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— Vise cette sirène ! fait-il… C’est nordique, ça !

Une belle créature aux cheveux de lin se tient sur un divan dans une pose récamière. Elle fixe sur nous un regard couleur d’émeraude.

— Je crois qu’elle en a après moi, chuchote Béru, toujours fin psychologue. Elle a dû repérer que j’étais Français et tu sais qu’on a une fameuse réputation à l’étranger ?

Il a la bouche humide de convoitise. Son regard vineux distille de l’extase.

— Tu veux te payer une virée au septième ciel, Gros ! m’enquiers-je, plein de sollicitude.

Il hésite.

— Tu crois que j’ose ?

— C’est une charité à faire à cette dame : elle te mange des yeux.

En effet, la fille a repéré le bon pigeon en la personne de mon estimable compagnon, et elle lui octroie un sourire qui foutrait le tricotin à un escargot.

Je tends un bifton de cinquante florins à Béru.

— Va te faire faire la brouette chinoise, Gros… Pendant ce temps, j’irai repérer la cagna des Van Knossen.

Béru enfouille l’artiche.

Non sans noblesse, il gravit d’un pas affirmé la volée de marches menant à ce doux échafaud où on va lui décapiter ses cinquante florins. Avant de pousser l’huis, il se retourne, très Mussolini-au-balcon.

— Rendez-vous ici, lance-t-il d’une voix forte d’homme sur le point de prouver qu’il est homme.

Et d’ajouter, très simplement :

— Le premier qui a fini attend l’autre !

Lorsqu’il a disparu, je me mets en quête du numéro 72. Car c’est l’adresse qui figurait sur les papiers de Mme Van Knossen. J’ai quelques difficultés à le découvrir, le numérotage des immeubles étant très confidentiel en Hollande.

Je constate que le 72 est constitué par le deuxième immeuble après celui où Béru est en train de sacrifier à Vénus.

Il comporte une vitrine, avec une dame derrière. Pas le genre pin up, il s’en faut, plutôt le genre Mme Bérurier… Elle est en corsage et en short… Ses jambons sont gros comme des colonnes Morris. Ceux qui aiment les sandwiches à la baleine n’ont qu’à venir s’en payer une tranche.

Elle a une très jolie moustache, et, pour faire le pendant, au menton une verrue avec une touffe de poils comme l’aigrette d’un Saint-Cyrien. Ses cheveux noirs sont noués par un bandeau de velours rouge. Elle louche un peu et se masse le corsage en me regardant comme pour me tisonner l’imagination. Je n’hésite pas. Comme vient de le faire mon preux compagnon, je me farcis les six marches en attendant mieux. Je pénètre dans un couloir carrelé en Delft… Une porte s’ouvre, sur la gauche. La grosse vache à moustache m’attend, le sourire gobeur, l’œil en tire-bouchon.

Elle me bonnit quelque chose en néerlandais.

— Si vous parliez français, ça m’arrangerait, lui dis-je, en ponctuant cette déclaration d’un sourire enjôleur.

Elle glousse :

— Vous Français ?

— Si, signorina.

— Parisian ?

— Presque !

Elle s’efface ; ce qui est une façon de parler, car pour effacer un tas de gélatine pareil, il faudrait une bonbonne de corrector.

J’entre dans le mignon studio. C’est confortable, charmant. La moustache a tiré le rideau, nous isolant prudemment de la rue. Il y a un poêle de faïence ; un poste de radio qui moud « Au revoir Rome » revu et corrigé par les marchands de fromage du coin ; un divan polisson, recouvert de machins à pompons ; et une superbe poupée en robe de soirée hollandaise avec un chapeau de paille d’Italie, des anglaises et l’air sauvagement glandulard… Cette poupée, c’est le signe extérieur de richesse de la locataire. Son luxe, quoi ! Quand on sonne dans la journée, elle doit la planquer rapidos de peur que ça soye les polyvalents qui viennent au renaud à cause de cette œuvre d’art.

