— Comment peut-on arriver à un tel résultat ? m’exclamé-je.
— Ce sont des reproductions à l’échelle. Tonton les a collées sur de la toile à tableau, puis pressées afin que le papier fasse corps avec la toile… Ensuite il est revenu dessus au pinceau afin de restituer le relief de la peinture. Quant aux cadres, ce sont des reproductions exactes de ceux du musée. Évidemment, un expert, et il en défile tous les jours au Kröller-Müller, ne s’y tromperait pas une seconde, mais l’essentiel est d’abuser les gardiens afin que l’alarme ne soit pas donnée immédiatement.
Ma conviction, devant cet étalage artistique, est que mes petits copains ont monté l’affaire avec minutie…
Seulement, une autre question me tarabuste, qu’il m’est impossible de poser pour l’instant. À vous qui êtes complètement dans le cirage et qui avez de l’eau savonneuse dans les veines, je vais la dire :
— Que peut-on espérer faire de vrais Van Gogh homologués ? Connus, répertoriés, reproduits à des millions d’exemplaires ? Ils valent des dizaines de millions pièce, d’accord, mais seulement lorsqu’ils sont vendus officiellement ! Fauchés, on ne peut que les cacher dans un grenier…
Ça, oui, c’est un sacré mystère !
Un mystère que votre cher petit San-Antonio joli va se faire, croyez-moi, un plaisir de percer pour vous…
— Allons-y ! décrète Hilary en rabattant le couvercle de la caisse.
De saisissement, Béru fait sauter trois mailles au bas de Mme Plume !
TROISIÈME PARTIE
CHAPITRE X
Attente chez la tante
Maintenant je possède toutes les données du problo, les z’enfants. C’est un travail très particulier décidément, auquel je ne pensais certes pas participer un jour : le cambriolage d’un musée.
Le plan maintenant est simple : on va aller planquer la caisse de reproduction dans le trou creusé naguère près des bâtiments ! Il faut le faire avant la fermeture des grilles du parc ; pendant que les voitures peuvent encore y circuler. Cette nuit, par un procédé encore inconnu de monsieur Moi-même, nous entrerons dans les galeries, décrocherons les chefs-d’œuvre de Van Gogh et les remplacerons par les décalcomanies de feu Van Knossen… Et puis nous essaierons de passer la frontière avec ça… Autant en emportent les Van !
L’opération est dangereuse… Nous pouvons très bien nous faire piquer en cours de « travail » par les mecs de la ronde de noye… Voire même à la frontière… Maintenant, je pense que le plus sage serait de faire intervenir messieurs les poultocks hollandais afin de coiffer ce joli monde. J’aime Van Gogh et l’idée qu’on se mette à trimbaler ses toiles à la sauvette me fait frissonner de bas en haut, puis de haut en bas…
Seulement, je ne vois vraiment pas comment il me serait possible d’aller affranchir mes collègues zélandais ! Car désormais nous n’allons plus nous quitter…
Je dois jouer le jeu en attendant de trouver l’ouverture favorable pour aller marquer un essai.
Nous voici tous empilés dans la charrette d’Hilary, une Mercédès 220 familiale… Nous prenons un ticket d’entrée pour véhicule au vieux mironton qui garde l’entrée, et Hildegarde guide le chef jusqu’à l’allée conduisant à notre trou. Nous abordons une phase délicate : le coltinage de la caisse à travers le parc. Dans cette vaste propriété surpeuplée, elle peut s’avérer dangereuse.
Que notre caravane éveille la curiosité d’un touriste, que nous nous cassions le naze sur un garde, et nous sommes cuits comme des biscottes.
Mais c’est ne pas compter sur l’intelligence d’Hilary. Il nous fait déployer en tirailleurs. C’est-à-dire que le jockey, Hilde et moi-même emprisonnons le trou à atteindre dans un triangle dont nous verrouillons les pointes tandis qu’Hilary et Béru coltinent la caisse.
