ne m’a rien demandé à l’aller, pourquoi voulez-vous qu’au retour ?
— Il suffit qu’un douanier grincheux vous fasse ouvrir votre coffre…
— En ce cas j’aviserai, je suis assez débrouillard, et…
— Il n’y aurait rien à aviser, tranche Hilary, sarcastique ! La nature du chargement ne permet pas d’ergoter, surtout si par malchance le vol est découvert avant votre passage de la frontière…
Ce dialogue commence à m’en apprendre. Maintenant, je sais que nous allons cambrioler le muséum… J’y vois clair… Van Knossen est allé à Paris recruter des spécialistes… Il devait leur donner une cigarette truquée qui équivalait à un billet de logement chez la mère Van der Plume… Oui, oui, je pige…
Nous devions être plusieurs pour ramener en France le produit du vol et ne pas mettre tous les œufs dans le même panier.
En cas de coup dur, ça limitait le désastre…
Je m’aperçois que je possédais déjà la plupart des éléments du puzzle. Quelques indications nouvelles m’en ont donné la clé et maintenant je peux le reconstituer dans les grandes lignes. J’ai été bien inspiré de faire annoncer par mes collègues que les Knossen étaient morts d’accident. Si les gens d’ici avaient appris la nature véritable de leur décès, tout serait fichu…
En ce moment, Hilary se tâte. Ce que je propose est risqué. Peut-il me faire confiance ? Ou du moins faire confiance à ma chance ?
— Ne pourrait-on garder la marchandise en Hollande quelques jours ? questionne Hildegarde…
L’autre hausse les épaules.
— Vous savez bien qu’elle doit être livrée après-demain, car ensuite il serait trop tard !
— Ben voyons ! ponctué-je, presque réprobateur, en considérant Hilde avec agacement.
Elle fait un signe affirmatif.
— En ce cas, il n’y a pas d’autre solution… À moins que je ne prenne une voiture avec Jess pour escorter nos amis ?…
— Hilde, vous savez parfaitement que nous jouons une partie de dés. Tout dépendra du laps de temps qui s’écoulera avant la découverte du vol. Si par malchance on s’en apercevait tout de suite, toutes les voitures immatriculées en Hollande seraient fouillées au passage des frontières. Or, ce qui nous handicape, c’est que nous ne saurons que le vol est découvert qu’en même temps que le grand public, c’est-à-dire plusieurs heures après. Or, pendant ces heures-là, la marchandise devra être évacuée…
Vous voyez, mes petites têtes de lecteurs évidées, nous retombons dans ces fameux cercles vicieux dont je vous entretenais au début de ce pertinent ouvrage.
Je crois que si je me manifeste avec puissance, j’aurais gain de cause, car les exigences de l’opération plaident pour moi.
— Je passerai la marchandise seul, affirmé-je. Étant français, la douane hollandaise ne me demandera rien… Et je ne passerai la douane française qu’après avoir traversé la Belgique ; or, c’est l’exposition en ce moment et le nombre de voitures françaises qui reviennent de Bruxelles en France est tel que les douaniers laissent flotter les rubans.
— Il a raison ! fait brusquement Hilary en donnant une tape sur l’accoudoir de son fauteuil. Nous allons jouer le jeu jusqu’au bout !
Il traduit à son acolyte les résultats de nos cogitations. Le ouistiti à casquette, à en juger par ses mouvements de tronche, est lui aussi un farouche partisan de l’action directe.
Tout paraît s’arranger harmonieusement.
— Vous avez préparé un endroit où cacher la caisse ? s’inquiète l’anglais.
— Bien sûr, dit Hildegarde… Nous avons travaillé la matinée à creuser un trou dans le parc du Kröller Müller…
— Parfait… Auparavant, il faut que je vous montre le travail… Il est parfait ! Absolument parfait ! Tonton était un artiste en la matière !
Il lance un ordre à son acolyte et tous deux sortent. Je mate Bérurier… Le Gros, tout innocence, se fout du cambriolage du musée comme de sa première cuite au Beaujolais.
Il est heureux de vivre et achève de consoler la vioque. Sa jument panarde raconte en anglais-français-petit nègre que la femme de son neveu, Cornélia, avant d’être une grande pétasse, avait été une grande patriote. Elle dirigeait un réseau de résistance pendant la guerre. À la Libération, elle avait été décorée de l’ordre du Cacao Van Houten avec palmes. Et puis, elle s’était mise à pinter et à se farcir les bonshommes du quartier avec fougue et conviction… Il y avait eu une période de vaches maigres pour Tonton et sa bergère. Celle-ci avait alors pris le parti de se lancer dans la prostitution organisée.
Écœuré, blessé, Van Knossen avait laissé faire, jusqu’au moment où, pour réagir, il avait eu l’idée de ce grand coup qui devait lui rapporter de quoi retirer sa dame de la vitrine…
Elle la boucle, car Hilary et Jess radinent, portant une grande caisse à couvercle…
Ils soulèvent le couvercle. Nous nous approchons. Jess sort un tableau de la caisse. C’est un Van Gogh célèbre, « Les cyprès », magnifiquement encadré…
— Qu’en pensez-vous ? questionne Hilary. On s’y tromperait, non ?
J’en suis ébahi, car on jurerait l’original.
Si c’est Van Knossen qui a réalisé ce turbin, alors chapeau devant sa dépouille ! C’était un seigneur. Je me remémore ce que la poufiasse du quai d’Amsterdam m’avait appris à son sujet. Il travaillait dans une imprimerie spécialisée dans la reproduction des chefs-d’œuvre…