On passe son temps à rêvasser devant ce chef-d’œuvre en attendant que les clilles viennent se faire reluire.

La dame prend des mines, des poses, des attitudes… Elle minaude, toute fiérote d’avoir un Françouze à se coller sous le traversin. C’est pas qu’elle apporte une grosse contribution personnelle au plaisir de ses visiteurs, mais tout de même elle préfère remuer son satellite artificiel pour un technicien plutôt que pour un de ces veaux pas cuits qui prennent leur fade comme d’autres pèchent à la ligne.

Elle me dit très gentiment que sa « consultation » est fixée à trente florins, ce qui, même au cours du jour, n’est pas extravagant. Pour ne pas lui faire perdre son temps, je lui aligne trois beaux billets un peu tristes, mais très solides, et elle se dégrouille de les glisser dans un magnifique coffret en coquillages entièrement collés à la main, tel que, même rue de la Paix, on n’en trouve pas à acheter.

Elle s’apprête à me jouer l’introduction de la Flûte enchantée lorsque je la stoppe d’un geste élégant.

— Inutile, chère madame, je ne suis pas entré pour ça…

Elle se demande alors si je suis un empêché de l’entresol ou un plaisantin.

— Je voudrais avoir des nouvelles d’une ancienne amie à moi, qui, d’après mes renseignements, habiterait l’immeuble… Une certaine Cornélia Van Knossen…

La grosse truie rabat sa jupette sur ses barils de saindoux. Elle caresse sa moustache du bout des doigts, comme quelqu’un qui cherche à réfléchir ou à affiner son sens tactile.

— Vous la connaissez ? insisté-je.

— Oui, déclare la propriétaire de la mirifique poupée…

— Où est-elle ? mens-je, car je sais pertinemment qu’à l’heure où je mets sous presse, la pauvre dame gît dans un tiroir frigorifique de la morgue.

— En voyage… Elle est partie avec Tonton…

— Tonton ?

— C’est le surnom de son mari…

Ça me rappelle la fameuse histoire d’Alphonse Allais. Celle du gars qui écrivait à son pote pour lui annoncer que sa femme s’était barrée avec son oncle en emportant un bouquin de Taine auquel il tenait beaucoup et un petit thon qu’il élevait au biberon dans un aquarium… Le copain disait en un condensé saisissant : « Ta femme est partie avec Tonton, ton Taine et ton thon ! » Pas mal, non ?

— Où est-elle allée ?

— En France, je crois…

— Que fait-elle dans la vie ?

La grosse morue plisse ses paupières en forme de blagues à tabac démunies. Elle pige mal ma question, je suis obligé de la démultiplier.

— Comme moi, dit-elle…

— Ah ! bon…

Je ne m’attendais pas à ça. Mme Van Knossen avait l’air de n’importe quoi, et surtout d’une morte lorsque je l’ai vue, mais assurément pas d’une dame qui a fait ses classes à Saint-Claude, Jura !

— Où était-elle installée ?

— Ici… Elle me remplaçait !

Voilà, tout bonnement. En somme, ces dames faisaient équipe, quoi ! Quelque chose comme les vingt-quatre plombes du Mans, en moins pénible…

— Son mari le savait ?

— Naturellement.

Jolie mentalité, le Van Knossen ! M’est avis qu’il portait des écailles sur le dos, ce brave garçon…

— Que fait-il, le mari ?

— Rien, dit ma compagne de l’ennui. Avant, il travaillait…

— Où ?

— Dans une imprimerie où l’on fait de la reproduction de tableaux… Et puis on l’a renvoyé… Alors sa femme s’est mise au travail…

Elle commence à en avoir classe de ma curiosité. Elle estime qu’elle m’en a colloqué pour trente deniers et me le fait comprendre en bâillant. Ceci me permet un aperçu sur sa mâchoire aurifiée.

Je me lève.

— Vous ne savez pas s’ils resteront partis longtemps ?

— Ils doivent être rentrés pour le 20…

Voilà qui m’intéresse.