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CHAPITRE XV

Promenade sentimentale

Drrring ! fait le téléphone…

Je sais, à travers mon sommeil, qu’il s’agit du téléphone ; la sonnerie de tous les bignous d’hôtel est la même, ou presque. Je rouvre mes lampions. Une clarté mourante habite la fenêtre.

Près de moi, Hildegarde dort, nue comme l’amour. Elle s’éveille à son tour et chuchote :

— Qu’est-ce que c’est ?

Au lieu de répondre à ma compagne, je réponds au téléphone.

La standardiste du Riche m’annonce :

— Monsieur Hilary ? Une communication pour vous…

J’ai le battant qui fait du zèle ; je peux bien vous le dire, vu que nous n’avons rien de caché les uns pour les autres, pas vrai, tas de ceci et cela !

Une voix d’homme, pourvue d’un petit accent sud-américain, attaque :

— Monsieur Hilary ?

— Oui !

— C’est moi…

— Ah bon ! fais-je, heureux de ce précieux renseignement…

— Tout s’est bien passé ?

— Tout !

Comme père laconique je me pose là, hein ? Mais vous connaissez ma devise, comme on dit à la Banque de France : « Prudence ! » J’avance en terrain miné, pour ainsi dire.

— Quand pouvons-nous traiter ?

— Le plus tôt possible !

— Ce soir ?

— Si !

— Alors j’enverrai quelqu’un vous prendre à l’hôtel vers huit heures, O.K. ?

— O.K. !

Je raccroche.

Hildegarde me regarde d’un air anxieux.

— Alors ? fait-elle, avide.

— Ce sont les acheteurs… Ils envoient quelqu’un me prendre à huit heures pour traiter… Je ne sais pas sur quelle base Hilary a conclu, enfin j’essaierai de me débrouiller…

Elle est pensive.

— Dites, chéri, attaque-t-elle, je voudrais vous poser une question, j’aimerais que vous m’y répondiez franchement…

— D’accord… J’ouïs !

Elle cherche ses mots, non pas parce qu’elle est à court de vocabulaire mais parce que ce qu’elle a à me dire est délicat.

— J’ai une drôle d’idée en tête…

— Vraiment ?

— Oui. Je me figure que vous avez eu une discussion avec Hilary et que vous l’avez supprimé !

— Hein !

Je m’en étrangle.

— Oui, pendant que je faisais mes adieux à ma tante, votre ami est entré en criant qu’il avait un moucheron dans l’œil. Mais j’ai bien vu que ça n’était pas vrai. Il faisait ça pour me retenir et…

— Et ? balbutié-je…

— Et pendant ce temps vous avez éliminé Hilary et Jess de l’affaire, achève-t-elle.

La formule est délicate et me plaît beaucoup…

— Allons, avouez, dit-elle…

À quoi bon biaiser ! Nous sommes entre truands, non ? Que peut-elle faire, après tout ?

— Oui, c’est vrai, Hilde… Mais à ceci près que c’est Hilary qui m’a attaqué… Il voulait filer avec ma voiture… Alors j’ai fait du vilain…

Elle hoche la tête.

— Pourquoi ne pas me l’avoir dit ?

— J’ai eu peur que vous réagissiez mal ! le tiens tellement à vous !

— Pourquoi réagirais-je mal ? Après tout, moins on divise un gâteau, plus les parts sont grosses.

Voilà de la saine philosophie ! Cette môme a les pieds sur terre que c’en est une bénédiction. Il y a de quoi en frémir…

— Ainsi donc, dit-elle, il convient maintenant que vous traitiez au mieux de nos intérêts… On pourrait diviser le trésor en deux, non ?

Elle est toute prête à filer le Béru au tout-à-l’égout, cette âme sensible…

Je peux toujours me mouiller d’une promesse. Je sais très bien que la gosse d’amour finira en cabane avant longtemps.

D’ailleurs je ferai tout ce qu’il faudra pour ça.

