Tout ça a été silencieux. Jess le jockey est en train, grâce à Dieu, de bricoler sous le capot levé de la Mercédès.
Je me penche sur Hilary. Vous me croirez si vous voulez ! Et si vous ne me croyez pas, courez vite vous faire masser la prostate au gant de crin, mais le digne homme est mort. Sa petite tronche d’Anglais a porté contre la bordure de pierre du trottoir et il est tellement canné qu’à côté de lui un jambon de Bayonne semble pétant de vie.
Moi, vous le savez, je pense, ou alors c’est que vous êtes deux fois plus tartes que je le supposais, je suis l’homme des décisions rapides.
Je dois absolument rectifier le tir… Il s’agit de faire fissa. Jess va découvrir le poteau rose et me sulfater le plastron.
Je m’approche de lui… Il me jette un coup d’œil rapide et remet sa jauge dans le trou récepteur. Puis il rabat le capot.
Alors je prends mes risques… Mon revolver est un monsieur très bien constitué, dont, vous l’avez vu, la crosse a des pouvoirs contondants.
Bing ! Boum !
J’ai tout de suite la communication avec sa tronche. Mais ce ouistiti à casquette a flairé du louche et à l’ultime seconde il fait un mouvement qui dévie la trajectoire de mon arme. Je lui arrache une oreille… Alors il me fait une clé japonaise si extraordinaire que je me retrouve sur mes fesses en une seconde et demie. Un déclic ! Il vint d’ouvrir un couteau et plonge sur moi. Oh ! mes amygdales… J’essaie d’esquiver, mais ce macaque est plus agile qu’un reptile, plus souple qu’un député… J’ai commis l’erreur de le cramponner par les épaules. Ça ne lui enlève que partiellement la liberté de ses mouvements… La lame se rapproche de ma margoulette. Encore dix centimètres et elle tranchera la carotide du joli petit San-Antonio d’amour…
Je bande mes muscles. Rien à faire ! Il s’insinue… Je commence à sentir le tranchant du couteau sur ma peau…
— Mais N… de D… ! dit la voix de Béru, ils s’empoignent !
Le Gros se pointe. Il file un coup de pantoufle dans la tempe de Jess. Ça suffirait pour décorner un bison… Ça suffit pour endormir le jockey.
Je me dresse.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? demande la Gonfle !
— Rentre dans la maison et amuse la fille pendant cinq minutes sous n’importe quel prétexte, fais-je…
Il ne se le fait pas dire deux fois et fonce dans Spring-Beauty. Hildegarde était en train de faire la dernière bibise à la jument en larmes. Le Gros la refoule en bramant comme un porc qu’il a un moucheron dans l’œil et qu’il faut lui enlever ça dare-dare, sinon il pique une crise de nerfs…
Brave homme, va !
J’ausculte le jockey. Il pique une ronflette-maison… Je le grimpe dans sa Mercédès… Puis je charge le cadavre d’Hilary. Ensuite je me mets au volant et je démarre. Direction : la forêt… Maintenant ma décision est prise. Je sais ce qu’il me reste à faire. C’est coton, mais si je réussis, ça me vaudra une médaille tellement longue que je serai obligé de l’enrouler sur un moulinet.
Je prends le chemin de la forêt et j’arrête la calèche sous les arbres avec son chargement. À l’instant où je stoppe, j’ai la tête cramponnée par Jess. Cette ordure est revenue à elle et essaie de me faire péter les vertèbres cervicales sur le dossier de ma banquette. Vous parlez d’un coriace ! C’est gris comme mon auriculaire et ça se permet des fantaisies de ce genre !
J’avais surestimé la détente du Gros. On voit qu’il y a longtemps qu’il n’a pas joué avant dans l’équipe de football de Neauphle-le-Vieux.
Il se rouille, ou alors c’est l’âge ! À moins bien entendu que Jess ait le bocal en acier, hypothèse qu’on ne saurait exclure de prime abord sans risquer de porter atteinte à la vérité, comme dit la baronne Bienlavé-Saressert.