En un quart de plombe tout est torché… Les reproductions sont dans le trou, recouvertes de branchages… et nous rejoignons la Mercédès…
Ma montre — qui n’a pas de secret pour moi — m’indique qu’il est six plombes. Nous musardons un peu dans le parc, puis nous regagnons Spring-Beauty. Personne ne parle. Ça ressemble à une veille d’attaque. Nous attendons l’heure H et c’est tout de même émotionnant.
Une fois chez la mère Plume-Plume, nous investissons le living. La jument a préparé des drinks, une sorte de dégueulasserie à constiper un avare. Je ne recommande ce cocktail à personne, il y a du lait, du sirop d’orgeat et du genièvre… Quand on se tape un tel breuvage, on a l’impression de boire la vidange d’un carter de voiture…
Cette comparaison me file une idée. Elle n’est pas lumineuse peut-être, mais elle peut le devenir pour peu que j’y fasse mettre une pile neuve.
— Il y a un garagiste dans le pays ? je demande, très détaché.
— Naturellement, fait Hilde, pourquoi ?
— En venant j’ai eu quelques difficultés avec mon allumage, j’aimerais bien le faire vérifier car je ne tiens pas à tomber en panne une fois que j’aurais la marchandise à bord…
— Vous avez raison d’être prudent, remarque Hilary. Hilde va vous conduire…
Le gros Béru a commencé de montrer son étonnement en ouvrant sa grande gueule faisandée pour une remarque stupide. Mais j’ai réussi à dénicher sa cheville sous la table et à lui filer dessus un emplâtre de cuir qui le fait grimacer de douleur…
La jeune fille et moi nous nous levons…
J’adresse au ciel une ardente prière pour qu’en mon absence le Gros ne mette pas les pieds dans le plat.
Le garage se trouve à l’orée du pays. C’est une ravissante construction blanche, en forme de moulin à vent. Hildegarde traduit mes explications au garagiste, et voilà notre homme qui enfile des gants de caoutchouc pour examiner mon delco, comme un chirurgien s’apprêtant à ouvrir la brioche d’un patient pour y récupérer l’étui à lunettes qu’un de ses confrères y a oublié au cours d’une précédente opération. (Si vous trouvez mes comparaisons trop longues, coupez-les en deux et mettez-les au frigo, ça se conserve.)
Tandis qu’il s’affaire, la môme me demande si je veux aller chercher de la bière avec elle à l’épicerie du coin. Je lui réponds que je préfère surveiller le bricolage de mon tréteau et elle n’insiste pas. Jusque-là, tout semble déguiller au quart de poil… Je dispose d’un peu de liberté et je vais essayer de moyenner.
— Avez-vous le téléphone ? m’enquiers-je en anglais et nonchalamment auprès du garagiste.
Il me toise comme si je lui demandais s’il porte un slip à rayures.
— Yes, sir !
— Puis-je téléphoner en France ?
Il fronce les sourcils. Il connaît Hildegarde de vue et il sait pertinemment que sa tante a le bigophone. Mais c’est un commerçant avant tout et il fait un signe d’acquiescement.
Je sue sang et eau de javel pour me faire comprendre de la standardiste… C’est vachement coton, une conversation téléphonique avec une Hollandaise qui ne jacte pas français et qui ne comprend l’anglais que lorsque c’est un sujet de Sa Gracieuse Majesté qui le parle.
Je suis en train de bredouiller comme un perdu lorsqu’une voix que je commence à bien connaître murmure dans mon dos :
— Voulez-vous que je vous aide ?
C’est Hildegarde. Elle est là, deux bouteilles de bière à la main, avec un petit quelque chose de mécontent dans le regard.
Je ne me trouble pas.
— Volontiers.
Et je lui file mon numéro personnel.
— Vous savez, dit-elle, ma tante a le téléphone…