En attendant huit heures, je me livre à une ultime séance de délassement avec Hildegarde. En conjuguant nos efforts, nous réussissons une combinaison hawaïenne formidable recommandée aux hypernerveux. Ça s’appelle Méthouahla ! Ça peut se faire avec ou sans guirlande autour du cou.

À huit plombes cognées, je me trouve dans le grand salon de l’hôtel, douché, rasé, délassé, fringué, parfumé… Et je ligote un vieux numéro du Daily Miror pour passer les secondes d’attente.

À huit plombes et quatre minutes, un groom au gilet orangé et à veste bleu-nuit vient m’annoncer qu’on me demande…

Je l’accompagne jusque dans le hall. Près de la lourde de verre se tient un monsieur vêtu d’alpaga bleu, cravaté de jaune, qui ressemble à une réclame vivante pour Pernod fils. Il est brun de poil et de peau, avec des yeux capables d’enflammer un journal s’il le fixe trop longtemps.

— Monsieur Hilary ? me fait-il en me toisant.

— Oui.

— Si vous voulez bien me suivre…

Devant la lourde, il y a une Chambord noire… Un type se tient au volant, qui ne se donne pas même la peine de nous bigler lorsque nous prenons place dans la carriole. Fouette cocher ! On décarre…

Le chauffeur prend la route qui longe la Seine. Le soir est féerique… Les lumières de Pantruche se reflètent dans l’eau, bien plus belles que les lumières d’Amsterdam.

Nous refaisons surface après le Pont de l’Alma et nous longeons le fleuve jusqu’à Javel. Passage devant les usines Citroën ; traversée du viaduc d’Auteuil… On suit l’eau sur la rive droite maintenant… Avant d’arriver à Renault, le chauffeur oblique sur la gauche et redescend sur le quai. Je me demande because, car à cet endroit il n’y a pas de voie praticable, hormis, natürlich, la voie fluviale.

— Où allons-nous ? fais-je… souverainement détaché en apparence, mais saisi d’une sourde angoisse.

Le zig ne se démonte pas…

— Mon patron vous attend à bord de son yacht !

— Ah bon !

Ma parole, j’ai eu chaud. Un instant, j’ai cru que le noircicot allait me plomber sur le quai désert.

La Chambord s’arrête derrière une grosse grue qui tend vers le ciel son bras démesuré… (je place là des points de suspension afin de vous laisser déguster à loisir toute la poésie de cette image).

Le mec bronzé descend et me fait signe de le suivre. J’obtempère.

Nous longeons les rails de la grue en pataugeant dans la boue charbonneuse. Et voilà que votre San-Antonio se met à gamberger… Et à gamberger vite ! Il se dit, le chéri, qu’il est fort improbable qu’on amarre un bateau de luxe dans cette zone sinistre de la Seine ! Entre des usines !

De plus, voilà que le chauffeur de la Chambord se met à appuyer sur son accélérateur à fond de plancher pour emballer le moteur. Ça veut dire quoi, ce mic-mac ? Hein ? Dites, pour voir, le fond de votre pensée ! Vous ne voulez pas ? Comment ? Vous ne pensez pas ? Je m’en doutais ! Eh bien, bande de citrons vides, je me dis, moi qui ai tout du roseau pensant à mes heures, que le chauffeur fait ronfler son moulin afin de couvrir le bruit des détonations qui pourraient se produire !

Mine de rien, et sans ralentir mon allure, je chope mon feu. Nous arrivons maintenant tout près de la grue, dans une zone d’ombre intégrale. Moi, si j’étais un malfrat mijotant de liquider un monsieur, c’est là que je lui enverrais le potage !

Et c’est bien là en effet que mon cicérone défouraille. Je vois son bras s’élever à la hauteur de sa poitrine, sa main se glisser sous sa veste. Pas d’erreur, il a des projets immédiats à réaliser.

Bing ! Le coup annoncé à l’extérieur se produit. M Brou de Noix tire son tu-tues et me braque. Pas assez vite. Un homme averti en vaut trente-six. Je ne connais personne capable de dégainer sa rapière plus vite que moi. D’ailleurs, si j’en avais connu un seul, je ne serais plus là pour vous parler de lui !