— Tu n’y es presque jamais, soupire-t-elle.
— À cause de mon sacré métier, mais tu vas voir, on va partir en vacances… Le Vieux ne pourra pas me refuser ça… Tiens, un mois en Bretagne… Ou plutôt non : en Italie… T’aimes la mandoline et les tomates à l’huile, M’man ?
Elle rit, transportée…
Et moi je songe qu’un jour elle ne sera plus là, qu’un jour le monde se refermera sur elle et que je serai tout seul, planté comme un arbre dans mon chagrin…
Décidément, le spectacle de la petite infirme m’a chanstiqué le moral. Je vais me zoner pour essayer de me remettre au beau fixe.
Il fait soleil, le coq du voisin chante en trombonant ses volailles. Un soleil à la Van Gogh entre dans ma chambre en même temps que Félicie.
M’man porte un plateau contenant un formidable petit déjeuner ainsi que le journal.
— Tu es en forme, ce matin, M’man ?
— Mais oui, mon grand…
J’empoigne les toasts chauds et je jette un coup d’œil à la une du canard.
Je m’arrête de mastiquer. Car un titre m’accroche les yeux :
Et comme sous-titre :
— Qu’as-tu ? interroge Félicie. Tu semblés abasourdi…
Je ne lui réponds pas… Je pense à la toile qui ravissait la señorita Compico hier soir. Pas surprenant qu’elle l’eût ravie…
Et cette toile se trouvait dans la salle numéro 3 ; je me souviens maintenant que c’est le gros connard de Béru qui s’est occupé de la substitution… Cet enfoiré de frais s’est gouré… Il a dû décrocher la reproduction, il l’a déposée près de l’original et puis l’a raccrochée… Et il a embarqué le vrai tableau, ce bœuf encorné ! Ah ! l’ignoble ! Ah ! le vandale !
— Où vas-tu ! crie Félicie… en me voyant sauter à pieds joints dans mon pantalon.
— À l’écluse des Mureaux, dis-je.
— Pour quoi faire ?
Je la regarde, navré.
— Pour faire pleurer une petite fille infirme, M’man… Ah ! il y a vraiment des jours où je trouve mon métier déprimant !