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— Entendu, patron.

Il masse doucement son crâne parcheminé, en fronçant les narines, car l’odeur de Bérurier vient d’atteindre son sens olfactif et le meurtrit cruellement.

— D’après les résultats de votre visite à Mme Van Knossen, nous aviserons, tranche-t-il.

Cela veut dire que l’entretien est terminé. Je fais signe à Bérurier. Cet enfoiré a cassé son lacet et ne parvient pas à lier bout à bout les deux tronçons. Il sort en traînant le pied pour ne pas paumer sa godasse.

Une fois dans le couloir, je lui demande :

— Tu connais quelqu’un qui parle hollandais, toi ?

— Oui, fait-il sans hésiter…

— Couramment ?

— Couramment !

— Qui ?

— La reine Juliana, dit le Gros imperturbable.

CHAPITRE IV

Un grand départ… Et un moins grand !

Dans l’escadrin, nous croisons l’inspecteur principal Pinaud. Il est en grande tenue. Imperméable neuf, enfin, presque neuf, vu qu’il ne comporte qu’une tache de minium au coude, une traînée de cambouis dans le dos, un accroc au col et qu’il n’y manque que trois boutons sur quatre.

Avec ça, chapeau tout à fait neuf, en taupé…

— Tu vas à un mariage ? je demande…

— Non, mais j’arrive d’une réunion des anciens…

— Des anciens quoi ?

— Des anciens comédiens du rideau pourpre… Tu sais, la société dont de laquelle je faisais partie autrefois, lorsque je jouais les jeunes premiers romantiques…

Je revois une photo de Pinaud en jeune premier romantique. Pinaud dans « Vous marchez sur mon cœur », drame en deux actes et une embolie créé en la Salle des fêtes du Kremlin-Bicêtre vers les années 20 ! Il avait la raie au milieu, le regard déjà vitreux et une moustache en virgules…

— Dis voir, Pinuche, tu ne connaîtrais pas quelqu’un parlant correctement le hollandais ?

— Non, dit-il, mais j’ai un ami qui parle russe !

Décidément, je suis bien monté avec des équipiers pareils. Voyant ma mine courroucée, le Pinaud des Charentes réfléchit. Lorsqu’il cogite, son front se met à ressembler à de la tôle ondulée, ses yeux sont pareils à deux marennes malades parce que privées d’eau de mer…

D’un ongle endeuillé, il gratte les gringrignotes d’œuf perlant à sa moustache…

— Je crois que j’ai ton affaire…

— Vas-y !

— Pipier, de la brigade Sardon, en bas, cause l’allemand comme père et mère…

— Comme père et mère prussiens ! rectifié-je. Seulement…

— N’oublie pas que les Hollandais parlent tous allemand…

Il a raison. Le temps pressant, je n’ai pas le temps de courir tout Pantruche pour dégauchir un interprète. Vous allez me dire que je pourrais apprendre le néerlandais chez Assimil… En 52 leçons ; et avec ma vaste intelligence j’y arriverais sans peine. Seulement, n’oublions pas qu’aux dernières nouvelles Mme Van Knossen est dans le coma.

Je passe récupérer Pipier, un grand garçon blond tirant sur le chauve, et, escorté de l’éternel Béru, nous mettons le cap sur Beaujon.

Je me fais connaître au service des entrées. Et j’expose les raisons dont au sujet desquelles, comme dirait Pinuchet, je suis venu.

Un infirmier musclé comme un catcheur poids lourd, nous guide dans cette usine de la souffrance jusqu’à une chambre perdue au bout d’un couloir.

Il délourde. Nous entrons sur la pointe des tiges. Il y a une infirmière au chevet de la malade. Jolie personne en vérité. Pas la malade, l’infirmière. De la conversation bien placée ; un regard qui ferait goder un académicien, et le plus charmant sourire auquel on puisse rêver. Moi, j’ai toujours eu un faible pour les infirmières. D’abord, je ne crains pas l’odeur de l’éther ; ensuite je trouve ces demoiselles plus friponnes que les autres personnes du sexe. C’est pourquoi mon palmarès en comprend toute une séquelle, vous le savez aussi bien que moi puisque vous êtes dans mes confidences.

