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— Et voici le prince Taradath, annonça Varaile en présentant un petit paquet enveloppé de fourrure.
À un bout, un visage rouge et fripé était visible.
— Ça ? s’écria Prestimion en riant. Ça, un prince ?
— Il le sera, fit Abrigant, venu rapidement de Muldemar, le jour où il avait appris le retour de Prestimion au Château.
Ils étaient réunis dans le grand salon des appartements royaux de la Tour de lord Thraym, la résidence officielle de Prestimion.
— Il sera aussi grand que notre frère Taradath et aussi vif d’esprit. Et, bien sûr, aussi bon archer que son père et escrimeur que Septach Melayn.
— Je commencerai son instruction dès qu’il saura marcher, déclara gravement Septach Melayn. À dix ans, il n’aura pas un rival à sa taille.
— Je vous trouve tous très optimistes, fit Prestimion en regardant le petit visage chiffonné du nouveau-né. Tous les bébés se ressemblent, se dit-il. Mais celui-là est le fils d’un Coronal et le descendant de princes ; nous ferons de lui quelqu’un de bien.
— Puisque tu vois en lui de grandes aptitudes, reprit-il en se tournant vers Abrigant, que te proposes-tu de lui apprendre ? L’emmèneras-tu à Muldemar pour l’initier aux secrets de la vinification ?
— Pour faire de lui un vigneron, Prestimion ? Oh non ! C’est vers la métallurgie que je vais le guider.
— La métallurgie ?
— Je lui confierai la direction des grandes mines de fer de Skakkenoir, les fondations de la prospérité de ton règne. Tu n’as pas oublié, Prestimion, ta promesse de me donner une deuxième chance de découvrir les métaux de Skakkenoir dès que le petit problème avec Dantirya Sambail aurait été réglé ? Depuis, je suis tranquillement resté à Muldemar en attendant mon heure. Je pense qu’elle est arrivée.
— Ah ! oui ! fit Prestimion… Skakkenoir. Eh bien, prends cinq cents hommes ou un millier et va chercher Skakkenoir, Abrigant. Et rapporte-nous dix mille livres de fer, veux-tu ?
— Dix mille tonnes, fit Abrigant. Et ce ne sera que le commencement.
Oui, se dit Prestimion.
Le commencement.
Depuis combien de temps était-il Coronal ? Trois ans ? Quatre ? C’était difficile à dire, à cause de Korsibar et de ce qui avait été réalisé à Thegomar Edge pour faire croire qu’il n’y avait jamais eu de guerre civile. Il ne connaissait pas avec précision la date du début de son règne. Elle serait fixée dans les chroniques du royaume à l’heure de la mort de Prankipin et de l’accession au trône pontifical de Confalume. Mais Prestimion savait qu’il y avait eu deux années de guerre, de campagnes dans les provinces et de batailles avant qu’il monte réellement sur le trône. Et à peine couronné, il avait fallu s’occuper de Dantirya Sambail et de tout le reste…
Il prit le bébé des bras de Varaile, le souleva précautionneusement, ne sachant pas très bien comment s’y prendre. Ils laissèrent les autres – Septach Melayn, Gialaurys, Navigorn, Abrigant et Maundigand-Klimd, tous ceux qui avaient été jusqu’alors les piliers de son règne – pour s’avancer vers la table où étaient disposés les vins de Muldemar apportés pour fêter le retour du Coronal. Du coin de l’œil, Prestimion vit Dekkeret, sans doute intimidé, qui restait au bord du groupe. Le jeune homme était destiné dans les années à venir à être un des personnages en vue du royaume. Il sourit quand Septach Melayn lui fit signe de s’approcher et passa affectueusement le bras autour de ses épaules.
— Et ton père ? demanda Prestimion à Varaile. Il paraît que sa guérison est extraordinaire.
— Un miracle, Prestimion. Mais il n’est pas vraiment redevenu lui-même. Il n’a pas dit un mot sur toutes les possessions que j’ai cédées pendant qu’il était malade. Il n’a pas passé une seconde avec ces gens de la finance qui lui prenaient tout son temps. Il semble avoir perdu tout intérêt pour l’argent. Le bébé, voilà tout ce qui compte pour lui. Mais il m’a dit hier qu’il espère pouvoir te servir de conseiller économique, maintenant que tu es de retour au Château.
Quelle étrange idée de prendre Simbilon Khayf au Conseil. Mais une nouvelle époque s’ouvrait et Simbilon Khayf était apparemment un homme nouveau.
— Son aide sera précieuse, dit-il. J’en suis sûr.
— Il est impatient de te l’apporter. Il a le plus grand respect pour toi, Prestimion.
— Envoie-le-moi dans un ou deux jours, Varaile.
Il s’écarta, passa un moment devant la fenêtre qui donnait sur une cour et d’où on avait une bonne vue sur le Château Intérieur, le cœur de la gigantesque construction, le véritable siège du pouvoir. Ce Château dans lequel il vivait portait aujourd’hui le nom de Château de lord Prestimion et le conserverait jusqu’à la fin de son règne. Le sort de la planète avait été remis entre ses mains et, malgré des débuts hésitants, il avait la certitude que le temps des erreurs était passé, que l’âge des miracles et des merveilles allait commencer. Pour la première fois depuis qu’on était venu lui annoncer que le Pontife Prankipin était mourant et qu’il allait très probablement être choisi pour succéder à lord Confalume, il sentit quelque chose qui s’apparentait à la paix emplir son cœur.
Il laissa son esprit vagabonder au-delà du Château Intérieur et la multitude de salles entourant le cœur du Château pour contempler le Mont et la merveilleuse diversité des plaines de Majipoor. En une fraction de seconde, il entreprit le voyage que nul ne pouvait espérer accomplir dans une vie, d’un bout de la planète à l’autre, et revint sur le Mont, dans le Château et dans cette tour qui était devenue son foyer.
— Prestimion ?
La voix de Varaile ; elle semblait appeler d’une grande distance.
Il se retourna, surpris par cette interruption dans le cours de sa rêverie.
— Oui ?
— Tu tiens le bébé la tête en bas.
— C’est vrai, fit-il en souriant. Tu ferais peut-être mieux de le reprendre.
Peut-être n’en avait-il pas fini avec les erreurs.
En tendant le bébé à Varaile, il se pencha pour l’embrasser sur le bout du nez. Puis il repartit au fond de pièce voir si Septach Melayn, Gialaurys et les autres avaient laissé un peu des meilleurs vins.
Cartes
Le livre de poche