Heureusement, si Jess est souple, il n’a pas ma force. Je lance ma main droite en arrière, aussi loin que je peux, et, avec l’énergie de l’autodéfense (permis touriste et poids lourds), je lui biche la tignasse. Je le tire en avant. Son étreinte se relâche un tantinet. De ma main gauche, je cramponne mon P38… Ici je peux le faire donner de la voix, car je suis loin de l’agglomération…
Je me le fais à la Buffalo-Bill : en flinguant à la renverse. Deux coups, comme pour la camériste. Jess me largue et s’écroule. J’actionne le plafonnier, ce qui me permet de constater qu’il en a pris un vieux coup dans le paysage… Le voilà avec trois yeux à c’t’heure, le pauvre homme. Je lui ai pratiqué une orbite supplémentaire pile entre les deux initiales.
Il est maintenant aussi mort que son patron.
Sans perdre de temps, je fouille les deux décédés et je reviens les coudes au corps à la maison. J’entre comme une tornade.
— Eh bien ! je brame, vous venez, oui ! Les autres sont déjà partis !
Le Gros a un lampion gros comme sou poing à force de se le faire bricoler par la chère petite…
Il m’explique qu’un connard de moucheron, attiré par sa trogne illuminée, a élu domicile dans son œil et que… etc, etc.
Je l’embarque de force.
— Tu mettras un œil de verre, Gros, c’est moins salissant !
Hildegarde nous suit. Sur le pas de sa lourde, la mère Van der Plume agite son mouchoir détrempé par son chagrin…
— Tu vois, fait Béru, j’ai passé des heures inoubliables dans cette maison…
Je ne réponds pas… Tandis qu’il s’installe à l’arrière, je fais mettre Hildegarde à l’avant… Elle réprime un bâillement.
— Sommeil, Hilde ? je lui demande, enjôleur.
— Un petit peu…
Je sors une boîte de dragées de ma boîte à gants… Vous ne pouvez pas savoir ce que contient ce compartiment. Il y a de tout… Et rien que du nécessaire !
Je me cloque une dragée dans le clapoir…
— Vous en voulez une ? je propose d’un air détaché…
— Qu’est-ce que c’est ?
— De la vitamine A.B.C.D. 33, une nouveauté française… C’est contre la fatigue, la cellulite, la chute des cheveux, l’engorgement du pancréas et la liquéfaction de la matière grise…
Elle prend une dragée en riant.
— Passe-m’en une ! implore Bérurier.
— Des clous, fais-je… Il ne m’en reste presque plus.
Il rouscaille que je le prends pour une vieille peau de banane, que je suis un ceci, un cela, sans parler du reste !
Je le laisse dire et je recrache subrepticement ma dragée car, les plus invertis d’entre vous l’auront deviné, il s’agit non pas d’un chisblik vitaminé, mais d’un très puissant soporifique. C’est le bâillement d’Hildegarde qui m’a donné l’idée de l’abstraire de cette façon… Ce truc est radical, comme dirait Daladier.
Le temps de rouler deux bornes, et mon égérie glisse dans la ouate rose des rêves… Sa tête dodeline, elle pose sa joue contre mon épaule et s’endort…
J’attends un instant encore… Puis j’arrête.
— Qu’est-ce qui se passe encore ? fait le mahousse.
Je lui fais signe de la boucler comme une sangle de parachute, des fois que la donzelle ne serait pas encore bien sonnée. Mais je n’ai aucune crainte à avoir à ce sujet. Elle roupille comme la Belle au Bois dormant…
— Elle a son taf ! annoncé-je…
— Qu’est-ce que tu lui as donné ? demande le Gros.
— Un filtre !
— C’est tes dragées ?
— Exactement, voilà pourquoi je ne voulais pas t’en donner…
— Oh ! bon, excuse… Pourquoi que tu l’as neutralisée ?
— Because turbin, Gros. Nous avons besoin de l’entière liberté de nos mouvements…
— Je pige pas !
— Je sais : tu ne piges jamais, t’es constipé de la coiffe. On va marner dans le super-délicat, maintenant…