Je déballe à icelle mon œillade charmeuse numéro 132 bis, importée d’Hollywood par wagon frigorifique.

Une rougeur légère se répand sur son doux visage.

— Comment est-elle ? chuchoté-je en désignant le lit sur lequel gît la Hollandaise.

— Très mal, fait la fille en blanc.

Je m’approche de la couche. Mme Knossen est une petite blondasse sans importance collective. Une pâleur cadavérique envahit sa figure. Elle a les yeux révulsés, le nez pincé, et elle respire par brèves saccades.

Entre nous et le tiroir de votre cravate, c’est un traducteur d’un genre spécial qu’il m’aurait fallu. Un type capable d’interpréter le néant. De toute évidence, il n’y a rien à tirer de cette pauvre personne.

Béru me dédie une grimace d’hépatique récalcitrant.

— Tout ce qu’on peut fiche, c’est de lui cloquer de l’eau bénite, soupire-t-il.

L’infirmière se penche sur la mourante. Lorsqu’elle se relève, je comprends à sa mimique que tout est liquidé. Mme Knossen a fait ce que le maire lui a dit : elle est partie rejoindre son mari. L’infirmière tire le drap sur le visage émacié de la morte.

— C’est fini, dit-elle.

Pipier se signe. Béru pose son bitos, dévoilant son crâne sanguin où végètent des tifs dont un corbeau ne voudrait pas pour tapisser son nid.

— Vous êtes restée à son chevet depuis qu’on l’a amenée ? demandé-je à l’infirmière.

— Oui.

— A-t-elle parlé ?

— Pas un mot ! Elle n’en était plus capable !

— Où sont ses vêtements ?

Elle me désigne une armoire métallique.

Je vais l’ouvrir. Dedans, il y a un méchant tailleur de coupe hollandaise, je ne vous en dis pas plus. Un chemisier, des bas et des souliers. J’explore les poches du tailleur. Maigre butin. Les profondes de Bérurier sont mieux achalandées. Tout ce que je ramène, c’est un billet de mille francs, un ticket de métro et un tube de rouge à lèvres.

— Elle n’avait pas de sac à main ?

— Non. On l’a amenée comme ça…

Chou blanc, quoi !

Je souris néanmoins à la jolie môme.

— Merci.

Une fois dehors, je dis à Pipier de rejoindre sa base et je téléphone à Salmons pour lui demander l’adresse de l’hôtel qu’habitaient les Van Knossen. C’est l’hôtel du Grand Condé. Tout indiqué pour des poulets, pas vrai ?

En ralliant cet honorable établissement, je fais le point.

— Tu ne trouves pas cette histoire ahurissante ? demandé-je au révérend Bérurier…

Il hausse les épaules.

— Si.

— Une dame hollandaise s’empoisonne en avalant un tube de somnifères…

— À moins que ce soit son Jules qui l’ait empoisonnée !

— Il l’aurait liquidée autrement, on ne fait pas avaler de force un tube de véronal à quelqu’un !

Je poursuis, sur un ton de soliloque :

— Ce touriste avait sur lui des cigarettes comportant chacune un message. Lorsqu’on les découvre, il essaie de fuir. Et quand il se voit fichu, il se colle une olive dans le plafonnard !

Voilà les données du problo. Marrant, non ?

Le Gros n’est pas accessible au charme doucereux du mystère. Son style c’est la castagne, la solide ! Il n’est pas porté sur les points d’interrogation. Quand il en rencontre, il les met à la renverse et s’en sert comme portemanteaux.

Nous débarquons chez le Grand Condé. C’est un hôtel fort modeste, mais propret. Le genre de casba qui sent l’eau de javel, le vieux bois et le repassage. Une digne dame, frisée comme un manteau d’astrakan et plus bronzée qu’un seau d’anthracite, nous accueille. Elle est martiniquaise et ne s’en cache pas.