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En un éclair, je fais cracher à mon petit Pan-pan les noyaux qu’il a dans le ventre… Quatre coups ! Tac, tac, tac, tac !

Rapidos, bien emballé, port payé !

Mon flingueur s’écroule comme un temple dans un film de Cecil B de Mille… Je le retourne de la pointe de mon escarpin Il a pris toute la camelote dans le placard aux éponges et il m’a l’air vraiment décédé à la fleur de l’âge !

Ces braves gens ont des drôles de façons d’entrer en relation avec les marchands de Van Gogh d’occasion !

Je souffle sur le canon de mon arquebuse pour en dissiper la fumaga et je reviens à la bagnole… Le chauffeur a cessé d’appuyer sur le champignon. Il est en train d’allumer une cigarette, un coude passé à l’extérieur de la portière, lorsque je surgis près de lui. Ce bon garçon croit voir un fantôme malfaisant. Il en oublie d’éteindre l’allumette dont la flamme en goutte d’huile lui lèche les doigts.

Il y a de grosses surprises dans l’existence. Je suis certainement en train de provoquer la plus belle de la sienne !

— Alors, mon petit gars, lui dis-je… On s’amuse à faire des blagues au pauvre monde à ces heures !

Il fait un geste en direction de la boîte à gants de la voiture.

— Stop ! dis-je sèchement. Prends garde, bonhomme, il en reste encore quatre en magasin, si je ne me suis pas gouré dans ma comptabilité !

Je lui appuie le canon brûlant du pétard sur sa joue.

— Si tu veux en profiter pendant que c’est chaud, dis-le !

Il bredouille des trucs confus pour m’expliquer qu’il n’est pour rien dans tout ça… Lui, il pilote sa calèche, un point that’s all !

Je contourne la tire en vitesse et me jette sur le siège avant, près de lui.

De ma main libre, je lui montre ma carte de police. C’est le comble de sa stupeur.

— Ceci pour te faire comprendre qu’il est inutile de jouer au petit pompier. Tu sais le prix de la viande de flic, hein ? Alors tu vas m’obéir aveuglément et tout ira bien pour ton futur…

Il approuve d’un véhément hochement de tête.

— Qui est-ce qui t’emploie ?

— J’étais un copain d’Alvarez…

— Qui est Alvarez ?

— Le mec que vous venez de…

— Paix à son âme… Il faisait quoi, cet Alvarez ?

— Il bricolait à Paris, depuis la Libération… C’est un Brésilien qui s’était fait naturaliser Américain… Il était venu en France pour la riflette, et puis il n’est plus reparti…

— Déserteur ?

— Oui.

— Bon, ça c’est un point d’acquis… En l’occurrence, pour le compte de qui travaillait-il ?

— Pour un riche Argentin… Un roi de la viande, je crois… Il avait connu ce bonhomme du temps qu’il vadrouillait en Amérique Latine… J’sais pas comment ils ont renoué les relations… Toujours est-il qu’il marnait pour lui !

— Dans l’histoire des tableaux ?

L’autre hoche la tête. C’est un petit être chafouin, grisâtre, obscur, sans importance collective. C’est tout juste un individu, dirait Céline.

Il a dû vivre en marge des lois et, aussi, en marge du crime. Ne jamais se mouiller trop. Son rêve secret, ç’aurait été de travailler chez C.C.C. ! Maintenant, il sait qu’il est coincé et il s’allonge tant que ça peut pour amadouer M. le Flic. Il est bourré de bonne volonté…

— Oui, je crois qu’il y avait une combine de tableaux… Alvarez était en cheville avec des Anglais et des Hollandais, je crois bien… Remarquez qu’il ne m’affranchissait pas sur le pourquoi du comment ! Je lui donnais des coups de main, il me payait et bonjour bonsoir !

Je réfléchis un chouïa…

— Il a tout de même dû t’en dire un poil, non ? Et puis t’as des cellules grises qui fonctionnent ?

— Non, franchement, monsieur le commissaire, je ne sais pas grand-chose… L’Argentin, je crois, a une fille qu’a eu la polio… Elle est paralysée des flûtes et son seul bonheur c’est la peinture… Elle avait envie de tableaux qui ne sont pas à vendre because ils se trouvent dans un musée…

Maintenant je pige tout. Le roi de la bidoche salée s’est mis en cheville avec le truand dont il s’était déjà servi jadis et qu’il savait en Europe… L’autre est entré en contact avec Van Knossen ou plutôt avec Hilary…

— Et alors ?

— Je vous dis que j’en sais pas plus long, parole d’honneur, monsieur le commissaire !

— D’honneur ! je grommelle, on peut dire que tu ne ch… pas la honte, toi ! Parle-moi un peu de ce soir, comment Alvarez a-t-il décidé de me liquider ?

Il hausse les épaules.

— Je sais pas, fait-il. Il m’a tubé pour me dire d’arriver avec la chignole. Il m’a expliqué qu’il devait avoir une explication sérieuse avec un client, dans un endroit désert, c’est tout !

— Il ne t’en a pas dit plus ?

— Non !

Je colle une mandale au zig.

— Et c’est pour ça que tu emballais le moteur, hein, mon fumelard ! Tu ne le savais pas, peut-être qu’on allait faire des cartons !

Il baisse la tête.

— Oh ! je m’en doutais…

Tout à coup, je me dis que je perds désormais mon temps sur ce quai suant d’ennui. J’ai mieux à faire… Mais il faut le faire vite.

— Où habitait-il, Alvarez ?

— Rue de Douai, dans un petit hôtel…

— Emmène-moi !

Il hoche la tronche. Puis il met le contact et démarre.

Arrivés au carrefour Fontaine-Douai, je dis à mon chauffeur de stopper et je fais signe à un agent qui se branle les cloches sur le trottoir.

Il s’approche, sourcils froncés.

— C’qu’il y a ?

Je lui montre ma carte et il rectifie la position.

— Vous allez surveiller cet individu pendant que je fais une course, lui dis-je. Au moindre geste de sa part, tirez-lui dessus.

Le bignol a le regard qui s’embrase comme l’abbaye de Vézelay au moment de Son et Lumière.

Pour lui, qui n’a comme aventure que les quatorze cents contraventions qu’il dresse journellement, il se pourlèche d’avoir enfin autre chose à se mettre sous la dent.

Je trotte à l’hôtel indiqué par le chauffeur.

Je suis intercepté par une dame plus que forte qui me dit d’un ton rogue que c’est complet. Cette personne ne doit pas acheter ses soutien-gorge chez Scandale, mais plutôt chez Roux-Combaluzier[1].

Une fois encore, je produis ma fameuse carte magique. La vioque ne s’émeut pas.

— Nous sommes en règle, m’avertit-elle.

— Je l’espère… Aussi n’est-ce pas à votre livre de police que j’en ai… Vous avez bien comme locataire un certain Alvarez ?

— Et alors ?

Cette question contenant implicitement une réponse, je poursuis…

— N’a-t-il pas reçu un appel téléphonique, dans l’après-midi ?

La gravosse remet en place un de ses nichons qui profitait d’une seconde d’inattention de sa propriétaire pour essayer de s’évader.

— Rosine ! fait-elle à pleine gorge et à la cantonade !

Surgit des étages une soubrette qui n’a rien de commun avec celles de Musset.

Elle est longue, blanche, malade, avec des cheveux qui lui pendent sur la navrance comme le feuillage d’un saule, et un regard à s’être laissé faire douze gosses à la file par des messieurs qu’elle n’a jamais revus.

— Oui, madame ?

— Est-ce que M. Pablo a reçu une communication téléphonique, cet après-midi ?

— Oui, madame…

— À quelle heure ? tranché-je.

Le souillon délabré consulte le chaos qui lui tient lieu de mémoire…

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Entreprise spécialisée dans les ascenseurs et autres monte-charges.